Levée de la confidentialité du mandat ad hoc en cas d’ouverture d’une procédure collective
Il résulte de l’arrêt que le tribunal, saisi d’une demande d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’égard d’un débiteur qui a bénéficié d’un mandat ad hoc dans les dix-huit mois qui précèdent, peut ordonner, dans un jugement avant-dire droit précédant le jugement d’ouverture du redressement judiciaire, communication des pièces et actes relatifs au mandat ad hoc, nonobstant les dispositions de l’article L. 611-15 du code de commerce.
L’un des principaux atouts des mesures de traitement amiable et anticipé des difficultés, que sont le mandat ad hoc et la procédure de conciliation, est indéniablement leur confidentialité. Celle-ci a pour principal fondement l’article L. 611-15 du code de commerce, aux termes duquel « toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ». L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 22 novembre 2023, destiné à la publication, invite à revenir sur cette exigence de confidentialité et, plus précisément, sur ses limites, cette confidentialité pouvant en effet être levée dans certaines circonstances.
En l’espèce, une société a déclaré son état de cessation des paiements et sollicité l’ouverture d’un redressement judiciaire le 28 septembre 2021. La société a déclaré à cette occasion avoir bénéficié d’une mesure de mandat ad hoc neuf mois plus tôt. Le tribunal, par un jugement du 18 octobre 2021, avant de statuer sur l’ouverture de la procédure collective a, à la demande du ministère public, ordonné la communication des pièces et actes relatifs au mandat ad hoc et a renvoyé l’examen de l’affaire à une date ultérieure. La société a interjeté appel-nullité de ce jugement. Par un jugement du 2 novembre 2021, la société a par la suite été placée en redressement judiciaire. La société débitrice fait grief à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon (Lyon, 14 avr. 2022, n° 21/07676, RPC 2022. Comm. 101, note C. Delattre) de déclarer son appel-nullité irrecevable et de confirmer le jugement, en lui reprochant d’une part, aux termes de la première branche de son moyen unique, d’avoir commis un excès de pouvoir et violé les articles L. 611-15 et L. 621-1, alinéas 5 et 6, du code de commerce en jugeant que la levée de la confidentialité d’un mandat ad hoc pouvait intervenir avant l’audience prononçant l’ouverture d’une procédure collective et, d’autre part, selon la seconde branche du moyen, d’avoir commis un excès de pouvoir en violant l’article 562 du code de procédure civile, en ayant déclaré son appel irrecevable tout en confirmant le jugement déféré. Si le moyen pris en sa première branche n’est pas jugé fondé par la Cour de cassation, celle-ci n’en casse pas moins l’arrêt déféré sur le fondement du moyen pris en sa seconde branche. Ce dernier point ne nous retiendra pas. Précisons simplement, qu’au visa de l’article 562 du code de procédure civile, et après avoir rappelé « qu’il résulte de ce texte qu’une cour d’appel qui décide que l’appel dont elle est saisie est irrecevable excède ses pouvoirs en confirmant le jugement qui a fait l’objet de cet appel », la Haute juridiction retient que la cour d’appel a violé le texte susvisé. L’arrêt offre ici une nouvelle illustration d’un cas d’excès de pouvoir, lesquels sont restrictivement admis par la Cour de cassation (v. C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 36e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, spéc. nos 1278 s.). L’excès de pouvoir ouvre la voie d’un recours-nullité, recours contra legem d’origine prétorienne, dans le cadre de la procédure collective lorsque les voies de recours sont fermées par les textes (v. not., F. Pérochon, M. Laroche, Fl. Reille, T. Favario et A. Donnette, Entreprises en difficulté, 11e éd., LGDJ, coll. « Manuel », 2022, spéc. nos 2218 s. ; v. aussi, l’article en trois volets de C. de Lajarte-Moukoko, consacré à l’appel-nullité en droit des procédures collectives, BJE janv. 2014. 53, ibid. juill. 2015. 265 ; ibid. juill. 2018. 271). Quant au moyen pris en sa première branche, sur duquel se concentreront nos développements, postulant une violation en l’espèce de la règle de la confidentialité, la Cour de cassation en le jugeant non fondé livre une précision intéressante sur les limites temporelles de la levée de la confidentialité autorisée par l’article L. 621-1 du code de commerce.
