Les frontières mouvantes de la notion de vérifications sommaires en phase d’instruction
Si un magistrat instructeur ne peut en principe pas informer sur des faits dont il n’est pas saisi, il peut toutefois procéder à des vérifications sommaires destinées à en apprécier la vraisemblance. Pour savoir si un acte rentre dans ce cadre, son absence de caractère coercitif à l’encontre de la personne mise en cause est prise en compte, sans pour autant constituer un critère déterminant.
 
                            Les observateurs les plus attentifs de la jurisprudence de la chambre criminelle ont récemment pu assister à la construction progressive d’une nouvelle catégorie d’acte de procédure : les investigations sommaires. Au gré des arrêts, la Cour de cassation a reconnu la possibilité de mettre en œuvre des vérifications sommaires, préalables à l’ouverture d’une enquête préliminaire (Crim. 5 sept. 2023, n° 22-85.027, Dalloz actualité, 2 oct. 2023, obs. M. Slimani ; AJ pénal 2023. 508, obs. É. Clément  ), de procéder à l’inventaire sommaire d’un sac jeté par des suspects (Crim. 23 mai 2023, n° 22-86.413, Dalloz actualité, 12 juin 2023, obs. D. Goetz ; D. 2023. 1012
), de procéder à l’inventaire sommaire d’un sac jeté par des suspects (Crim. 23 mai 2023, n° 22-86.413, Dalloz actualité, 12 juin 2023, obs. D. Goetz ; D. 2023. 1012  ; AJ pénal 2023. 351, obs. J. Leborne
 ; AJ pénal 2023. 351, obs. J. Leborne  ; RSC 2023. 601, obs. P.-J. Delage
 ; RSC 2023. 601, obs. P.-J. Delage  ) ou encore de recueillir les déclarations sommaires d’une personne contrôlée (Crim. 6 juin 2023, n° 22-86.685, Dalloz actualité, 12 juill. 2023, obs. H. Robert ; AJ pénal 2023. 401, obs. T. Scherer
) ou encore de recueillir les déclarations sommaires d’une personne contrôlée (Crim. 6 juin 2023, n° 22-86.685, Dalloz actualité, 12 juill. 2023, obs. H. Robert ; AJ pénal 2023. 401, obs. T. Scherer  ). Ces actes de procédure ont pour particularité d’être soumis à un formalisme allégé, car la Cour n’exige pas qu’ils répondent aux exigences du code de procédure pénale prévues pour les véritables actes d’enquête. D’une certaine manière, on peut considérer qu’ils ont tous un ancêtre commun, les vérifications sommaires réalisées consécutivement à la découverte d’une infraction nouvelle en phase d’instruction. Cette notion n’est pas nouvelle : en germe dans un arrêt de 1984 (Crim. 25 juin 1984, n° 83-94.199), elle est pour la première fois expressément visée en 1996 (Crim. 6 févr. 1996, n° 95-84.041, D. 1996. 198
). Ces actes de procédure ont pour particularité d’être soumis à un formalisme allégé, car la Cour n’exige pas qu’ils répondent aux exigences du code de procédure pénale prévues pour les véritables actes d’enquête. D’une certaine manière, on peut considérer qu’ils ont tous un ancêtre commun, les vérifications sommaires réalisées consécutivement à la découverte d’une infraction nouvelle en phase d’instruction. Cette notion n’est pas nouvelle : en germe dans un arrêt de 1984 (Crim. 25 juin 1984, n° 83-94.199), elle est pour la première fois expressément visée en 1996 (Crim. 6 févr. 1996, n° 95-84.041, D. 1996. 198  , note J. Pradel
, note J. Pradel  ; ibid. 262, obs. J. Pradel
 ; ibid. 262, obs. J. Pradel  ; Rev. sociétés 1997. 125, note B. Bouloc
 ; Rev. sociétés 1997. 125, note B. Bouloc  ; RSC 1996. 880, obs. J.-P. Dintilhac
 ; RSC 1996. 880, obs. J.-P. Dintilhac  ). Depuis cette date, elle n’a pas manqué d’évoluer et, à cet égard, un arrêt de la chambre criminelle du 6 novembre 2024 étend son domaine d’application.
