L’exigence d’état liquidatif pour le bénéfice de la concentration de moyens en matière de partage judiciaire

Il résulte des articles 1373 et 1374 du code de procédure civile qu’en matière de partage judiciaire, seules les demandes distinctes de celles portant sur les points de désaccord subsistant entre les copartageants sur le projet d’état liquidatif dressé par le notaire, dont le juge commis a fait rapport au tribunal, et dont le fondement n’est pas né ou révélé postérieurement à ce rapport, sont irrecevables. Ayant relevé que le notaire désigné pour procéder aux opérations de comptes, liquidation et partage avait transmis un procès-verbal de difficultés au juge commis, qui avait convoqué les parties à une audience de conciliation puis dressé un procès-verbal de non-conciliation, une cour d’appel écarte à bon droit le moyen tiré de l’irrecevabilité d’une demande sur le fondement des textes susvisés, faute de projet d’état liquidatif dressé par le notaire.

Un époux et sa femme décédés respectivement les 14 juillet 1984 et 18 novembre 1987 laissent pour leur succéder leurs deux enfants, Mme [H] et M. [X]. L’indivision successorale comporte essentiellement un bien immobilier. Le 17 janvier 2008, l’héritière a fait assigner son coïndivisaire, devant le Tribunal de grande instance de Nice pour ordonner le partage de l’indivision successorale née de la suite du décès de leurs parents. Un arrêt du 3 mars 2011, rectifié le 30 juin 2011 (le second ayant rectifié une erreur matérielle du premier), a ordonné l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession et l’attribution préférentielle au fils d’un bien immobilier indivis. Le 27 juin 2013, le notaire désigné a dressé un procès-verbal de difficultés et, le 9 mai 2015, le juge commis pour surveiller les opérations a dressé un procès-verbal de non-conciliation, renvoyant les parties devant le tribunal. Le 9 mai 2016, l’héritière a également assigné son frère en paiement d’une indemnité d’occupation relative à l ’occupation privative par son frère du bien indivis Les deux procédures ont été jointes par ordonnance rendue le 26 septembre 2016.


La cour d’appel (Aix-en-Provence, 19 janvier 2022, n° 18/13992) est saisie de l’affaire suite à l’appel de Mme [H] contre la décision du Tribunal de grande instance de Nice. La demanderesse soutenait alors que les dispositions des articles 1373 et 1374 du code de procédure civile n’avaient pas vocation au cas d’espèce, dans la mesure où aucun projet d’état liquidatif n’a été dressé par le notaire. Or, la concentration des moyens résultant de ces deux articles se fonde sur l’existence d’un projet d’état liquidatif. À défaut de disposer d’un tel projet, elle pouvait parfaitement faire la demande pour se faire allouer une indemnité d’occupation. Par ailleurs, elle souligne que l’arrêt en date du 30 juin 2011 n’a pas statué sur la question d’une indemnité d’occupation mais sur celle d’une « indemnité de jouissance », permettant de justifier d’un fondement différent dans la procédure.

La cour d’appel se range à la démonstration et déclare donc la demande d’indemnité d’occupation recevable. Sur le fond, elle rappelle que selon l’article 815-9 du code civil, « Chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l’effet des actes régulièrement passés au cours de l’indivision. À défaut d’accord entre les intéressés, l’exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal ». Le texte dispose alors que « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité ». La cour admet le principe d’une indemnité d’occupation – uniquement pour la partie non prescrite soit à compter du 9 mai 2011 – puisque l’indivisaire a établi son domicile conjugal depuis plus de trente années, exploite les terres indivises et a bénéficié à ce titre de l’attribution préférentielle. L’occupation privative doit alors donner droit à une indemnité d’occupation qui sera évaluée par un expert pour l’ensemble du bien immobilier comprenant parcelle et bâtiments en prenant en compte le cas échéant la perte des fruits et revenus subie par Mme [H] du fait de l’occupation du bien. Par ailleurs, elle dit que l’évaluation de l’indemnité d’occupation devra se faire en prenant notamment en considération la réglementation applicable aux loyers de biens ruraux applicable en la cause.

Le coïndivisaire forme alors un pourvoi contre la décision, estimant que la cour d’appel aurait dû déclarer irrecevable la demande de sa sœur quant à une indemnité d’occupation, sur le fondement des articles 1373 et 1374 du code de procédure civile. Le demandeur estime que la cour d’appel a violé lesdits textes en déclarant recevable la demande d’indemnité d’occupation du bien indivis faute de projet liquidatif quand cette demande était distincte des points de désaccord dont le juge commis avait fait rapport au tribunal.

La question était donc de savoir si la demande formulée par sa coïndivisaire était ou non recevable au regard des articles 1373 et 1374 du code de procédure civile.

La première chambre civile répond par la négative et rejette le pourvoi. Reprenant la lettre du second texte, elle rappelle qu’il résulte de ces textes que « seules les demandes distinctes de celles portant sur les points de désaccord subsistant entre les copartageants sur le projet d’état liquidatif dressé par le notaire, dont le juge commis a fait rapport au tribunal, et dont le fondement n’est pas né ou révélé postérieurement à ce rapport, sont irrecevables » (§ 6). Elle relève ensuite que la cour d’appel avait retenu à bon droit, que « faute de projet d’état liquidatif dressé par le notaire, le moyen tiré de l’irrecevabilité, sur le fondement des articles 1373 et 1374 du code de procédure civile, de la demande de Mme [H] tendant à voir déclarer M. [X] redevable d’une indemnité d’occupation ne pouvait prospérer » (§ 7). La cour d’appel a parfaitement fait son office : elle a relevé l’absence d’un tel projet d’état liquidatif en l’espèce étant donné que le notaire désigné pour procéder aux opérations de comptes, liquidation et partage avait transmis un procès-verbal de difficultés portant sur les points de contestation existant entre les parties au juge commis, qui avait convoqué les parties à une audience de conciliation puis dressé un procès-verbal de non-conciliation. Elle a donc pu légitimement accueillir la demande. Mais le frère pourra se rassurer en ce que cette indemnité ne court pas sur la durée totale de sa jouissance privative, une grande partie de celle-ci étant prescrite.

 

Civ. 1re, 6 mars 2024, F-B, n° 22-15.311

© Lefebvre Dalloz