Licéité d’un accord collectif réservant le droit à l’expertise au CSE central
Un accord collectif conclu en application des dispositions de l’article L. 2312-19 du code du travail peut réserver au comité social et économique central le droit à expertise portant sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, quand bien même l’accord collectif prévoit que l’information-consultation sur certains thèmes de la politique sociale, des conditions de travail et de l’emploi est menée au niveau des comités sociaux et économiques d’établissement.
Un accord collectif peut-il réserver l’expertise dans le cadre d’une consultation sur la politique sociale au seul niveau du comité social et économique (CSE) central ?
L’enjeu n’est pas neutre pour une entreprise au regard du coût que peut représenter le recours à un expert. Aussi n’est-il pas inopportun d’organiser l’articulation des consultations obligatoires et les éventuelles expertises qui peuvent leur être associées au travers d’un accord collectif. Aussi, la chambre sociale a-t-elle pu se prononcer sur la question en considérant que lorsqu’un accord d’entreprise prévoit que les consultations récurrentes ressortent au seul CSE central, le CSE d’établissement ne peut procéder à la désignation d’un expert dans le cadre des consultations récurrentes (Soc. 9 mars 2022, n° 20-19.974 B, Dr. soc. 2022. 539, étude J. Icard
; D. 2022. Pan. 1287, obs. Y. Ferkane ; RJS 6/2022, n° 305 ; BJT 2022. 18, obs. G. Auzero). Un tel accord peut en effet définir les niveaux auxquels les consultations récurrentes sont conduites et, le cas échéant, leur articulation (Soc. 2 mars 2022, n° 20-16.002, D. 2022. 463
; ibid. 1280, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; Dr. soc. 2022. 531, étude G. Auzero et L. Bento de Carvalho
; ibid. 539, étude J. Icard
; RDT 2022. 395, obs. D. Baugard
). Cette solution est « conforme à l’intention du législateur [de l’époque], eu égard à la place accrue de la négociation collective, notamment dans le domaine du dialogue social » (Notice explicative de la Cour de cassation).
Mais quid d’un accord qui réserverait au CSE central le droit à l’expertise portant sur la politique sociale tout en prévoyant que l’information consultation sur certains thèmes de cette politique seraient menée au niveau des CSE d’établissement ? Par un arrêt du 18 juin 2025, la Cour de cassation va venir valider cette possibilité.
En l’espèce, un accord dit « accord sur le dialogue social » avait été signé entre deux entités composant l’unité économique et sociale Orange (l’UES) et la Fédération SUD PTT, la CFDT, FO et la CGT, avec pour objet la mise en place des comités sociaux et économiques d’établissement (CSEE), du comité social et économique central (CSEC) ainsi que des représentants de proximité tout en définissant le nouveau cadre du dialogue social au sein de l’UES.
La CFE-CGC, syndicat non-signataire de l’accord, a par la suite assigné Orange et les organisations syndicales signataires de l’accord devant le tribunal judiciaire afin de faire annuler plusieurs articles de l’accord portant sur le dialogue social au sein de l’UES et d’enjoindre aux parties à cet accord d’entamer des négociations ayant pour objet de substituer aux clauses annulées de nouvelles stipulations conformes aux dispositions du code du travail.
Les juges du fond déboutèrent le syndicat de ses demandes, de sorte qu’un pourvoi fut formé devant la chambre sociale, que l’éminente juridiction va finir par rejeter en réaffirmant le périmètre admissible de la négociation à propos des missions et pouvoirs dévolus au CSE central en la matière.
La licéité européenne d’un accord réservant le droit à l’expertise au CSE central
Le code du travail prévoit en effet que le CSE d’établissement peut faire appel à un expert lorsqu’il est compétent (C. trav., art. L. 2316-21).
Dans le même temps, l’article L. 2312-19, 3°, dispose qu’un accord d’entreprise peut définir les niveaux auxquels les consultations sont conduites et, le cas échéant, leur articulation.
Au niveau du droit de l’Union européenne, il faut encore préciser que la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, prévoit que les États membres peuvent confier aux partenaires sociaux au niveau approprié, y compris au niveau de l’entreprise ou de l’établissement, le soin de définir librement et à tout moment par voie d’accord négocié les modalités d’information et de consultation des travailleurs (art. 5).
La chambre sociale, reprenant la texte de la directive, va saisir l’opportunité de rappeler que l’objectif affiché du texte européen est d’établir un cadre général reprenant les principes, les définitions et les modalités en matière d’information et de consultation, que les États membres devront respecter et adapter à leurs réalités nationales, en assurant, le cas échéant, aux partenaires sociaux un rôle prépondérant en leur permettant de définir librement, par voie d’accord, les modalités d’information et de consultation des travailleurs qu’ils jugent les plus conformes à leurs besoins et à leurs souhaits.
Tirant les conséquences d’une lecture combinée de ces textes à la fois européens et nationaux, les hauts magistrats vont en déduire que les signataires d’un accord collectif conclu en application des dispositions de l’article L. 2312-19 du code du travail peuvent réserver au comité social et économique central le droit à expertise portant sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, quand bien même l’accord collectif prévoit que l’information-consultation sur certains thèmes de la politique sociale, des conditions de travail et de l’emploi est menée au niveau des comités sociaux et économiques d’établissement.
Partant de ce principe, la demande de nullité du syndicat non-signataire ne pouvait qu’être rejetée.
Cette solution vient ainsi prolonger la jurisprudence antérieure donnant à l’ambition législative de placer le droit négocié au cœur du corpus normatif sur le segment particulier de l’organisation des instances représentatives du personnel (v. déjà, Soc. 9 mars 2022, n° 20-19.974, préc.). Cette interprétation de la chambre sociale apporte un éclairage louable en ce que la seule lettre de l’article L. 2312-19 ne proposait qu’une formulation assez générale en déléguant « Les niveaux auxquels les consultations sont conduites et, le cas échéant, leur articulation », sans expressément traiter du sort particulier des expertises qui sont directement rattachées auxdites consultations.
Soc. 18 juin 2025, FS-B, n° 23-10.857
par Loïc Malfettes, Docteur en droit, Responsable RH et juridique
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