Les procédures judiciaires de changement de prénom et de sexe à l’état civil validées

Le Conseil d’État valide les circulaires relatives au changement de sexe et de prénom à l’état civil en précisant notamment que l’apparence physique ou le jugement de tiers ne jouent pas un rôle prépondérant dans la décision du juge et que l’obligation de se présenter personnellement lors de la demande de changement n’est pas excessive.

Dans un arrêt du 27 janvier 2025, le Conseil d’État se prononce en faveur de la légalité des circulaires du 17 février 2017 et du 10 mai 2017 concernant respectivement les procédures judiciaires de changement de prénom et de modification de la mention du sexe à l’état civil.

Un recours en excès de pouvoir a en effet été déposé contre la décision implicite par laquelle le garde des Sceaux a refusé d’annuler ces circulaires. Comme le rappelle le Conseil d’État, le recours doit être accueilli si le texte en cause « fixe une nouvelle règle entachée d’incompétence, si l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s’il est pris en vue de la mise en œuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure ».

Pour rappel, les circulaires du 17 février 2017 et du 10 mai 2017 présentent les dispositions de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle qui modifient l’article 60 du code civil relatif au changement de prénom et créent dans le même code une nouvelle section, comprenant les articles 61-5 à 61-8, relative à la modification de la mention du sexe à l’état civil.

Demande de changement de prénom : l’exigence d’un intérêt légitime justifié

Le Conseil d’État examine en premier lieu la circulaire du 17 février 2017. Il rappelle qu’aux termes de l’article 60 du code civil : « Toute personne peut demander à l’officier de l’état civil à changer de prénom. (…). S’il estime que la demande ne revêt pas un intérêt légitime (…), l’officier de l’état civil saisit sans délai le procureur de la République. Il en informe le demandeur. Si le procureur de la République s’oppose à ce changement, le demandeur, ou son représentant légal, peut alors saisir le juge aux affaires familiales ».

Était notamment en cause la mention dans la circulaire des pièces permettant de justifier d’un intérêt légitime au changement de prénom sollicité à remettre avec la demande. Le Conseil d’État relève que « le garde des Sceaux, qui, au demeurant, n’a donné d’exemples de ces pièces qu’"à titre indicatif", s’est borné à prescrire aux services placés sous son autorité les mesures nécessaires pour que, ainsi que la loi le prévoit, ils puissent, au vu de la demande qui leur est présentée, apprécier s’il y a lieu de saisir sans délai le procureur de la République ». Il conclut qu’il n’a pas excédé les limites de sa compétence.

La Haute juridiction administrative relève également que « les éléments susceptibles d’être pris en compte pour caractériser l’intérêt légitime permettant le changement de prénom sont variés et propres à chaque personne. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne résulte pas de ces dispositions, concernant les personnes qui demandent le changement à raison de leur identité de genre, que des critères tenant à leur seule apparence devraient prévaloir. Il ne résulte pas plus de ces dispositions que les personnes dites "intersexes" et "non-binaires" ne pourraient pas procéder à un changement de prénom ».

Demande de changement de prénom : l’obligation de se présenter personnellement n’est pas excessive

Le Conseil d’État relève par ailleurs que « l’obligation faite au demandeur de se présenter personnellement pour formuler une demande de changement de prénom ne peut pas être regardée comme excessive eu égard aux conséquences, pour l’état civil des personnes, attachées à un tel changement ».

Changement de la mention du sexe : l’apparence physique n’est pas déterminante dans la décision du juge

Il examine en second lieu la circulaire du 10 mai 2017 relative au changement de la mention du sexe.

Aux termes de l’article 61-5 du code civil : « Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification. Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être : 1° Qu’elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ; 2° Qu’elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ; 3° Qu’elle a obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué ».

Aux termes de l’article 61-6 du même code : « La demande est présentée devant le tribunal judiciaire. Le demandeur fait état de son consentement libre et éclairé à la modification de la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil et produit tous éléments de preuve au soutien de sa demande. Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande ».

La circulaire rappelle que, si la preuve d’un seul des faits mentionnés par l’article 61-5 est insuffisante, « les trois circonstances qui sont expressément énoncées par le législateur ne sont pas exclusives. Ainsi, les personnes concernées peuvent faire état d’autres éléments, le faisceau d’indices pouvant parfaitement être constitué : soit de plusieurs éléments de cette liste ; soit d’un seul élément de la liste proposée et d’un autre non compris dans celle-ci ; soit d’éléments tous non compris dans cette liste ». Elle ajoute que « Le premier critère énoncé par l’article 61-5 du code civil a trait à l’identité de genre vécue, tandis que le deuxième révèle la dimension sociale de son appartenance au sexe revendiqué. Ils peuvent l’un comme l’autre être prouvés par les témoignages de personnes (…), par tout écrit, photographie permettant d’établir que la personne se présente sous l’identité de genre revendiquée », tels que des attestations ou documents permettant de caractériser que la personne concernée est connue et se revendique de l’autre sexe.

Le Conseil d’État relève que « le législateur, en faisant référence à une "réunion suffisante de faits" a admis, comme l’indique la circulaire attaquée, la mise en œuvre d’une méthode reposant sur un faisceau d’indices (…) il appartient donc à la personne concernée de faire valoir les éléments qui lui paraissent pertinents et, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l’apparence de la personne ou le jugement de tiers ne jouent aucun rôle prépondérant dans la mise en œuvre des différents critères d’appréciation ».

Absence de discrimination et d’atteinte excessive à l’autonomie personnelle

Le Conseil d’État écarte enfin le grief d’inconventionnalité de ces deux circulaires : « eu égard à la nécessité pour l’État d’assurer le respect du principe de l’indisponibilité de l’état des personnes et de garantir la fiabilité et la cohérence de l’état civil et la sécurité juridique, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les circulaires attaquées porteraient une atteinte excessive à l’autonomie personnelle qui découle du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni qu’elles seraient constitutives d’une discrimination prohibée par l’article 14 de la même Convention ».

Il relève notamment que « les démarches prescrites pour obtenir le changement de la mention du sexe et du prénom n’impliquent pas par elles-mêmes des délais de nature à maintenir ces personnes pour une durée excessive dans une telle situation », et que « la prise en compte de différents indices ainsi que de pièces justificatives mentionnées à titre facultatif est inhérente à la diversité des situations susceptibles de se présenter et à la recherche d’un juste équilibre entre les intérêts en présence ».

 

CE 27 janv. 2025, n° 492376

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