Les enjeux juridiques des JO de Paris 2024 - Épisode 2 - JO et RSE : quelles obligations légales pour les organisateurs d’événements sportifs internationaux ?
À l’occasion des Jeux olympiques de Paris 2024, le cabinet VIGO, en partenariat avec Dalloz actualité, vous propose une série d’articles consacrés aux problématiques juridiques rencontrées dans le cadre de cet évènement. Au programme, les questions juridiques et réglementaires essentielles liées à l’organisation des Jeux olympiques, notamment les enjeux RSE pris en compte dans l’organisation, la lutte contre le dopage, les atteintes à la probité, et l’impact environnemental. Deuxième épisode : JO et RSE, quelles obligations légales pour les organisateurs d’événements sportifs internationaux ?
À l’approche des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (JO 2024), le monde du sport accorde une attention croissante à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et à la durabilité. Cette tendance reflète une prise de conscience générale doublée d’une demande accrue des parties prenantes appelant à des pratiques plus éthiques et respectueuses de l’environnement. La candidature de Paris pour les JO 2024 en a ainsi fait un de ses principaux atouts, mettant en avant des jeux écologiquement responsables et socialement inclusifs. Cette orientation vers la durabilité s’inscrit dans une volonté de répondre aux attentes des parties prenantes et de maintenir une image positive du sport à l’échelle mondiale. À ce titre, divers aspects de la RSE doivent être intégrés aux activités du secteur, impliquant tant les instances organisatrices que les acteurs privés associés à ces événements.
Évènements sportifs et enjeux RSE : une histoire de scandales
Les récents événements sportifs internationaux ont été marqués par plusieurs interpellations mettant en lumière des violations des droits humains et des manquements en matière de santé et de sécurité des travailleurs et autres parties prenantes. Parmi eux, la Coupe du monde de la FIFA 2022 au Qatar a suscité une attention particulière en raison des conditions de travail des dizaines de milliers de travailleurs migrants employés pour construire les infrastructures nécessaires (R. Dupré, Coupe du monde 2022 au Qatar : Amnesty International pointe les « responsabilités » de la FIFA dans les « atteintes » aux droits humains, Le Monde, 21 mai 2022). Ces travailleurs ont souvent été soumis à des conditions de travail dangereuses (avec un taux d’accidentologie record), des salaires bas, et des pratiques abusives de recrutement, ce qui a attiré une condamnation internationale et des appels à une meilleure protection des droits des travailleurs.
La controverse peut également toucher le traitement même des athlètes participant aux compétitions. À cet égard, les Jeux olympiques de Tokyo 2020, reportés à l’année 2021 en raison de la pandémie de covid-19, ont été au centre de nombreuses critiques (C. Lambert, L.-M. Schuetz, S. Rice, R. Purcell, T. Stoll, M. Trajdos, R. Ritzmann, A.-L. Böhm et M. Walz, Depressive symptoms among Olympic athletes during the covid-19 pandemic, BMC sport science, medicine and rehabilitation, 10 mars 2002). Les mesures strictes de quarantaine, de test, et l’interdiction de la présence de spectateurs ont suscité des préoccupations quant à la santé mentale et au bien-être des athlètes. De plus, le manque de transparence et de communication de la part des organisateurs a été déploré, les athlètes et les parties prenantes exprimant leurs inquiétudes face à la gestion de l’événement dans un contexte sanitaire complexe.
Les événements sportifs ont souvent été entachés par des scandales géopolitiques, notamment en ce qui concerne les conditions d’attribution de leur organisation. Ainsi, les Jeux olympiques d’hiver de Pékin 2022 ont soulevé des questions importantes concernant les droits humains et les accusations de « sportwashing », pratique par laquelle des gouvernements ou des organisations utilisent des événements sportifs pour améliorer leur image publique et détourner l’attention des critiques concernant leurs violations des droits humains ou autres comportements controversés. La décision d’attribuer les Jeux à la Chine a été fortement critiquée en raison du traitement des Ouïghours et d’autres minorités ethniques, ainsi que de la répression des libertés civiles (F. Orso, JO de Pékin : les athlètes priés de ne pas s’exprimer sur les droits de l’homme pour leur sécurité, Le Parisien, 19 janv. 2022). L’attribution des Jeux olympiques à la Chine a mis en lumière la volonté de certains pays d’utiliser des événements sportifs internationaux pour améliorer leur image sur la scène mondiale, malgré des bilans négatifs en matière de droits humains.
