L’exclusion de garantie limitée : renvoi explosif par suite d’une explosion
Dans une affaire, en 2023, la Cour de cassation a rappelé qu’une clause d’exclusion n’est pas limitée lorsqu’elle vide la garantie de sa substance, en ce qu’après son application elle ne laisse subsister qu’une garantie dérisoire, tout en précisant alors, pour la première fois, que le caractère limité de la clause d’exclusion litigieuse devait être apprécié en considération de la garantie « explosion » souscrite par l’assurée, et non au regard de l’ensemble des garanties visées au contrat d’assurance. La cour de renvoi saisie décide que l’assureur doit démontrer que la garantie est efficace au regard des risques auxquels l’assurée est exposée concrètement au regard du type de risque déclaré.
Certaines décisions qui conduisent à la cassation méritent un suivi devant la cour de renvoi car les enseignements peuvent s’ajouter. Tel est le cas à la suite de l’arrêt inédit mais important ayant précisé clairement, pour la première fois par la Haute Cour, que la recherche et l’appréciation du caractère limité d’une exclusion conventionnelle, au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances, devait s’opérer par rapport à la garantie concernée, non au regard de l’ensemble des garanties (Civ. 2e, 9 févr. 2023, n° 21-18.067, Trib. assur. 7 mars 2023, obs. C. Scozzaro ; RCA 2023, Formule 3, par E. Seifert ; LEDA mars 2023, DAS201e2, p. 2, obs. P.-G. Marly ; RCA 2023, n° 111, note V. Tournaire ; BJDA.fr 2023, n° 86, obs. A. Trescases ; RGDA mai 2023, RGA201i2, p. 16, note A. Pélissier ; Gaz. Pal. 11 juill. 2023, n° GPL451x5, p. 49, note D. Noguéro ; JCP E 2023. 1318, n° 5, obs. P.-G. Marly ; RCA 2023. Chron. 5, n° 5, obs. S. Bertolaso). Il s’agissait ici de la garantie « explosion » justifiant la censure de la Cour d’appel d’Angers dans son arrêt confirmatif. Les auteurs s’étaient interrogés sur la méthode à suivre.
Naissance du litige
La Cour d’appel de Rennes a été saisie par la société d’armement et d’études Alsetex SAS, assurée par avenant étendant les garanties souscrites par la société mère. Rappelons brièvement qu’il s’agit d’une filiale du groupe industriel Etienne Lacroix spécialisé dans les systèmes de pyrotechnie appliqués aux secteurs de la défense, du maintien de l’ordre, de la sécurité civile. Le type d’activité a une importance quant à la couverture assurantielle offerte, ici par le biais d’une police dite « périls dénommés et pertes d’exploitation ». En 2014, lors de la manipulation par une salariée de l’usine d’une composition pyrotechnique, un accident est survenu entraînant le décès de cette dernière et des dégâts matériels, par suite de la déflagration, ce qui a conduit à la déclaration du triste sinistre auprès de l’assureur S.A. Allianz IARD.
La recherche des causes exactes du sinistre a été entreprise. En parallèle, l’autorité préfectorale a suspendu l’autorisation d’exploiter la ligne de production touchée, conditionnant la reprise, outre d’autres exigences. Avec les péripéties consécutives que nous n’exposerons pas, se devinent les différents dommages subis et la perte d’activité et d’exploitation. L’assureur a refusé sa garantie en opposant l’exclusion. Selon lui, le sinistre aurait été causé par une explosion d’explosifs ; l’explosion de compositions pyrotechniques ne ferait pas partie des événements garantis. L’explosion d’explosifs n’aurait vocation à être exceptionnellement couverte que lorsqu’elle résulterait d’un événement garanti autre que l’explosion, tel un incendie ou un choc, par exemple. La société assurée a explicité ce qui, selon elle, résulterait d’un incendie entrant dans la garantie. La contestation s’est cristallisée avec un enjeu supérieur à cinq millions d’euros.
On n’entrera pas dans tous les aspects de la décision de renvoi se prononçant notamment sur la demande irrecevable de sursis à statuer de l’assureur dans l’attente de l’issue de la procédure pénale ou sur le moyen du défaut d’aléa en raison d’un élément de la composition, ou sur la faute dolosive de l’assurée (dernièrement, Civ. 2e, 14 mars 2024, n° 22-18.426 B, Dalloz actualité, 21 mars 2024, obs. D. Noguéro), ou sur la justification des préjudices, et même l’anatocisme. Simplement, sur l’exclusion légale, au regard du non-respect de règles de sécurité et de la présence de chlorate de potassium, il sera indiqué que la cour d’appel a justement rappelé que l’existence de l’aléa – ici avérée – pour la validité du contrat (C. civ., anc. art. 1964 visé) s’apprécie au moment de la rencontre des volontés des parties. Autre chose est la perte d’aléa en cours de contrat qui fonde l’exclusion légale. Par ailleurs, pour l’inversion de produit utilisé, a été mise en avant l’erreur humaine non intentionnelle, et l’absence de toute volonté de l’opératrice ou de son employeur, à défaut de preuve, y compris d’infractions alléguées. Il n’y avait donc pas de manquement délibéré avec la conscience que cela occasionnerait.
