Liberté de la presse et protection des marchés financiers : l’importance du respect des règles de la profession

Par un arrêt du 14 février 2024, la chambre commerciale énonce que le règlement MAR ne limite ni ne subordonne la sanction du journaliste ou de l’organe de presse du chef de diffusion d’informations fausses ou trompeuses aux seuls cas où il serait démontré que celui-ci a tiré un avantage de cette diffusion ou qu’il a agi dans l’intention d’induire le marché en erreur. Une telle sanction est également possible dans le cas où une information fausse ou trompeuse est diffusée à des fins journalistiques, sans avantage ni intention d’induire le marché en erreur, mais que l’auteur de sa diffusion n’a pas respecté les règles ou codes de sa profession

1. Le 22 novembre 2016 à 16h05, une agence de presse américaine spécialiste de la publication des informations financières en temps réel, a reçu par courriel un communiqué de presse se présentant comme émanant d’une société française dont les titres sont admis à la négociation sur le marché réglementé Euronext Paris, et annonçant en particulier que cette société lançait une révision de ses comptes consolidés pour 2015.

Le même jour, entre 16h06 et 4 secondes, et 16h07, l’agence a diffusé plusieurs dépêches relayant le contenu de ce communiqué de presse.

Le cours du titre concerné a enregistré presque instantanément une chute de 18,28 %.

Entre 16h14 et 7 secondes et 16h52, l’agence de presse a (i) supprimé les dépêches publiées et (ii) diffusé des dépêches les rectifiant et les démentant.

2. Une enquête a été ouverte par l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Le 11 décembre 2019, la commission des sanctions de l’AMF a sanctionné l’agence de presse du manquement de diffusion d’informations qu’elle aurait dû savoir fausses ou trompeuses et susceptibles de fixer le cours de la société cotée à un niveau anormal ou artificiel, et prononcé une sanction pécuniaire de cinq millions d’euros (AMF, Comm. sanctions, 11 déc. 2019, SAN-2019-17, Rev. sociétés 2020. 258, obs. A.-C. Muller  ; RSC 2020. 362, obs. F. Stasiak, J.-M. Brigant et A. Bellezza ).

Sur recours de l’agence de presse, la Cour d’appel de Paris a diminué le quantum de la sanction à trois millions d’euros (Paris, pôle 5 - ch. 7, 16 sept. 2021, n° 20/03031, RSC 2022. 368, obs. F. Stasiak †, J.-M. Brigant et A. Bellezza ).

La décision commentée, de la chambre commerciale de la Cour de cassation, se prononce sur le pourvoi en cassation formé par l’agence de presse.

3. Par cette décision, la Cour de cassation rappelle des principes déjà établis concernant la restriction de la liberté de la presse au nom de la protection des marchés financiers, avec un apport nouveau concernant la sanction de l’auteur de la diffusion qui n’a tiré aucun avantage et n’a pas eu l’intention d’induire le marché en erreur. Elle se prononce ensuite sur la question du contrôle de prévisibilité et de proportionnalité de la sanction prononcée par l’AMF contre un journaliste du chef d’abus de marché.

Une nouvelle restriction de la liberté de la presse au nom de la protection des marchés financiers

Rappel des principes généraux de restriction de la liberté de la presse au nom de la protection des marchés financiers

4. Les articles 12 et 15 du règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 relatif aux abus de marché, dit règlement « MAR » (market abuse regulation), interdisent les manipulations de marché, notion qui englobe la diffusion d’informations – quel qu’en soit le canal – qui fixent ou sont susceptibles de fixer à un niveau anormal ou artificiel le cours d’un instrument financier, alors que l’auteur de la diffusion savait ou aurait dû savoir que ces informations étaient fausses ou trompeuses.

En parallèle, l’article 21 de ce règlement protège la diffusion d’informations à des fins journalistiques, appréciée en tenant compte des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d’expression, et les règles ou codes régissant la profession de journaliste, à moins que l’auteur n’ait a) tiré un bénéfice de la diffusion ou b) agi intentionnellement afin d’induire le marché en erreur.

