Liberté d’expression des décrocheurs de portraits du président de la République

La Cour européenne des droits de l’homme a rejeté, le 3 juillet 2025, le recours de onze militants écologistes condamnés pénalement pour avoir décroché et conservé les portraits du président Emmanuel Macron dans plusieurs mairies de France, souhaitant dénoncer l’insuffisance des mesures prises par l’État pour lutter contre le dérèglement climatique.

Ces actions avaient donné lieu à des enquêtes de police comprenant des mesures de perquisition à leur domicile, de saisies de leur téléphone et matériel informatique ainsi que de prélèvements d’empreintes génétiques. Ils furent tous par la suite condamnés pour vol en réunion.

Ingérence légitime

La Cour considère, à l’instar des parties, que la soustraction du portrait du président de la République par les requérants s’inscrivait dans le cadre d’une démarche politique et militante relevant de la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Les condamnations ont donc constitué une ingérence dans l’exercice de leur droit à la liberté d’expression protégé par cet article. Toutefois, cette ingérence est prévue par la loi et poursuit des buts légitimes : la défense de l’ordre public et la protection du droit de propriété des communes. 

Concernant la nécessité de cette ingérence dans une société démocratique, la Cour souligne l’importance de la liberté d’expression dans le débat politique, particulièrement sur des questions d’intérêt général comme le changement climatique. 

Elle note que les actions des requérants, bien que constituant une infraction pénale, s’inscrivaient dans une démarche militante non violente visant à sensibiliser le public et les autorités. Cela justifie que « la liberté d’expression des requérants [bénéficie] d’un niveau suffisant de protection allant de pair avec une marge d’appréciation des autorités nationales restreinte ».

Condamnations proportionnées

La Cour européenne souligne ensuite le soin mis par les juridictions internes à évaluer la proportionnalité de l’ingérence litigieuse sous l’angle de l’article 10 de la Convention en tenant compte du contexte dans lequel se situait cette démarche et des mobiles des requérants. Elle a notamment considéré que les juridictions internes avaient valablement retenu, pour fonder leurs condamnations, l’absence de restitution des portraits après avoir souligné que le décrochage de ces derniers aurait suffi par lui-même à l’expression du message porté par les intéressés.

Ainsi, « ces condamnations n’étaient pas disproportionnées au regard de la valeur symbolique du portrait du président de la République et du refus de le restituer tant que leurs revendications ne seraient pas satisfaites, ainsi que de la circonstance que le vol a été commis en réunion ».

Par suite, les juridictions internes ont correctement équilibré la liberté d’expression des requérants avec les impératifs de l’ordre public et de la protection des droits d’autrui. Les amendes, modérées (de 200 à 500 €) et assorties de sursis, ne constituaient pas une ingérence disproportionnée, compte tenu de la valeur symbolique des portraits et du fait que l’action allait au-delà d’une simple expression.

La Cour en déduit que les autorités nationales n’ont pas outrepassé la marge d’appréciation dont bénéficie l’État défendeur. Elle conclut en conséquence qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

 

CEDH 3 juill. 2025, Ludes c/ France, nos 40899/22, 41621/22 et 42956/22

par Étienne Ducluseau, Rédacteur à l'AJDA

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