Les ouvrages non soumis à l’aune des principes de qualification de l’ouvrage immobilier

L’assurance obligatoire de responsabilité décennale n’a pas vocation à garantir les ouvrages dits non soumis qui figurent à l’article L. 243-1-1, I, du code des assurances. Ce texte, posant une exception au principe voulant que tout ouvrage est couvert par une police obligatoire, est d’interprétation stricte. Ainsi, en présence d’une pluralité d’ouvrages pour un même programme, chaque ouvrage est analysé de manière autonome.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 juin 2023 est essentiel. Il l’est, d’abord, car il est le premier à intervenir sur la notion d’ouvrage non soumis à l’obligation d’assurance (seul le § II portant sur la couverture assurantielle des désordres affectant les existants avait fait l’objet d’interprétation par la troisième chambre). Il l’est, encore, en ce qu’il s’inscrit dans une perspective plus vaste : celle de la définition progressive des modalités de qualification de la notion d’ouvrage et de ses composantes (notion d’ouvrages au pluriel comportant des parties d’ouvrages, des éléments d’équipement dissociables ou non, des éléments dissociables de l’immeuble).

Pour percevoir ces deux enjeux, il faut bien appréhender les faits de l’espèce. Le projet immobilier, objet des contrats de louage d’ouvrage conclus en 2006, visait à la construction d’un bâtiment de stockage de déchets. Ce projet comportait la réalisation d’un bassin d’orage (élément connexe à l’installation principale de traitement des déchets et permettant à la fois la gestion des eaux pluviales excédentaires en stockant temporairement ces excédents et pouvant aussi participer au traitement partiel de ces eaux usées). Il doit encore être observé que ce type de bassin n’est pas géographiquement intégré dans l’ouvrage principal de stockage de déchets, l’arrêt soulignant que le bassin d’orage est en « périphérie des installations ». Le dommage matériel affectant cet ouvrage avait-il vocation à relever de l’assurance de responsabilité décennale obligatoire (C. assur., art. L. 241-1) ou de l’assurance de responsabilité décennale non obligatoire (C. assur., art. L. 243-1-1, I) ? L’enjeu était ici majeur, puisque seule la garantie d’assurance obligatoire avait été souscrite, à l’exclusion de toute garantie pour les ouvrages non soumis.

De l’interprétation de la notion d’ouvrage non soumis à l’aune de la réforme du 5 juin 2005

Le contrat ayant été conclu postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 5 juin 2005, l’article L. 243-1-1, I, était applicable, l’article 5 de ladite ordonnance prévoyant que le texte est applicable aux marchés et contrats conclus après la publication de l’ordonnance. En revanche, la modification apportée à ce texte par la loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008, ayant ajouté à l’alinéa 2 un ouvrage supplémentaire, à savoir « les ouvrages de stockage et de traitement de solides en vrac, de fluides et liquides », n’avait pas vocation à s’appliquer à la présente espèce.

Le premier apport de l’arrêt tient à l’affirmation d’une évidence : le texte comporte deux listes d’ouvrages non soumis à l’obligation d’assurance, la première (1er al. de l’art. L. 243-1-1, I) contient des ouvrages qui sont exclus de manière absolue de l’assurance obligatoire ; la seconde (second alinéa du même texte) vise, quant à elle, des ouvrages qui en sont exclus de manière relative. En effet, pour cette seconde catégorie, l’exclusion vaut si et seulement si ces ouvrages ne sont pas l’accessoire d’un ouvrage soumis à l’obligation d’assurance.

En l’espèce, c’est l’exclusion absolue qui pouvait in abstracto être concernée, le centre de tri des déchets pouvant relever, de prime abord, de la catégorie des ouvrages de traitement de déchets visée par l’alinéa 1er. Restait à savoir si le dommage affectant le bassin d’orage construit en périphérie pouvait se rattacher à cet ouvrage.

La Cour de cassation va ici exclure l’application de ce texte. Pour ce faire, elle s’appuie sur une logique explicite relative à l’article L. 243-1-1, I, du code des assurances, posant ainsi une ligne d’interprétation quant à l’application future de ce texte qui dépasse largement la présente espèce. En effet, elle affirme dans son 9e motif que les listes dressées par ce texte constituent une exception au principe de l’application de l’assurance obligatoire aux ouvrages immobiliers. Partant, et c’est incontestable, une exception reste toujours d’interprétation stricte.

Il découle de ce premier principe explicite une évidence : le bassin d’orage n’est pas strictement un ouvrage de traitement des déchets. Il s’agit d’un ouvrage destiné à récupérer des excédents d’eaux pluviales lors d’un évènement climatique intense. Il ne constitue pas davantage une canalisation ou un réseau divers. Il aurait pu relever de la notion d’ouvrage de stockage et de traitement de liquides, mais dans sa rédaction de 2005, l’article L. 243-1-1, I, du code des assurances ne visait pas encore ce type d’ouvrages dans les catégories des ouvrages non soumis.

Ainsi, l’ouvrage affecté de désordre n’était pas un ouvrage non soumis. Pouvait-il néanmoins être exclu du champ de l’assurance obligatoire par le biais du critère de l’accessoire ?

De la perspective de l’interprétation de la notion d’ouvrage non soumis à l’aune des principes de qualification de la notion d’ouvrage

Tel était l’argument de l’assureur de responsabilité décennale qui estimait, non sans une certaine logique, que le bassin d’orage est l’accessoire nécessaire de l’installation de stockage et de traitement de déchet. Si la notion d’accessoire existe bien dans la logique voulue par le « législateur » de 2005, elle est présente dans l’alinéa 2 du I de l’article L. 243-1-1 du code des assurances et sert, comme il a été vu, à « racheter » un ouvrage non soumis pour finalement le soumettre à l’assurance obligatoire en raison de son lien avec l’ouvrage principal dès lors que celui-ci est soumis à l’obligation d’assurance. Ainsi, un ouvrage piétonnier qui conduit à un immeuble d’habitation en est l’accessoire et se trouve ainsi soumis à l’obligation d’assurance.