5. La Cour de justice de l’Union européenne a déjà apporté des éclaircissements sur l’articulation entre ces différents textes (CJUE 15 mars 2022, aff. C-302/20, Dalloz actualité, 1er avr. 2022, obs. C. Méléard et G. de Foucher ; D. 2022. 1134 , note G. Parleani  ; Rev. sociétés 2022. 447, obs. A.-C. Muller  ; Légipresse 2022. 214 et les obs.  ; ibid. 310, chron. A. Tandeau  ; RSC 2022. 373, obs. F. Stasiak †, J.-M. Brigant et A. Bellezza  ; RTD com. 2022. 122, obs. N. Rontchevsky ), en précisant que la détermination du caractère licite d’une divulgation doit se fonder sur l’article 10, tout en tenant compte des précisions de l’article 21. Partant, la divulgation, au-delà d’avoir comme finalité l’activité journalistique, pour bénéficier de l’exemption, doit être :

  • nécessaire à l’exercice de la profession de journaliste ;
  • proportionnée : sur ce point, la Cour de justice avait rappelé que la divulgation d’informations privilégiées portait atteinte non seulement aux intérêts privés de certains investisseurs mais aussi, de manière plus générale, à l’intérêt public consistant à assurer une transparence intégrale et adéquate du marché, afin d’en protéger l’intégrité et de garantir la confiance de l’ensemble des investisseurs.

6. La décision commentée revient justement sur l’équilibre entre l’intérêt public de protection de l’intégrité des marchés financiers, d’une part, et la liberté de la presse et la liberté d’expression, d’autre part.

Plus spécifiquement, la Cour de cassation vient interpréter la notion d’appréciation « en tenant compte des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d’expression dans les autres médias et des règles ou codes régissant la profession de journaliste » contenue dans l’article 21 précité, et sur laquelle la Cour d’appel de Paris avait dit n’y avoir lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles proposées par l’agence de presse, en l’absence de doute quant à l’interprétation.

En sous-jacent, c’est à notre sens la question de l’application du concept de ce que l’auteur d’une diffusion « aurait dû savoir » (Règl. MAR, art. 12), à un journaliste.

La possibilité nouvelle de sanctionner l’auteur qui n’a tiré aucun avantage et n’a pas eu d’intention d’induire le marché en erreur, lorsqu’il n’a pas respecté les règles de sa profession

7. La chambre commerciale de la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel en ce qu’il avait analysé l’article 21 du règlement MAR comme ne limitant ni ne subordonnant le prononcé d’une sanction contre un journaliste ou un organe de presse du chef de diffusion d’informations fausses ou trompeuses aux seuls cas où il serait démontré que celui-ci a tiré un avantage de cette diffusion ou a agi dans l’intention d’induire le marché en erreur.

Les hauts magistrats confirment qu’un journaliste qui n’a pas eu l’intention d’induire le marché en erreur et n’a pas tiré avantage de cette diffusion, peut être malgré tout sanctionné au titre d’une manipulation de marché sur le fondement de l’article 12 du Règlement MAR, à condition qu’il n’ait pas respecté les règles ou codes relatifs à sa profession.

Ils déduisent, dans leur arrêt et encore plus directement dans le communiqué de presse publié le même jour, que trois situations alternatives se présentent lorsqu’un journaliste diffuse une information fausse ou trompeuse sur un émetteur :

  • situation n° 1 : le journaliste n’a pas tiré avantage de cette diffusion et n’a pas eu l’intention d’induire le marché en erreur, tout en ayant respecté les règles de sa profession ;
  • situation n° 2 : le journaliste n’a pas tiré avantage de cette diffusion et n’a pas eu l’intention d’induire le marché en erreur, mais n’a pas respecté les règles de sa profession ;
  • situation n° 3 : le journaliste a eu l’intention d’induire le marché en erreur ou a cherché à tirer un bénéfice de cette diffusion.


La chambre commerciale nous dit aujourd’hui très clairement, et c’est l’apport majeur de la décision commentée, que seul le journaliste visé à la situation n° 1 est exempt de toute responsabilité.

