Les oiseaux de plaine font plier les bassines

Quatre autorisations de créer des réserves – dites « mégabassines » – situées sur le bassin de la Sèvre Niortaise-Mignon, dont celle de Sainte-Soline, sont annulées en tant qu’elles ne prévoient pas de dérogation « espèces protégées ».

C’est un petit oiseau au cri bref et sec, l’outarde canepetière, qui vient de donner un coup d’arrêt, qui ne sera peut-être que provisoire, à quatre réserves de substitution situées sur le bassin de la Sèvre Niortaise-Mignon.

Par un arrêté du 23 octobre 2017, modifié en 2020, les préfets des Deux-Sèvres, de la Charente-Maritime et de la Vienne ont autorisé la société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres à construire et exploiter seize réserves, pour une capacité de 7 027 594 m3.

Par un premier jugement, le Tribunal administratif de Poitiers a estimé que, pour neuf d’entre elles, le volume d’eau pouvant être prélevé était supérieur à celui autorisé par le règlement du schéma d’aménagement et de gestion des eaux. Par un arrêté du 22 mars 2022, l’administration a de nouveau réduit la capacité totale de stockage des retenues pour la porter à 6 194 042 m3. Le Tribunal administratif de Poitiers, par un nouveau jugement du 11 avril 2023, a estimé que ces modifications remédiaient aux illégalités relevées et a rejeté le recours formé contre l’autorisation délivrée à la société coopérative anonyme de l’eau des Deux- Sèvres. Les associations requérantes ont contesté ces jugements devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui, par un arrêt très détaillé, a jugé que le projet portait une atteinte significative à des espèces végétales et animales protégées − s’agissant des réserves SEV14, SEV15, SEV24 et SEV26 − alors même que l’autorisation délivrée ne comportait pas de dérogation « espèces protégées ».

Gestion de l’eau maîtrisée…

S’agissant des volumes d’eau pouvant être prélevés, la cour relève que le préfet a assorti l’autorisation litigieuse de prescriptions particulières relatives notamment aux conditions de remplissage des réserves. Ainsi, en cas de doute sur la fiabilité des mesures, le bénéficiaire de l’autorisation doit cesser tout remplissage et prendre contact sans délai avec le service en charge de la police de l’eau. La cour constate également que les prélèvements doivent être effectués entre le 1er novembre et le 31 mars et qu’ils ne peuvent débuter que lorsque la cote de la ressource souterraine et le débit du cours d’eau sont supérieurs aux seuils fixés mensuellement. Aussi, la cour écarte le moyen tiré de ce que le projet litigieux méconnaîtrait le principe d’une gestion équilibrée et durable de l’eau.

En revanche, le projet en litige s’implante dans un secteur sensible pour l’avifaune de plaine et notamment pour l’outarde canepetière, l’œdicnème criard ou les busards. Si la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites, l’autorité administrative peut déroger à ces interdictions « dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d’une part, à l’absence de solution alternative satisfaisante, d’autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur ».

… mais danger pour l’espèce concernée

Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation « espèces protégées » si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. À ce titre, précise la cour, « les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte ». Dans l’hypothèse où les mesures proposées présentent, sous le contrôle de l’administration, des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé, il n’est pas nécessaire de solliciter une dérogation.

Mais, relève la cour, « compte tenu de l’évolution des pratiques agricoles depuis les années 1970, la dégradation des habitats propices à l’outarde canepetière montre l’importance capitale pour la survie de l’espèce de la population installée sur le secteur de la ZPS de la Plaine de la Mothe-Saint-Héray-Lezay ». Les quatre réserves les plus proches de cette zone sont de nature à détruire tout ou partie de l’habitat de cette espèce et lui porte une atteinte caractérisée. En conséquence, la cour annule les arrêtés s’y rapportant en tant qu’ils ne comportent pas de dérogation « espèces protégées ». Et elle suspend l’exécution de ces arrêtés, en ce qui concerne ces réserves, « jusqu’à la délivrance éventuelle de la dérogation prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement ».

 

CAA Bordeaux, 18 déc. 2024, Association Poitou-Charentes Nature et autres, nos 21BX02981 et 23BX01579

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