La levée de la confidentialité en cas d’ouverture d’une procédure collective
La confidentialité du mandat ad hoc et de la conciliation protège le débiteur qui bénéficie ainsi d’un cadre lui permettant de négocier avec ses créanciers sans ébruiter l’existence de ses difficultés, avec les conséquences négatives qui en découlent généralement en termes de perte de valeur de l’entreprise, de confiance de ses partenaires et d’accès aux voies de financement externe Elle profite aussi aux créanciers appelés à la négociation dont les décisions – refus d’aider leur débiteur ou au contraire faveurs ou sacrifices consentis à son bénéfice – demeureront secrètes et ne pourront ultérieurement leurs être opposées. Ces différentes facettes de la confidentialité expliquent son large domaine rationae personae, rappelé récemment et à plusieurs occasions par la jurisprudence (Com. 5 oct. 2022, n° 21-13.108, Dalloz actualité, 19 oct. 2022, obs. G. Cesare Giorgini ; D. 2022. 1752
; Rev. sociétés 2022. 706, obs. P. Roussel Galle
; RTD civ. 2023. 170, obs. J. Klein
; RTD com. 2022. 850, obs. F. Macorig-Venier
; RTD com. 2022. 850, obs. F. Macorig-Venier ; Rev. sociétés 2022. 706, note P. Roussel Galle ; J. Klein, RTD. civ. 2023. 170, dirigeant caution de la société débitrice ; 22 sept. 2015, n° 14-17.377 PB, Dalloz actualité, 6 oct. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 1950
; ibid. 2016. 1894, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas
; Rev. sociétés 2015. 761, obs. P. Roussel Galle
; RTD civ. 2016. 114, obs. H. Barbier
; RTD com. 2016. 189, obs. F. Macorig-Venier
. L’obligation de confidentialité est même étendue, de manière audacieuse, à des organes de presse, v. Com. 13 juin 2019, n° 18-10.688 PB, Dalloz actualité, 19 juin 2019, obs. A. Lienhard ; D. 2019. 1903, obs. F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2019. 553, note L.-C. Henry ; RTD com. 2019. 978, note F. Macorig-Venier ; 13 févr. 2019, n° 17-18.049 P+B+I, Dalloz actualité, 5 mars 2019, obs. G. Teboul ; D. 2019. 308, et les obs.
; ibid. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; Rev. sociétés 2019. 691, Notice F. Reille
; Légipresse 2019. 135 et les obs.
; ibid. 2020. 322, étude N. Mallet-Poujol
; RTD com. 2019. 978, obs. F. Macorig-Venier
; 4 oct. 2018, n° 18-10.688 QPC ; Rev. sociétés 2018. 743, obs. L. C. Henry
; Légipresse 2018. 553 et les obs.
; RTD com. 2019. 978, obs. F. Macorig-Venier
; 15 déc. 2015, n° 14-11.500, P+B+I, D. 2016. 5, obs. A. Lienhard ; ibid. 1894, obs. F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2016. 193, note P. Roussel Galle ; RTD com. 2016. 191, note F. Macorig-Venier).
Le principe de confidentialité n’en connaît pas moins des limites, car plusieurs dispositions du Livre VI du code de commerce autorisent expressément, ou conduisent implicitement mais nécessairement, à une levée de la confidentialité.
Ainsi, l’homologation de l’accord de conciliation lève la confidentialité de cette procédure car le jugement d’homologation est déposé au greffe où tout intéressé peut en prendre connaissance et un avis du jugement d’homologation est publié au BODACC et dans un support d’annonces légales (C. com., art. L. 611-10 et R. 611-43). Par ailleurs, lorsqu’un débiteur sollicite l’ouverture d’une procédure de sauvegarde accélérée, laquelle ne peut exister décorrélée d’une procédure de conciliation préalable (C. com., art. L. 628-1), l’article L. 628-2 du code de commerce prévoit que le tribunal statue sur l’ouverture de la procédure après un rapport du conciliateur portant notamment sur le déroulement de la conciliation et peut obtenir communication des pièces et actes relatifs à la conciliation et, le cas échéant, au mandat ad hoc nonobstant les dispositions de l’article L. 611-15. Citons également, concernant la procédure de sauvegarde « ordinaire », l’article L. 621-1 du code de commerce, qui était en jeu en l’espèce, dont l’alinéa 5 prévoit que « l’ouverture d’une procédure de sauvegarde à l’égard d’un débiteur qui bénéficie ou a bénéficié d’un mandat ad hoc ou d’une procédure de conciliation dans les dix-huit mois qui précèdent doit être examinée en présence du ministère public, à moins qu’il ne s’agisse de patrimoines distincts d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée » et dont le 6e alinéa précise que « dans ce cas, le tribunal peut, d’office ou à la demande du ministère public, obtenir communication des pièces et actes relatifs au mandat ad hoc ou à la conciliation, nonobstant les dispositions de l’article L. 611-15 ».
Cette disposition est applicable à la procédure de redressement judiciaire par renvoi de l’article L. 631-7, alinéa 1er, du code de commerce et à la procédure de liquidation judiciaire par renvoi de l’article L. 641-1 de ce même code. L’article R. 611-44 précise quant à lui « qu’en application de l’article L. 621-1 », l’accord de conciliation homologué peut être transmis à l’autorité judiciaire. En l’espèce, le tribunal ayant ouvert la procédure de redressement judiciaire avait d’abord, par un jugement avant-dire droit, à la demande du ministère public (lequel, en pratique, est le plus souvent à l’origine de la demande de levée de la confidentialité, v. C. Delattre, La levée de la confidentialité est prévue par la loi mais repose sur un cadre procédural strict, RPC 2013. Comm. 160), ordonné la communication des pièces et actes relatifs au mandat ad hoc antérieur. La société débitrice estime que le tribunal a commis un excès de pouvoir en lui ordonnant communication de ces pièces et actes, alors qu’aucune procédure collective n’avait été ouverte à son égard, et que la cour d’appel a elle-même commis un excès de pouvoir, en violant les articles L. 611-15, et L. 621-1, alinéas 5 et 6, du code de commerce, en jugeant que la levée de la confidentialité d’un mandat ad hoc pouvait intervenir avant l’audience prononçant l’ouverture d’une procédure collective. L’enjeu était donc ici de déterminer le cadre temporel de la levée de la confidentialité dans le cadre de l’ouverture d’une procédure collective.