8. Quant à l’application au cas d’espèce, qui relève de la situation n° 2, la Cour de cassation valide l’analyse des juges d’appel, qui ont retenu la responsabilité de l’agence de presse en particulier sur les fondements factuels suivants :

  • sur la forme, le communiqué de presse litigieux comportait des formules manifestement inhabituelles ou atypiques et n’était pas rédigé dans la langue habituellement utilisée par l’émetteur ;
  • sur le fond, les événements relatés par ce communiqué étaient hautement improbables au regard de la santé financière de l’émetteur, attestée par un communiqué de presse diffusé moins d’un mois auparavant.

Ces éléments auraient dû alerter les journalistes, les conduire à s’interroger sur l’authenticité de l’information et à procéder à des vérifications préalables à la diffusion litigieuse, afin de s’appuyer sur une base factuelle suffisamment précise et fiable, proportionnée à la nature et à la force de leurs allégations.

Cette obligation de vérification ressortait à la fois des règles et codes de la profession, et des procédures internes de l’agence de presse mise en cause.

Or, en l’espèce :

  • un délai d’une minute et quatre secondes s’était écouté entre la réception du communiqué et la diffusion de la première dépêche, ce qui ne permettait pas d’effectuer des vérifications suffisantes ;
  • les journalistes avaient reconnu durant l’enquête s’être bornés à des vérifications très superficielles, sans lire le document dans son intégralité ;
  • ce n’est qu’après avoir été alertés par des tiers, après diffusion de l’information, qu’ils ont entrepris des démarches pour vérifier l’authenticité de l’information ;
  • des vérifications élémentaires (notamment la consultation directe du site officiel de l’émetteur ou l’observation du nom de domaine mentionné dans le communiqué litigieux) auraient permis de constater que le communiqué était un faux.

La cour d’appel, dans un arrêt que la Cour de cassation confirme, en déduit que les journalistes ont méconnu l’étendue de leurs devoirs et de leurs responsabilités en ne procédant pas aux vérifications préalables qui leur incombaient pour pouvoir s’appuyer sur une base factuelle suffisamment précise et fiable, proportionnée à la nature et à la force de leurs allégations.

Le manquement est dès lors caractérisé.

Le contrôle de prévisibilité et de proportionnalité de la sanction prononcée par l’AMF contre un journaliste du chef d’abus de marché

9. Sur la situation n° 2, étudiée dans l’arrêt commenté, la chambre commerciale gravit un échelon supplémentaire pour combiner les objectifs précisés de protection de l’intégrité des marchés financiers et de liberté de la presse et d’expression.

Le journaliste qui n’a pas tiré avantage de la diffusion, ou cherché à induire le marché en erreur, ne peut être sanctionné que si les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d’expression le permettent, et que la sanction est nécessaire et proportionnée aux buts légitimes poursuivis.

Pour rappel, ces conditions cumulatives ne sont pas applicables à la situation n° 3 (intention de diffuser une information fausse ou trompeuse ou avantage tiré).

La prévisibilité de la sanction au regard des règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d’expression

10. La décision commentée, pour en déduire que les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d’expression permettent la sanction dans la présente situation, rappelle que :

  • selon le considérant 77 du règlement MAR, lorsque ce règlement fait référence à des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d’expression dans d’autres médias, ainsi qu’aux règles ou codes régissant la profession de journaliste, il convient de tenir compte de ces libertés telles qu’elles sont garanties dans l’Union et dans les États membres et consacrées par l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par d’autres dispositions pertinentes ;
  • l’article 11 de la Charte, quant à lui, doit être interprété au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 10 de la Convention européenne (CJUE 15 mars 2022, aff. C-302/20 préc.).