Auparavant, la Coupe du monde de la FIFA 2018 en Russie a également été marquée par des scandales relatifs aux droits des travailleurs et des minorités. Les travailleurs migrants employés pour construire les infrastructures ont souvent été victimes d’abus, et des organisations de défense des droits humains ont signalé des discriminations et des violences à l’encontre des minorités ethniques (Amnesty International, Russie : répression et discrimination à l’approche de la Coupe du monde de football, 15 mai 2018) ou des discriminations à l’endroit de personnes en fonction de leur orientation sexuelle. Ces incidents ont ainsi soulevé la question délicate des garanties à éventuellement exiger lors de l’attribution d’une grande compétition sportive internationale, tout en évitant la critique du paternalisme ou de l’ingérence politique (Amnesty international, Les droits humains doivent être un critère essentiel dans le choix du pays hôte !, Communiqué de presse, 22 juin 2023)…
La multiplication de ces controverses a eu un impact considérable sur la réputation des compétitions sportives, conduisant à une prise de conscience accrue des enjeux de RSE par les instances sportives internationales. En réponse, ces instances ont commencé à intégrer de manière plus systématique des critères de responsabilité sociale et environnementale dans leurs processus de gestion et d’organisation.
L’intégration accrue des enjeux RSE dans le secteur sportif
Le comité d’organisation des JO de Paris 2024 a tenté de marquer une rupture avec les précédents scandales en matière de RSE en mettant l’accent sur la durabilité et l’héritage positif des installations sportives. Conscients des critiques fréquentes sur le caractère éphémère des infrastructures, les organisateurs ont centré leur communication sur la création d’installations durables qui bénéficieront aux parties prenantes locales bien après la fin des Jeux.
À cet égard, le site internet du comité d’organisation des Jeux publie plusieurs documents détaillant les enjeux identifiés, notamment un rapport de durabilité aligné sur les objectifs de développement durable v. le rapport accessible via le site officiel des JO). Ce rapport s’inspire des mécanismes de reporting de la RSE, tels que la directive sur la publication d’informations non financières (Dir. [UE] 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 déc. 2022 modifiant le règl. [UE] n° 537/2014 et dir. 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises), et intègre des principes de transparence et de responsabilité. Le rapport de durabilité décrit également une politique d’achats responsables, une charte sociale, et des mécanismes d’implication des parties prenantes.
Le Comité international olympique (CIO) avait déjà amorcé un virage important en publiant dès 2018 un rapport de durabilité qui détaillait les efforts environnementaux entrepris lors de l’organisation d’événements sportifs (v. les rapports accessibles sur le site officiel du CIO). Parallèlement, le CIO a établi un code d’éthique, dont le premier article met en avant le respect des droits humains (Code éthique, art. 1, Le respect des principes éthiques fondamentaux universels est le fondement de l’olympisme). De plus, la Charte olympique, qui constitue un cadre de référence pour toutes les activités olympiques, inclut le respect des droits humains parmi ses principes fondamentaux (v. la Charte olympique).
Pour aider les pays hôtes à mettre en œuvre ces principes, le CIO met à disposition de nombreuses ressources. Ces documents fournissent des directives et des bonnes pratiques pour assurer que les engagements en matière de durabilité et de droits humains soient respectés tout au long du processus d’organisation des Jeux. Ces initiatives illustrent l’engagement croissant du CIO à intégrer les enjeux de RSE dans le monde du sport, même si cette démarche repose avant tout sur une approche volontariste.
L’absence de contrôle des démarches volontaristes
Bien que la multiplication des déclarations d’engagement du comité d’organisation des JO de Paris 2024 et du CIO reflète une réelle avancée dans l’intégration des enjeux RSE dans le secteur sportif, ces démarches manquent de mécanismes de contrôle bien définis. En effet, ni le CIO ni le comité d’organisation des JO de Paris 2024 ne sont soumis à des obligations contraignantes en matière de RSE.
Le CIO, en tant qu’organisation internationale non gouvernementale à but non lucratif basée en Suisse (v. par ex., le détail de la structure du CIO), n’est assujetti à aucune législation spécifique prévoyant des mesures de diligence raisonnable. Quant au comité d’organisation des JO de Paris 2024, son statut d’association loi 1901 (v. par ex., les mentions légales figurant sur le site officiel accessibles) signifie qu’il n’est pas soumis à la loi française sur le devoir de vigilance (Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre), qui prévoit la mise en place de mécanismes de prévention des risques à la charge de certaines sociétés commerciales. Autrement dit, le respect des engagements inscrits dans les chartes publiées par ces organismes repose principalement sur une démarche volontaire (La question spécifique du « greenwashing » et des actions judiciaires afférentes feront l’objet d’un article à part de notre série consacrée aux JO). Il est à noter que les JO de Paris 2024 ont déjà fait l’objet de quelques critiques sur le plan de la RSE, comme en témoignent les poursuites engagées contre plusieurs entreprises de BTP devant le Conseil des prud’hommes de Bobigny par des travailleurs sans papiers (F. Morestin, Des ouvriers sans papiers des JO 2024 attaquent des champions du BTP : « La France n’est pas mieux que le Qatar », Novethic, 15 août 2023).
