Licenciement : allégations de discrimination à raison du handicap et de l’âge

Par un arrêt du 8 janvier 2025, la chambre sociale de la Cour de cassation apporte d’intéressantes précisions en matière de discrimination liée à un handicap et à l’âge.

Dans l’affaire jugée par la chambre sociale le 8 janvier 2025, un salarié, reconnu travailleur handicapé, avait été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Il avait ensuite contesté le licenciement, de deux points de vue, qu’il convient d’examiner successivement.

Licenciement et allégation de discrimination à raison du handicap

L’article L. 1132-1 du code du travail pose le principe de non-discrimination, en énonçant notamment qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Cet article 1er de la loi du 27 mai 2008 dispose, quant à lui, que constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement, en particulier, de son handicap, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable.

L’article L. 1133-3 du code du travail ajoute que « les différences de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l’état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et appropriées ».

Dans ce domaine de la discrimination, la difficulté principale concerne la preuve. L’article L. 1134-1 met donc en place un régime probatoire aménagé, qui a été synthétisé par la Cour de cassation dans les termes suivants : lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (Soc. 6 juill. 2022, n° 21-12.073).

L’intérêt de l’arrêt du 8 janvier 2025 est de mettre en lien ces différentes règles avec celle résultant de l’article L. 5213-6 et de confirmer la jurisprudence déjà intervenue à ce sujet.

Rappelons que cet article pose qu’« afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour (leur) permettre d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée. (…) Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l’aide prévue à l’article L. 5213-10 qui peut compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l’employeur. Le refus de prendre (ces) mesures (…) peut être constitutif d’une discrimination au sens de l’article L. 1133-3 ».

Au regard de ces principes, il a déjà été jugé que si l’employeur refuse de prendre les mesures appropriées pour permettre à un salarié handicapé de conserver un emploi, le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement peut être nul comme étant constitutif d’une discrimination à raison d’un handicap (Soc. 3 juin 2020 n° 18-21.993, Dalloz actualité, 7 juill. 2020, obs. J. Jardonnet ; D. 2020. 1233 ; JA 2021, n° 637, p. 39, étude P. Fadeuilhe ; RDT 2020. 544, obs. M. Mercat-Bruns ; RJS 7/20, n° 382), étant néanmoins précisé que ce ne serait pas le cas dans l’hypothèse où l’employeur établirait son impossibilité d’exécuter les obligations prévues à l’article L. 5213-6 (Soc. 14 déc. 2016, n° 15-26.417).

Dans ce cadre, un arrêt de la chambre sociale a retenu qu’il appartient au juge du fond de faire application des dispositions de l’article L. 1134-1 en matière de preuve (Soc. 15 mai 2024, n° 22-11.652, Dalloz actualité, 24 mai 2024, obs. Malfettes ; D. 2024. 921 ; Dr. soc. 2024. 1020, étude M. Mercat-Bruns ; SSL 8 juill. 2024, n° 2100, p. 9, note C. Guillon et R. Dejonghe ; Cahiers Lamy du CSE, n° 249, juill. 2024, p. 3, note A.-L. Bellanger). Ce même arrêt a également précisé que le juge, saisi d’une action au titre de la discrimination en raison du handicap, doit, en premier lieu, rechercher si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une telle discrimination, tels que le refus, même implicite, de l’employeur de prendre des mesures concrètes et appropriées d’aménagements raisonnables, le cas échéant sollicitées par le salarié ou préconisées par le médecin du travail ou le comité social et économique en application des dispositions des articles L. 1226-10 et L. 2312-9 du code du travail, ou son refus d’accéder à la demande du salarié de saisir un organisme d’aide à l’emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de telles mesures. Il appartient, en second lieu, au juge de rechercher si l’employeur démontre que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap, tenant à l’impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionné pour l’entreprise des charges consécutives à leur mise en œuvre.

Ces précisions sont textuellement reproduites par l’arrêt du 8 janvier 2025, qui consolide donc cette jurisprudence récente.

Dans cette affaire, les juges du fond avaient constaté que l’employeur avait constamment adapté le poste de travail du salarié en considération des prescriptions du médecin du travail et n’avait pas manqué à son obligation d’adaptabilité en raison du handicap du salarié, qui avait bénéficié d’un suivi tous les deux mois de sa situation par le médecin du travail. Ils en avaient déduit que le salarié ne présentait pas d’éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination à raison du handicap. Le moyen est donc rejeté par l’arrêt du 8 janvier 2025 (pour une autre illustration récente, Soc. 6 sept. 2023, n° 22-15.637).

Allégation de discrimination et minoration de l’indemnité conventionnelle de licenciement

Le pourvoi en cassation critiquait l’arrêt d’appel d’un second point de vue, en ce que la convention collective applicable en l’espèce, à savoir la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, étendue par un arrêté du 27 avril 1973, aurait été discriminatoire.