). Depuis cette date, elle n’a pas manqué d’évoluer et, à cet égard, un arrêt de la chambre criminelle du 6 novembre 2024 étend son domaine d’application.
Avant d’exposer la solution de la Cour de cassation, il est bon de faire un rappel des principes essentiels en matière de pouvoirs d’instruction. Le juge d’instruction est saisi in rem, c’est-à-dire qu’il ne peut instruire que sur les faits expressément indiqués dans l’acte qui le saisit (Rép. pén., v° Instruction préparatoire, par C. Guéry, 2018, nos 164 s. [version actualisée à paraître prochainement]). Il en va de même pour les enquêteurs qui agissent sur commission rogatoire. La méconnaissance de cette règle constitue une irrégularité susceptible d’entraîner l’annulation des actes d’instruction relatifs aux faits dont le juge n’était pas saisi. Il arrive pourtant que des faits nouveaux pouvant recevoir une qualification infractionnelle soient portés à la connaissance du juge d’instruction. Le cas échéant, il doit immédiatement communiquer au procureur de la République les procès-verbaux qui constatent ces faits (C. pr. pén., art. 80). Le représentant du ministère public a alors la possibilité de délivrer un réquisitoire supplétif, qui étend le périmètre de la saisine, et permet donc au juge d’instruction d’informer sur les faits nouveaux. Toutefois, la découverte de faits infractionnels n’est pas un évènement qui se réalise instantanément avec l’éclat de l’évidence. C’est ici qu’interviennent les vérifications sommaires : il est admis que des investigations soient menées sur des faits nouveaux, à condition que les recherches menées sous la direction du juge d’instruction se limitent à des vérifications menées en urgence, ayant un caractère non coercitif et permettant d’apprécier la vraisemblance des faits (Crim. 6 févr. 1996, n° 95-84.041, préc.). En l’espèce, la question de droit était de savoir si les actes d’instruction en cause pouvaient recevoir la qualification de vérifications sommaires.
Les faits de l’affaire sont complexes, mais il n’est pas nécessaire de les présenter entièrement pour expliquer la décision de la Haute juridiction. La procédure commence par l’ouverture d’une information judiciaire en 2019, pour escroquerie en vue de l’obtention d’une allocation ou prestation indue, exécution d’un travail dissimulé, blanchiment aggravé. Au cours des investigations, d’autres faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ont été découverts. Conséquemment, le périmètre de la saisine du juge d’instruction a été étendu, d’abord pour des faits commis le 11 mai 2015 par réquisitoire supplétif du 2 octobre 2019, puis pour des faits commis entre le 23 mai 2014 et le 25 novembre 2020 par réquisitoire du 19 février 2021. Les agissements en cause étaient des virements suspects de fonds provenant de la cession d’une maison et pouvant s’inscrire dans une opération de blanchiment. À la suite d’investigations financières, un autre transfert de fonds douteux, le 14 mai 2014 et s’inscrivant manifestement dans le même processus infractionnel, a été identifié. Après cette découverte, la personne à l’origine de ce virement, et soupçonnée d’avoir commis les faits dont le juge d’instruction était saisi, a été placée en garde à vue et son domicile a été perquisitionné. Deux jours plus tard, un réquisitoire supplétif a étendu la saisine du juge à des faits de blanchiment en bande organisée commis entre le 30 avril et le 22 mai 2014. En parallèle, le magistrat instructeur a mis en examen la femme gardée à vue pour blanchiment, en raison du virement effectué le 14 mai 2014 de son compte bancaire vers celui d’une tierce personne. Quelque temps plus tard, l’annulation de réquisitions bancaire et de la garde à vue a été sollicitée. Il était reproché au juge d’instruction d’avoir ordonné l’accomplissement d’actes d’instruction relatifs à des faits dont il n’était pas saisi.
