Les pouvoirs du juge judiciaire limités en cas de mise à la retraite d'office d'un salarié protégé

Dès lors qu'un employeur obtient l'autorisation de l'autorité administrative pour mettre d'office à la retraite un salarié protégé ayant atteint les 70 ans, ce dernier ne pourra demander au juge judiciaire l'indemnisation au titre de la perte d'emploi consécutive à la rupture du contrat de travail fondée sur une cause objective, quand bien même le salarié invoquerait un harcèlement moral.

L’employeur qui décide de mettre d’office à la retraite un salarié protégé est contraint d’engager une procédure particulière.

Tout comme pour la mise à la retraite d’office d’un salarié non protégé, l’employeur doit s’assurer que le salarié a au moins 70 ans (article L.1237-5 du code du travail). Cette condition d'âge remplie, l'employeur peut prononcer la mise à la retraite sans l'accord du salarié. Dans le cas d’un salarié protégé, il doit également respecter la procédure spéciale relative au licenciement des représentants du personnel (entretien préalable, avis du CSE, autorisation de l’inspection du travail).

Ce cas de figure a fait l’objet d’un contentieux sur lequel la chambre sociale de la Cour de cassation a statué dans un arrêt du 4 octobre 2023.

Mise à la retraite d'office d'une salariée protégée ayant atteint 70 ans

Dans cette affaire, une salariée déléguée syndicale invoquant notamment des faits de discrimination syndicale et de harcèlement moral saisit le conseil de prud’hommes en mai 2016 et demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail. La salariée fête son 70e anniversaire début juin 2016. Peu de temps après, son employeur engage à son encontre la procédure de mise à la retraite d’office rappelée ci-dessus. L’inspecteur du travail sollicité donne son accord et la salariée quitte l’entreprise à la fin de son préavis.

La salariée saisit le juge judiciaire d’une demande de dommages-intérêts pour perte d’emploi fondée sur la circonstance qu’elle avait été mise à la retraite par l’employeur en représailles de son action en résiliation judiciaire pour harcèlement moral. Sa demande est rejetée par la cour d’appel, après avoir vérifié le respect de la procédure et des conditions de la mise à la retraite d’office.

Pas de préjudice résultant de la perte d'emploi en cas de mise à la retraite d'office valide

La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond et écarte l’indemnisation pour perte d’emploi.

La chambre sociale explique qu’à partir du moment où l’autorisation a été donnée par l’autorité administrative, celle-ci "fait obstacle à ce que le salarié demande devant la juridiction prud’homale l’indemnisation pour perte d’emploi consécutive à la rupture du contrat de travail fondée sur une cause objective", à savoir l’âge légal de départ à la retraite d’office atteint par la salariée, et ce "quand bien même le salarié invoquerait la décision de l’employeur de mise à la retraite au titre d’un harcèlement moral".

Cette solution, la première sur cette question à notre connaissance, tout en veillant à ne pas enfreindre le principe de séparation des pouvoirs, vient protéger la rupture du contrat de travail autorisée par l’administration fondée sur la "cause objective". La procédure ayant bien été respectée (convocation à un entretien préalable après son 70e anniversaire et autorisation de l’inspecteur du travail devenue définitive), la demande de dommages-intérêts pour perte d’emploi doit être écartée.

 

© Lefebvre Dalloz