Le cadre temporel de levée de la confidentialité
La Cour de cassation, après avoir rappelé les dispositions des alinéas 5 et 6 de l’article L. 621-1, juge le moyen infondé. L’arrêt vient préciser les limites temporelles de la levée de la confidentialité « en amont » du jugement d’ouverture de la procédure collective. Si la levée de la confidentialité intervient généralement dans le jugement d’ouverture (v. C. Delattre, préc. ; Rapp., T. com. Coutances, 10 janv. 2017, n° 2017/000017, LEDEN févr. 2017, p. 2, tribunal de commerce saisi d’une demande d’ouverture d’un redressement judiciaire qui avait levé la confidentialité et convoqué à l’audience le mandataire ad hoc afin qu’il présente un rapport sur le déroulement de sa mission), elle peut donc aussi être antérieure à celui-ci et résulter d’un jugement avant-dire droit précédant le jugement d’ouverture.
La solution est opportune dès lors que cette levée de la confidentialité vise précisément à éclairer le tribunal et le ministère public, dans la perspective de l’ouverture de la procédure collective, sur l’attitude antérieure du débiteur et de leur donner des éléments supplémentaires pour se faire une exacte présentation de sa situation et de l’opportunité d’ouvrir la procédure (Rapp. C. Delattre, La levée de la confidentialité : pour quoi faire ? [ou la levée des tabous], RPC 2018. Étude 26, spéc. n° 15, l’auteur considère que la levée de la confidentialité permet notamment de déjouer les manœuvres du débiteur et le risque d’instrumentalisation du tribunal).
La solution se justifie également au regard de la lettre du 6e alinéa de l’article L. 621-1 du code de commerce qui n’impose aucunement la levée de la confidentialité dans le jugement d’ouverture. Il nous semble que la Haute juridiction exige cependant une certaine unité de temps et une forme d’unité procédurale entre la décision prononçant la levée de la confidentialité et le jugement d’ouverture de la procédure collective. La levée de la confidentialité doit nécessairement intervenir dans une décision « préparatoire » intimement liée au jugement d’ouverture de la procédure ou, pour reprendre l’expression des juges d’appel lyonnais, d’un « ensemble procédural indissociable » (Lyon, 14 avr. 2022, n° 21/07676, préc).
Pour poursuivre l’analyse, se pose également la question, qui était étrangère à l’arrêt sous commentaire mais qui est en lien avec la délimitation du cadre temporel de la levée de la confidentialité, des limites de cette levée en « aval » du jugement d’ouverture de la procédure collective. Une cour d’appel a jugé qu’une demande de levée de la confidentialité intervenue près d’un an après l’ouverture de la procédure collective ne pouvait être accueillie (Versailles, 24 mai 2022, n° 21/07444, RPC 2022. Comm. 101, note C. Delattre ; LEDEN, juill. 2022, p. 2, obs. J. Allais ; comp., TGI Strasbourg, 25 juin 2018, n° 18/01056, RPC 2018. Comm. 183, note C. Delattre, levée de la confidentialité décidée par le tribunal lors du renouvellement de la période d’observation) tandis qu’une autre cour d’appel retenait que la demande de communication de pièces relatives à un mandat ad hoc ou une conciliation ne se justifie pas si elle n’est pas en lien avec la demande d’ouverture d’une procédure collective (Nîmes, 16 juin 2016, n° 14/03581). De ces solutions jurisprudentielles mais surtout de la lettre de l’article L. 621-1, alinéas 5 et 6, du code de commerce qui permet au tribunal d’obtenir communication des documents relatifs à une procédure préventive antérieure « dans ce cadre » c’est-à-dire « lors de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde », disposition qui doit être interprétée de manière restrictive car elle fonde une exception à un principe essentiel du mandat ad hoc et de la conciliation, il apparaît que la levée de la confidentialité ne pourrait intervenir au plus tard qu’à l’ouverture de la procédure collective (en ce sens, v. égal., C. Delattre, note préc. ; J. Allais, obs. préc.). Il est regrettable que les textes n’en disent rien. Les dispositions sur la levée de la confidentialité mériteraient donc d’être clarifiées, tant sur son cadre temporel, que sur d’autres aspects, que cet arrêt ne mettait pas en lumière mais qui posent difficultés en pratique, comme celui de l’étendue et de la nature des pièces et actes relatifs à la mesure de traitement amiable devant être communiqués ou encore des destinataires de cette communication (v. not., J.-Cl. Proc. coll., fasc. 2030, Procédure de conciliation et concordat amiable, par B. Thullier, sept. 2023, spéc. nos 99 s.).
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