Annulation de la garde à vue : prohibition des mesures coercitives dans le cadre des vérifications sommaires
Au cours de l’information judiciaire, la personne mise en examen a déposé une requête en annulation de la garde à vue qui avait eu lieu le 29 juin 2021. Le 21 février 2024, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a rejeté la demande, aux motifs que la référence à une date antérieure à celle des faits constituant le périmètre de la saisine du juge dans l’acte de notification de la garde à vue ne constituait qu’une erreur matérielle et que les questions posées par les enquêteurs quant aux faits dont le juge n’était pas saisi entraient dans le cadre des vérifications sommaires, et étaient donc permises. Pour le pourvoi, la chambre de l’instruction avait manifestement méconnu le principe de la saisine in rem du juge d’instruction en retenant cette solution. Il reprochait notamment à la juridiction du second degré d’avoir mobilisé la notion de vérifications sommaires, alors que, selon lui, elle ne pouvait être invoquée que lorsque les investigations en cause ont lieu dans un temps voisin de la découverte des faits nouveaux, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, puisque la personne interrogée était soupçonnée d’être à l’origine du virement litigieux depuis plusieurs années.
Dans un premier temps, la Cour de cassation a rapidement écarté la question des dates figurant dans la notification de la prolongation de garde à vue. Il s’agissait d’une simple mention erronée, car les dates figurant dans les autres procès-verbaux correspondaient bien aux faits dont le juge était saisi. En revanche, sur les questions posées par les enquêteurs, elle aboutit à la cassation de l’arrêt. Au visa de l’article 80 du code de procédure pénale, après avoir rappelé le principe de la saisie in rem et la possibilité offerte au juge d’instruction de procéder à des vérifications sommaires destinées à apprécier la vraisemblance des faits, elle a constaté que les questions posées excédaient nécessairement ce cadre. En effet, elles portaient essentiellement sur le virement du 14 mai 2014, qui, au jour de la mesure, n’avait pas encore fait l’objet d’un réquisitoire supplétif. En outre, les questions ont été posées dans un cadre coercitif, celui de la garde à vue.
Cette solution, bien que globalement conforme à la jurisprudence relative aux investigations sommaires, appelle plusieurs observations. Premièrement, la chambre criminelle ne fait pas référence à la notion d’urgence dans son attendu de principe. Ce n’est pas une surprise : même si cette condition pouvait être retrouvée dans des arrêts récents (v. par ex., Crim. 15 avr. 2015, n° 14-87.620), les dernières décisions relatives aux vérifications sommaires ne l’évoquent pas systématiquement (v. par ex., Crim. 15 juin 2016, n° 15-86.043, Dalloz actualité, 22 juin 2016, obs. A. Portmann ; ibid., 12 juill. 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 1375  ). Deuxièmement, on peut estimer que la double référence aux questions sur les faits et au cadre coercitif ne renvoie pas à des critères cumulatifs. En effet, la chambre criminelle a déjà estimé que des questions circonstanciées posées à un témoin qui avait préalablement tenu des propos incriminants à l’encontre de son père devant la police excédaient de simples vérifications sommaires, indépendamment de toute contrainte (Crim. 8 juin 2017, n° 17-80.709, Dalloz actualité, 29 juin 2017, obs. W. Azoulay ; D. 2017. 1252
). Deuxièmement, on peut estimer que la double référence aux questions sur les faits et au cadre coercitif ne renvoie pas à des critères cumulatifs. En effet, la chambre criminelle a déjà estimé que des questions circonstanciées posées à un témoin qui avait préalablement tenu des propos incriminants à l’encontre de son père devant la police excédaient de simples vérifications sommaires, indépendamment de toute contrainte (Crim. 8 juin 2017, n° 17-80.709, Dalloz actualité, 29 juin 2017, obs. W. Azoulay ; D. 2017. 1252  ; AJ pénal 2017. 406, obs. A. Oudoul
 ; AJ pénal 2017. 406, obs. A. Oudoul  ). L’absence de coercition n’est donc plus un critère suffisant d’appréciation.
). L’absence de coercition n’est donc plus un critère suffisant d’appréciation.
Validité des réquisitions bancaires : admission des mesures coercitives à l’égard des tiers dans le cadre des vérifications sommaires ?
Après avoir découvert l’existence du virement du 14 mai 2024, mais avant que le juge d’instruction soit saisi de ce fait, les enquêteurs ont adressé des réquisitions à l’établissement bancaire de la personne soupçonnée, puis ont exploité les données ainsi recueillies. La chambre de l’instruction a refusé d’annuler les réquisitions et les procès-verbaux consécutifs, aux motifs que les investigations visaient à caractériser un délit nouveau en lien avec ceux dont le juge d’instruction était déjà saisi et qu’aucun acte coercitif n’avait été réalisé. Pour préciser la notion, les juges du fond ont donné quelques exemples d’actes qui, selon eux, pouvaient recevoir ce qualificatif : l’interpellation, la garde à vue, le mandat.