Reste que ce n’est pas cette logique de l’accessoire de l’alinéa 2 de l’article L. 243-1-1, I, du code des assurances qui était ici invoquée. Il s’agissait, en réalité, de déterminer dans quelle mesure on devait ou non qualifier l’ouvrage principal (centre de tri et de valorisation des déchets) avec son ouvrage accessoire (bassin d’orage). C’est ici moins la logique de l’accessoire que celle de la qualification globalisante qui est concernée. Doit-on appliquer une qualification universelle ou distributive à l’ensemble d’un programme relevant des ouvrages non soumis?

Il existe ici deux logiques qui peuvent sembler antagonistes, mais qui en réalité sont bien complémentaires.

La première logique tient à la qualification globalisante de la notion d’ouvrage. La jurisprudence de la Cour de cassation estime en effet, de manière constante, depuis un arrêt de principe du 11 septembre 2013 (Civ. 3e, 11 sept. 2013, n° 12-19.483 P, Dalloz actualité, 30 sept. 2013, obs. F. Garcia ; D. 2013. 2173  ; RDI 2013. 536, obs. P. Malinvaud  ; ibid. 544, obs. P. Dessuet  ; ibid. 2014. 40, obs. H. Périnet-Marquet  ; v. ensuite Civ. 3e, 27 janv. 2015, n° 13-25.514, RDI 2015. 185, obs. P. Malinvaud  ; 4 févr. 2016, n° 14-26.842), que l’on ne saurait dissocier les différentes parties d’ouvrage, éléments d’équipement et éléments dissociables de l’immeuble (on parle ici des ouvrages), lorsque l’on cherche à savoir si on est en présence d’un ouvrage (au singulier). L’ouvrage est une universalité qui intègre l’ensemble de ses composantes et forme un tout qui est qualifié d’ouvrage. Cette logique de qualification unitaire a encore été mise en œuvre plus récemment à une échelle plus fine relativement à un composant de l’ouvrage, en l’occurrence un élément d’équipement (Civ. 3e, 14 déc. 2022, n° 21-19.377, logique qui apparaissait en filigrane de Civ. 3e, 1er mars 2011, n° 10-15.208).

La seconde logique apporte une limite certaine à cette logique unitaire. La jurisprudence estime en effet nettement que, lorsqu’il existe plusieurs bâtiments implantés de manière distincte au sol, on doit admettre l’existence d’une pluralité d’ouvrages. Tel est par exemple le cas en présence d’un grand nombre de villas, chacune étant implantée de manière autonome (Civ. 3e, 4 nov. 2004, n° 03-13.414 P, RDI 2005. 57, obs. P. Malinvaud  ; RGDA 2005. 165, note J.-P. Karila). Dans le même sens, il appartient au juge de rechercher si une clôture ne constitue pas, en elle-même, un ouvrage immobilier (Civ. 3e, 17 févr. 1999, n° 96-21.149 P, D. 1999. 74  ; RDI 1999. 257, obs. P. Malinvaud  ; Defrénois 1999. 1132, note H. Périnet-Marquet). Le présent arrêt illustre selon nous une mise en œuvre de ce principe. La Cour de cassation estime clairement que le bassin d’orage n’est pas le centre de tri et de valorisation des déchets. Les deux ouvrages sont distincts. La qualification unitaire, qui aurait pu être envisagée en application de la première logique, est en quelque sorte exclue par la seconde logique qui est priorisée. Le critère géographique de qualification de l’ouvrage conduit ici à admettre qu’il existe, non pas un ouvrage, mais deux ouvrages. C’est ce qui explique la cassation de l’arrêt d’appel et l’admission de l’application de l’assurance obligatoire. C’est probablement ce qui explique aussi que les conclusions de l’avocat général ont ici été écartées, ce dernier ayant raisonné sur la base de la logique de qualification unitaire.

Portée de l’arrêt

Notons qu’en appliquant ici un critère de qualification géographique et en admettant l’indépendance des deux ouvrages, la Cour de cassation renforce le principe d’interprétation stricte de l’article L. 243-1-1, I ,du code des assurances. Il en découle des enjeux importants en matière de souscription et de déclaration de risque pour l’assuré titulaire d’une police d’abonnement induisant une déclaration spéciale quant aux ouvrages non soumis. La logique de qualification distributive à l’intérieur d’une opération de travaux portant sur un ouvrage non soumis oblige à déterminer au sein de cette opération les différents ouvrages mis en œuvre. S’il existe un seul ouvrage (implantation unique ou continuité d’implantation comme par exemple une autoroute), tous les travaux s’intègrent à cet ouvrage. En revanche, s’il existe plusieurs implantations, par exemple plusieurs bâtiments, alors la qualification est distributive et seuls les ouvrages visés à l’article L. 243-1-1 du code des assurances seront non soumis. Ainsi, un bâtiment administratif sur le site d’une centrale de production d’électricité devrait être qualifié indépendamment de l’ouvrage de production d’énergie, quand bien même l’activité administrative est liée à cette production. En revanche, une opération de travaux aboutissant à l’intégration dans un même bâtiment de l’activité administrative et de la production d’énergie relèvera des ouvrages non soumis. Il conviendra évidemment de conforter cette première analyse à l’aune des arrêts qui interviendront à l’avenir sur ce sujet essentiel.

 

© Lefebvre Dalloz