À cet égard, plusieurs associations ont appelé à l’instauration de normes plus strictes pour les structures sportives, en ce qui concerne notamment la diligence raisonnable que devraient suivre les fédérations sportives (Amnesty International, Suisse : le parlement doit garantir le respect des droits humains dans les fédérations sportives, Communiqué de presse, 6 juin 2023.), ainsi que la reconnaissance du caractère contraignant des garanties préalables à l’attribution des événements sportifs (Amnesty International, Il faut des engagements contraignants de la part des candidats aux coupes du monde 2030 et 2034, Communiqué de presse, 6 juin 2024). Il reste cependant à définir précisément ce que de telles démarches impliqueraient, compte tenu des nombreuses controverses géopolitiques souvent associées à l’organisation de manifestations sportives internationales. Le spectre normatif potentiel est en effet particulièrement vaste, allant de la mise en place d’une évaluation RSE des tiers impliqués dans l’organisation, à un refus d’attribuer l’événement à un État dont la politique contredirait les droits fondamentaux reconnus universellement…
Cependant, la logique portée par les valeurs de paix et de tolérance propres au sport devrait nécessairement être prise davantage en compte au moment de l’attribution de l’organisation des évènements sportifs à caractère planétaire car la pression des opinions politiques et des citoyens s’accentue avec le temps et l’exigence de respect des droits humains s’opposera à tous.
Quoi qu’il en soit, même si le contrôle juridique des engagements des organisateurs de manifestations sportives laisse encore à désirer, l’impact réputationnel d’un manque de transparence ou d’engagements non tenus est aujourd’hui indéniable. À cet égard, les entreprises privées partenaires de ces événements doivent faire preuve d’une vigilance particulière dans leurs démarches pour assurer la conformité et la crédibilité de leurs actions.
Quel rôle pour les sponsors d’évènements sportifs d’envergure ?
Bien que les organismes responsables de l’organisation des manifestations sportives internationales ne soient pas a priori soumis à des obligations de diligence raisonnable, il en va autrement pour les entreprises privées qui sponsorisent ces événements. La directive européenne sur le devoir de vigilance (CS3D), adoptée le 24 avril 2024 (Résol. législative du Parlement européen du 24 avr. 2024 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive [UE] 2019/1937), impose un large périmètre d’activités devant être couvertes par l’identification des incidences négatives potentielles, assortie de mesures de prévention.
L’article 8 de la CS3D prévoit en particulier que les entreprises soumises à la directive « […] prennent des mesures appropriées pour recenser et évaluer les incidences négatives réelles et potentielles découlant de leurs propres activités ou de celles de leurs filiales et, lorsqu’elles sont liées à leurs chaînes d’activités, de celles de leurs partenaires commerciaux, conformément au présent article ».
Dans ce contexte, et en l’absence de lignes directrices claires sur le sujet, ces dispositions pourraient être interprétées comme incluant le sponsoring dans les « activités des partenaires commerciaux » si ces activités ont un impact potentiel sur les incidences négatives réelles ou potentielles. Par exemple, si une entreprise sponsorise un événement sportif où des pratiques non éthiques ou des violations des droits humains se produisent, cette activité de sponsoring pourrait être considérée comme liée aux « chaînes d’activités » de l’entreprise.
Concrètement, en matière de diligence raisonnable, cela signifierait que lors de l’organisation d’un événement sportif dans un pays à risque, une entreprise sponsorisant l’événement et soumise à la CS3D devrait intégrer ces incidences négatives dans l’établissement de la cartographie des risques. Elle exigerait ainsi des garanties minimales auprès du comité organisateur concernant, par exemple, la prévention de l’emploi de travailleurs illégaux sur les chantiers ou bien encore, la discrimination en fonction du sexe ou du genre.
Une telle vigilance serait bénéfique pour l’entreprise, car au-delà même du risque juridique, la démarche permettrait de se prémunir contre un impact réputationnel négatif associé à son rôle de sponsor et de se préparer efficacement à une éventuelle gestion de crise.
Ainsi, il est évident que les enjeux RSE sont désormais intégrés à l’organisation des événements sportifs internationaux. Bien que ces engagements ne soient pas encore accompagnés de lois de contrôle spécifiques, il est dans l’intérêt des acteurs du secteur, y compris les organisations sportives indépendantes, les fédérations sportives et les entreprises privées, de s’approprier dès maintenant ces enjeux pour garantir une gestion responsable et durable. C’est le sens de l’histoire et le CIO ne peut y déroger, sauf à se priver de l’adhésion d’une partie de plus en plus importante de l’opinion publique et donc des consommateurs et des prescripteurs, à commencer par les jeunes.
© Lefebvre Dalloz