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, citée par la chambre commerciale, précise en particulier que :

  • Une loi peut satisfaire à l’exigence de prévisibilité même si la personne concernée doit recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé, et qu’il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier, de sorte que l’on peut attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (CEDH 15 nov. 1996, Cantoni c/ France, n° 17862/91, § 35 ; Cantoni c/ France, D. 1997. 202 , obs. C. Henry  ; RSC 1997. 462, obs. R. Koering-Joulin  ; ibid. 646, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire  ; 20 oct. 2015, Vasiliauskas c/ Lituanie, n° 35343/05, § 157) ;
  • La protection offerte par l’article 10 de la Convention européenne aux journalistes est subordonnée à la condition que ceux-ci agissent de bonne foi, sur la base de faits exacts, et fournissent des informations fiables et précises dans le respect de l’éthique journalistique (CEDH 25 sept. 2002, Colombani c/ France, n° 51279/99, § 65 ; 14 mai 2008, July et Sarl Libération c/ France, n° 20893/03, § 63 ; 21 avr. 2016, De Carolis et France Télévision c/ France, n° 19313/10, §§ 44 et 45 ; 12 juil. 2016, Reichman c/ France, n° 50147/11, § 54, Dalloz actualité, 20 juill. 2016, obs. A. Portmann ; D. 2016. 1652 ) ;
  • l’obligation pour un journaliste de s’assurer de l’existence d’une base factuelle suffisamment précise et fiable, laquelle est proportionnée à la nature et à la force de son allégation, trouve sa source dans les règles de la profession journalistique et les normes d’un journalisme responsable (CEDH 10 nov. 2015, Couderc et Hachette Filipacchi c/ France, n° 40454/07, § 44, Dalloz actualité, 27 nov. 2015, obs. J. Gaté ; Couderc et Hachette Filipacchi Associés c/ France, AJDA 2016. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen  ; D. 2016. 116, et les obs. , note J.-F. Renucci  ; Constitutions 2016. 476, chron. D. de Bellescize  ; RTD civ. 2016. 81, obs. J. Hauser  ; ibid. 297, obs. J.-P. Marguénaud ).

11. Au titre des textes pertinents, la jurisprudence européenne, à nouveau reprise par l’arrêt commenté, fait référence à :

  • la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, adoptée à Munich les 24 et 25 novembre 1971 par les organisations professionnelles de journalistes des États membres de la Communauté européenne et entérinée par la Fédération internationale des journalistes lors du Congrès d’Istanbul de 1972, qui prévoit que les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements sont notamment de publier seulement les informations dont l’origine est connue ou de les accompagner, si nécessaire, des réserves qui s’imposent ;
  • la Charte d’éthique professionnelle des journalistes publiée par le Syndicat national des journalistes en 1918 et mise à jour en 1938 et 2011, qui prévoit que la notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources, qu’un journaliste « digne de ce nom » place notamment la non-vérification des faits parmi « les plus graves dérives professionnelles » et qu’il doit exercer la plus grande vigilance avant de diffuser des informations, d’où qu’elles viennent ;
  • la Charte mondiale des journalistes adoptée par la Fédération internationale des journalistes le 12 juin 2019, qui complète le code de principes sur la conduite des journalistes adopté en 1954, dénommé « déclaration de Bordeaux », et énonce que le journaliste ne doit rapporter que des faits dont il connaît l’origine et que la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne prévaut pas sur la vérification des sources.

Il en résulte qu’un journaliste averti est pleinement en mesure, à partir du libellé de l’article 21 du règlement MAR, d’évaluer à un degré raisonnable les risques encourus en cas de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, quitte à s’entourer de conseils de juristes spécialisés, et que ce texte ne méconnaît dès lors pas le principe de légalité des délits et des peines.

La proportionnalité de la sanction au regard des buts légitimes poursuivis

12. Quant à la proportionnalité de la sanction pécuniaire prévue par l’article L. 621-1 du code monétaire et financier et fixée à un montant maximal de cent millions d’euros.

La Cour de cassation précise que ce montant élevé, d’un point de vue théorique décorrélé des faits d’espèce, ne constitue pas en soi une ingérence dans la liberté d’expression qui ne soit pas nécessaire dans une société démocratique pour deux raisons :