Données sur les faits, la garantie et ses limites
Concentrons-nous sur l’exclusion conventionnelle pour laquelle la cour de renvoi reprend l’exigence de la deuxième chambre civile. L’arrêt d’appel donne un aperçu des activités sérieusement encadrées de la société ainsi que des lieux du sinistre et des méthodes de travail – ce qui montre la diversité de la tâche de l’avocat devant s’immerger dans un domaine technique pour s’en imprégner avant de revenir au contrat d’assurance. On comprend la bataille des conclusions expertales respectives. Faisons schématique. En tamisant manuellement une partie du lot à réaliser, qui contenait un élément précisé, cela a généré une friction qui a causé un échauffement de la composition pyrotechnique, d’où la prise de feu instantanée, aboutissant au mécanisme explosif des bocaux à proximité, à savoir une propagation. Une réaction en chaîne est ainsi décrite. Pour l’assurée, l’idée est de défendre l’embrasement avant l’explosion. On ne peut tout détailler ici, d’où la lecture instructive des faits de l’affaire à laquelle nous renvoyons. Il est primordial de déterminer techniquement si l’explosion est ou non la conséquence d’un incendie, ce sur quoi s’opposent les parties. Est aussi débattue l’éventuelle explosion d’explosifs. La cour de renvoi a écarté l’incendie préalable à l’explosion, pour privilégier la thèse du point de départ sur le tamis par friction lors de l’opération de tamisage. Selon elle, il est établi que les dommages résultent d’une explosion d’explosifs. Dont acte.
La Cour de Rennes prend soin de reproduire la garantie explosion et son exclusion pour décider de la nullité de cette dernière car elle vide la garantie de toute substance (Cour de cassation, par L. Leroy-Gissinger, F. Besson, S. Ittah et J.-F. Zedda, Les exclusions de garantie en droit des assurances, étude des 2e et 3e chambres civiles, Recueil annuel des études, juill. 2023, p. 51). Cela tranche avec la jurisprudence sur les pertes d’exploitation-virus covid 19 des restaurateurs assurés par AXA, initiée en décembre 2022 et récemment réitérée (Civ. 2e, 14 mars 2024, 9 arrêts, n° 22-20.058 ; n° 22-20.957 ; n° 22-20.959 ; n° 22-19.182 ; n° 22-21.696 ; n° 22-19.183 ; n° 22-16.929 ; n° 22-21.695 et n° 22-22.340, formel seulement ici). En ce domaine, le droit commun de l’obligation essentielle ne comble pas forcément l’appréciation résultant du droit spécial (Civ. 2e, 12 oct. 2023, n° 22-13.759 B, Dalloz actualité, 24 oct. 2023, obs. D. Noguéro ; D. 2023. 1799
; JT 2023, n° 269, p. 13, obs. X. Delpech
; RTD civ. 2023. 859, obs. H. Barbier
). Il faut dire que sur le terrain du caractère formel, Allianz a connu de récents déboires avec la conjonction de subordination « lorsque » nécessitant interprétation (Civ. 2e, 25 janv. 2024, n° 22-14.739 B, Dalloz actualité, 9 févr. 2024, obs. J. Delayen ; solution répétée, Civ. 2e, 14 mars 2024, n° 22-16.305).
Restituons fidèlement le contenu de ces stipulations. Pour la garantie, il est prévu : « 4. Explosion. Il est rappelé que les assureurs garantissent les dommages matériels causés aux biens assurés par les explosions de toute nature, c’est-à-dire, l’action subite et violente, soit de la pression, soit de la dépression de gaz ou de vapeurs, que celles-ci aient existé avant cette action ou après que leur formation lui ait été concomitante, ainsi que par les explosions et coups d’eau des appareils à vapeur et par l’électricité y compris l’électricité atmosphérique. Sont également couverts les dommages résultant de la pression d’un gaz ou d’un fluide introduit volontairement dans une installation à l’occasion d’essais, ainsi que les dommages aux compresseurs moteurs et aux objets ou structures gonflables causés par l’explosion de ces appareils ou objets eux-mêmes, ainsi que les déformations sans rupture causées aux récipients ou réservoirs par une explosion ayant pris naissance à l’intérieur de ceux-ci ». Englobant.