La question de savoir quels actes d’enquête ou d’instruction ont un caractère coercitif est délicate, car la notion ne fait pas l’objet d’une définition univoque. Dans sa conception la plus restrictive, à l’instar de celle de la cour d’appel, elle se limite aux actes ayant une incidence sur la liberté d’aller et venir de la personne concernée par la mesure. Pour un des premiers auteurs à avoir étudié la notion, il s’agissait plus généralement des « actes qui portent atteinte à la liberté » (J. Pradel, La saisine matérielle du juge d’instruction en cas de faits nouveaux, D. 1996. 198  ). Des travaux doctrinaux plus récents la définissent comme un acte « générateur d’un grief direct et spécifique, qui consiste en une atteinte grave à certaines libertés individuelles » (P. Collet, L’acte coercitif en procédure pénale, éd. Panthéon-Assas, 2018, n° 608), tout en écartant du contenu de la notion les différentes formes de contrainte psychologique, comme la menace de sanction pénale (op. cit., nos 503 s.). Sans expliciter la conception de la coercition qu’elle retient, la Cour de cassation a déjà estimé que des réquisitions n’étaient pas des actes coercitifs (Crim. 1er févr. 2011, n° 10-83.523 ; 22 mars 2016, n° 15-83.207, Dalloz actualité, 24 mars 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 713
). Des travaux doctrinaux plus récents la définissent comme un acte « générateur d’un grief direct et spécifique, qui consiste en une atteinte grave à certaines libertés individuelles » (P. Collet, L’acte coercitif en procédure pénale, éd. Panthéon-Assas, 2018, n° 608), tout en écartant du contenu de la notion les différentes formes de contrainte psychologique, comme la menace de sanction pénale (op. cit., nos 503 s.). Sans expliciter la conception de la coercition qu’elle retient, la Cour de cassation a déjà estimé que des réquisitions n’étaient pas des actes coercitifs (Crim. 1er févr. 2011, n° 10-83.523 ; 22 mars 2016, n° 15-83.207, Dalloz actualité, 24 mars 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 713  ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers
 ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers  ; AJ pénal 2016. 261, obs. P. de Combles de Nayves
 ; AJ pénal 2016. 261, obs. P. de Combles de Nayves  ).
).
Toutefois, la chambre criminelle n’a pas repris cette affirmation dans l’arrêt commenté. À la place, elle a retenu qu’une « réquisition adressée à un établissement bancaire est un acte d’investigation dépourvu de tout caractère coercitif à l’égard de la personne mise en cause ». Elle en déduit donc que les officiers de police judiciaire avaient procédé à des vérifications sommaires. De prime abord, cette différence de motivation ne change pas la solution. Elle ouvre néanmoins une brèche, car l’attendu peut être interprété comme permettant de réaliser des actes coercitifs pour des faits en dehors de la saisine du juge dès lors que la contrainte ne s’exerce que sur des tiers. Tel serait par exemple le cas d’une perquisition dans les locaux d’une personne qui n’est pas soupçonnée. En outre, il est difficile de savoir si toutes les réquisitions sont dépourvues de caractère coercitif pour la Cour de cassation, notamment celles qui portent sur les données de trafic et de localisation. Enfin, on peut remarquer que la réquisition et l’exploitation des données en résultant ont pris un certain temps. Mais là encore, la Haute juridiction n’a pas repris la notion d’urgence, laissant entendre que le critère est définitivement abandonné.
En définitive, le présent arrêt marque un certain recul de la jurisprudence : alors qu’elle avait admis que des actes non coercitifs puissent dépasser les limites des vérifications sommaires, elle semble aujourd’hui retenir que des actes contraignants peuvent aussi recevoir cette qualification. Indéniablement, la notion de vérifications sommaires a des frontières mouvantes ; à cet égard, il n’est pas sans danger qu’elle serve de modèle à des pseudo-actes d’enquête au formalisme réduit.
Crim. 6 nov. 2024, F-B, n° 24-82.023
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