  • il poursuit un but légitime puisqu’il vise à assurer la préservation de l’objectif d’ordre public de protection de l’intégrité des marchés financiers et des investisseurs, et de lutte contre les abus de marché, laquelle implique au regard des conséquences financières très possiblement élevées d’une diffusion d’informations fausses ou trompeuses, que le montant de la sanction soit suffisamment dissuasif pour remplir la fonction de prévention du manquement assignée à la punition (Cons. const. 2 juin 2017, n° 2017-634 QPC, D. 2017. 1189  ; Rev. sociétés 2018. 261, note J.-H. Robert  ; Constitutions 2017. 344, Décision  ; RSC 2017. 540, obs. J.-M. Brigant ) ;
  • il est proportionné au but poursuivi, puisque l’article 21 du règlement MAR instaure, s’agissant des journalistes, un régime spécifique de protection tenant, pour déterminer le caractère licite ou illicite de la diffusion d’informations fausses ou trompeuses, à la prise en compte des règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d’expression ainsi que des règles ou codes régissant leur profession, régime qui n’est écarté que si les informations en cause ont été diffusées aux fins d’en tirer ou d’en faire tirer un avantage ou des bénéfices ou dans l’intention d’induire le marché en erreur (situation n° 3), de sorte qu’ont été mis en balance, d’un côté, l’objectif d’ordre public de protection des marchés financiers et des investisseurs et de lutte contre les abus de marché, de l’autre, la liberté de la presse et la liberté d’expression.

13. Quant à l’application aux faits d’espèce de cette question de proportionnalité, que les hauts magistrats acceptent de contrôler, les juges d’appel s’étaient appuyés sur les éléments suivants pour déterminer le quantum de la sanction prononcée :

  • à charge, (i) l’absence de vérifications réalisées antérieurement à la publication, malgré l’importance de l’information concernée et (ii) la qualité de l’auteur (l’agence de presse bénéficiant d’une influence et d’une notoriété très fortes, qui rendent les marchés financiers très attentifs aux informations diffusées) ;
  • à décharge, l’importante réactivité de l’auteur qui a interrompu puis supprimé la diffusion, et publié rapidement des rectificatifs et démentis, dès 16 heures 14 minutes et 7 secondes ; cette réactivité, comme un repentir actif en matière pénale, n’enlève rien à la gravité du manquement selon la jurisprudence mais a contribué à réajuster le titre de l’émetteur à la hausse et à remédier aux dysfonctionnements provoqués par le manquement ; cette réactivité n’avait pas été prise en compte par la commission des sanctions de l’AMF, mais l’avait bien été par les juges d’appel, ce qui les avait conduits à réajuster à la baisse le montant de la sanction (v. supra).

Au-delà du niveau maximum de la sanction pécuniaire prévue par les textes, la Cour de cassation valide par conséquent la proportionnalité du quantum retenu par les juges du fond en l’espèce.

14. De façon surprenante, la chambre commerciale ajoute que les informations journalistiques relatives à la situation financière de sociétés cotées et destinées aux investisseurs n’ont pas, dans une société démocratique, la même importance que les informations journalistiques relatives à des sujets présentant un intérêt général ou historique ou revêtant un grand intérêt médiatique, de sorte que la liberté de la presse peut, en matière financière, lorsque l’activité journalistique s’adresse au public des investisseurs, être davantage restreinte pour garantir l’intégrité et la transparence des marchés financiers et la protection de ces investisseurs.

Cette dernière précision ne semblait pas nécessaire puisque la Cour de cassation avait d’ores-et-déjà validé l’analyse de l’arrêt d’appel.

En tout état de cause, elle nous semble surprenante : alors que la position de la CJUE vise en particulier à prévenir un éventuel effet dissuasif (CJUE 15 mars 2022, aff. C-302/20, préc.), ce dont les juges du fond tiennent désormais compte (v. l’affaire dans le cadre de laquelle la CJUE s’était prononcée, Paris, 30 mars 2023, n° 18/28497, Rev. sociétés 2023. 638, obs. J. Prorok ), cette position des hauts magistrats nous semble contreproductive et risque d’impacter l’activité journalistique de façon disproportionnée.

La Cour de cassation n’ayant ni mentionné ni étayé ce point dans son communiqué de presse, des précisions ultérieures seront les bienvenues.

L’examen du pourvoi contre l’arrêt du 30 mars 2023 précité en sera peut-être l’occasion.

 

Com. 14 févr. 2024, FS-BR, n° 22-10.472

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