Pour l’exclusion : « Sont exclus de la garantie. 1) les dommages consécutifs à une explosion d’explosifs et/ou produits assimilés de toute nature (feux d’artifice, fusées de détresse, produits pyrotechniques). Ces dommages restent toutefois garantis s’ils sont la conséquence d’un événement garanti autre que l’explosion ». Restrictif avec un tempérament.
Motif de la substance jugée défaillante
Confrontée à ces clauses, la cour de renvoi considère que sont garanties « les explosions survenues pour toutes circonstances autres qu’une explosion d’explosifs ainsi que les explosions d’explosifs (ou produits assimilés) résultant d’un événement garanti tel que l’incendie, le choc d’un véhicule terrestre, la foudre, une tempête, ou un acte de malveillance notamment ». Elle ajoute que « dans la deuxième hypothèse, l’indemnisation interviendra non pas au titre de la garantie explosion mais au titre de l’événement garanti » – ce qui pourrait être, par exemple, un incendie.
Ces prémisses étant posées, la cour de renvoi en vient à ce pourquoi elle a été saisie au sujet du caractère limité de l’exclusion à apprécier pour sa validité. Rappelons la formule désormais consacrée selon laquelle une clause d’exclusion n’est pas limitée lorsqu’elle vide la garantie de sa substance, en ce qu’après son application elle ne laisse subsister qu’une garantie dérisoire. Relevons que la Cour de Rennes va apporter une précision susceptible d’inquiéter fortement les assureurs en exigeant d’eux de commercialiser des garanties, avec leurs limites, correspondant au profil du client. Cela semble évoquer des exigences de la distribution des produits d’assurance. Au moment où l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution insiste afin que la directive distribution de l’assurance (DDA) soit enfin bien mise en œuvre par les professionnels du secteur (Recomm. 2023-R-01 du 17 juill. 2023 sur la mise en œuvre de certaines dispositions issues de la dir. [UE] 2016/97 sur la distribution d’assurances, en vigueur au 1er janv. 2024), dans l’atmosphère de vives discussions sur la juste rémunération du distributeur par rapport au service effectivement rendu (déjà, C. assur., art. L. 521-2, II), le message additionnel pourrait être un sérieux aiguillon.
Dans cette optique, les juges d’appel se reportent à l’activité assez spécifique objet de la couverture qui, généralement, en pratique, conduit à une étude préalable du risque visité et correctement mesuré. « L’activité principale de la société Alsetex consiste en la fabrication de produits pyrotechniques, feux d’artifices, explosifs, fumées de détresse comme indiquée dans le contrat d’assurance ». La remarque finale tend à souligner que l’assureur a parfaitement connaissance du secteur d’activité de l’assurée et de ses spécificités, ce qui suppose qu’une collaboration a eu lieu pour la mise en place de l’accord en disposant de toutes les informations utiles.
Va tomber l’exigence élevée : « Il appartient à la société Allianz [à tout assureur, se permet-on de préciser pour la portée de la règle absolument générale] de démontrer si la garantie est efficace au regard des risques auxquels l’assuré est exposé concrètement ». La subjectivité introduite forge l’indispensable personnalisation qui repousse donc le contrat d’assurance standardisé alors que le profil de l’assuré n’y correspond pas. Il faudra voir si, selon les cas, ce sera une inadaptation manifeste ou seulement partielle, du moins substantielle. L’efficacité imposée aboutit à ce que le contrat produise l’effet qu’on en attend légitimement comme assuré. L’espérance légitime ne doit pas être totalement déçue. En l’espèce, eu égard au type très particulier d’activité, autour des explosifs, on devine que la couverture de l’explosion est sensible. Elle doit être tracée avec minutie et en correspondance avec les besoins et exigences du client, acceptés et tarifés. En bref, la garantie ne doit pas être une apparence de couverture, une pure illusion, face aux événements susceptibles d’advenir au regard de la probabilité des risques encourus pour lesquels une démarche assurantielle a été entreprise et assise avec la contrepartie versée de primes.
Dans cet esprit, on peut faire un rapprochement avec les règles de conduite du distributeur (C. assur., art. L. 521-5, domaine ; art. L. 521-6, support), qu’une révision DDA ne devrait pas revoir à la baisse, parmi lesquelles figure l’article L. 521-4, I, en vigueur depuis 2018 : « Avant la conclusion de tout contrat d’assurance, le distributeur mentionné à l’article L. 511-1 précise par écrit, sur la base des informations obtenues auprès du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel, les exigences et les besoins de celui-ci et lui fournit des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse afin de lui permettre de prendre une décision en toute connaissance de cause. Le distributeur conseille un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel et précise les raisons qui motivent ce conseil ». La cohérence permet de gagner l’adaptation.
En définitive, à la lecture de la décision commentée, les juges semblent faire une espèce de lien avec l’information et le conseil dus au souscripteur, notamment en assurances de dommages, afin de juger de l’opportunité du service (financier, dirait le droit communautaire) accordé. Il faut fournir un produit vraiment adapté. On pourrait presque y voir un genre d’écho de l’article L. 521-1, I, du code des assurances : « Les distributeurs de produits d’assurance agissent de manière honnête, impartiale et professionnelle et ce, au mieux des intérêts du souscripteur ou de l’adhérent ». L’assureur est parmi les distributeurs au sens légal (C. assur., art. L. 511-1, III). La traduction concrète s’opérerait ici par le prisme des conditions de validité des exclusions. La sanction en serait fortifiée.
La Cour de Rennes justifie la garantie vide de substance par la motivation suivante liée à l’activité assurée, qui montre que le contrat d’assurance, avec ses limites, a une occurrence d’application assez résiduelle, pour ne pas dire marginale, à l’excès, ce que, par comparaison, n’a pas retenu la jurisprudence AXA des restaurateurs. Le ratio sinistres/primes laisse penser que l’activité est rentable pour l’assureur, au titre de cette garantie. Il est en effet jugé : « La société Alsetex communique une analyse portant sur des événements recensés dans la lettre bi-annuelle de l’inspection des armements pour les poudres et explosifs et dans la base de données ARIA (analyse, recherche et informations sur les accidents). Il résulte que seule une explosion a été couverte par la garantie explosion de la société Allianz sur trente-sept cas pour une période allant de 2013 à 2023 », soit 2,70 % des cas en une décennie. S’agissant des faits juridiques librement démontrables (C. civ., art. 1358), il n’y a pas de titre à soi-même (C. civ., art. 1363). La tentative de l’assureur échoue : « Ces données sont publiques et c’est à tort que la société Allianz affirme que la société Alsetex se constitue des preuves à elle-même. La cour constate que l’assureur ne produit aucune pièce infirmant l’analyse précisée ». La messe est dite sans casser davantage d’œufs.
C’est l’efficience de ce genre de garantie qui est mesurée par la statistique de son application réelle. Certes, il est déjà critiquable de maintenir des exclusions de garantie pourtant fermement condamnées par la jurisprudence, souvent depuis de nombreuses années, comme a pu le répéter, en vain, dans ses rapports annuels, la Médiation de l’assurance – observation qui vaut tant pour les assurés particuliers que pour les professionnels, peut-on extrapoler. Pour la protection de la clientèle, une telle pratique persistante peut évidemment être examinée par le régulateur qui enquête, avertit individuellement, communique collectivement, et, le cas échéant, agit. Il y a encore, avec la ligne ici affichée, la nécessité de prendre en considération les exclusions qui viendraient par trop restreindre le jeu attendu de la couverture commercialisée à titre onéreux.
Un arrêt de renvoi attire rarement l’attention. La suggestion de l’avocat aux Conseils qui serait éventuellement sollicité dans ce genre de dossier pour peser l’opportunité d’un pourvoi, devrait peut-être défendre que, même si des chances de succès peuvent exister, comme d’un lamentable échec, car le droit est un art délicat, la résignation, même de mauvais cœur, est une bonne politique pour s’éviter une publicité au-delà d’une décision de juges du fond, qui affecte la réputation et diffuse la norme prétorienne. Une fois au stade supérieur, la règle est susceptible d’être rappelée et de s’installer (illustration pour Generali vie, Civ. 2e, 31 août 2022, n° 20-22.317 B, Dalloz actualité, 21 sept. 2022, obs. S. Porcher ; D. 2023. 332
, note B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia
; ibid. 807, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat
; ibid. 1142, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre
; AJ fam. 2022. 457, obs. A. Dionisi-Peyrusse
; D. Noguéro, De l’interdiction, dans la déclaration du risque, d’une information sur des tests génétiques ou leurs résultats, Gaz. Pal. 22 nov. 2022, n° GPL442v2, p. 38). Pour les plaideurs imaginatifs, le cas présentement exposé existe…
Rennes, 17 janv. 2024, n° 23/02755
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