Par son article 29, cette convention collective prévoit qu’une indemnité conventionnelle de licenciement est due en fonction de la durée de l’ancienneté dans l’entreprise : elle est de 1/5e de mois par année d’ancienneté pour la tranche de un à sept ans d’ancienneté et 3/5e de mois par année d’ancienneté pour la tranche au- delà de sept ans. Néanmoins, elle prévoit, en fonction de l’âge, une minoration de cette indemnité de 5 %, si l’intéressé est âgé de 61 ans, de 10 %, si l’intéressé est âgé de 62 ans, de 20 %, si l’intéressé est âgé de 63 ans et de 40 %, si l’intéressé est âgé de 64 ans.

Le salarié soutenait que ces stipulations étaient contraires à l’article L. 1132-1, précédemment évoqué, qui prohibe également les discriminations en raison de l’âge.

Il faut toutefois souligner le fait que cette prohibition n’est pas absolue. L’article L. 1133-2 prévoit en effet que « les différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un but légitime, notamment par le souci de préserver la santé ou la sécurité des travailleurs, de favoriser leur insertion professionnelle, d’assurer leur emploi, leur reclassement ou leur indemnisation en cas de perte d’emploi, et lorsque les moyens de réaliser ce but sont nécessaires et appropriés. Ces différences peuvent notamment consister en : 1° L’interdiction de l’accès à l’emploi ou la mise en place de conditions de travail spéciales en vue d’assurer la protection des jeunes et des travailleurs âgés ; 2° La fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite ».

Il existe un certain contentieux en ce domaine (sur l’ensemble de la question, Rép. trav., Handicap, par L. Joly, avec en particulier les problématiques de la comparabilité des situations, des discriminations directes ou indirectes, et de la justification des différences de traitement).

La Cour de cassation a ainsi déjà énoncé que même lorsque la différence de traitement en raison d’un des motifs visés à l’article L. 1132-1 du code du travail résulte des stipulations d’une convention ou d’un accord collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, les stipulations concernées ne peuvent être présumées justifiées au regard du principe de non-discrimination (Soc. 9 oct. 2019, n° 17-16.642, Dalloz actualité, 15 nov. 2019, obs. W. Fraisse ; D. 2019. 1999 ; ibid. 2020. 1136, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Dr. ouvrier 2020. 158, obs. S. Maillard-Pinon ; JCP S 2019. 1336, obs. J. Daniel ; 8 janv. 2020, n° 18-17.553). Elle a également précisé, qu’en l’absence d’élément objectif et pertinent la justifiant, est nulle en raison de son caractère discriminatoire fondé sur l’état de santé du salarié la disposition d’une convention collective excluant les salariés licenciés pour inaptitude de l’indemnité de licenciement qu’elle institue (Soc. 9 déc. 2020, n° 19-17.092, Dalloz actualité, 7 janv. 2021, obs. C. Couëdel ; D. 2021. 23 ; Dr. soc. 2021. 266, obs. C. Radé ; ibid. 346, étude P.-H. Antonmattei, L. Enjolras et C. Mariano ).

La Cour de justice de l’Union européenne est également intervenue, notamment par un arrêt du 6 décembre 2012, que l’arrêt du 8 janvier 2025 cite de manière extensive dans un souci pédagogique (CJUE 6 déc. 2012, aff. C-152/11, D. 2012. 2973 ; RDT 2013. 254, étude M. Mercat-Bruns ; JCP S 2013. 1086, note J. Cavallini). La Cour de justice a ainsi jugé que les articles 2, § 2 et 6, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation relevant d’un régime de prévoyance sociale propre à une entreprise qui prévoit, pour les travailleurs âgés de plus de 54 ans et faisant l’objet d’un licenciement pour motif économique, que le montant de l’indemnité à laquelle ils ont droit est calculé en fonction de la première date possible de départ à la retraite, contrairement à la méthode standard de calcul, selon laquelle une telle indemnité est fondée notamment sur l’ancienneté dans l’entreprise, de sorte que l’indemnité versée est inférieure à l’indemnité résultant de l’application de cette méthode standard tout en étant au moins égale à la moitié de cette dernière.

Dans l’arrêt du 8 janvier 2025, la Cour de cassation rejette, après avoir effectué un contrôle des motifs, le moyen du salarié, au motif que les juges du fond ont pu retenir que l’article 29 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie ne constitue pas une discrimination à raison de l’âge, après avoir relevé que la minoration de l’indemnité conventionnelle de licenciement ne vaut qu’à partir de 61 ans à un moment où l’âge de départ à la retraite à taux plein était fixé à 60 ans, qu’elle poursuit un objectif légitime en ce qu’elle a pour finalité d’inciter au départ les salariés ayant atteint l’âge de la retraite pour favoriser le partage du travail entre les générations et l’insertion des jeunes travailleurs et que les dispositions en cause sont appropriées car les travailleurs, malgré leur âge, bénéficient d’une couverture économique qui n’est pas déraisonnable au regard de la finalité recherchée de politique de l’emploi et que le mode de calcul n’est pas manifestement inapproprié pour atteindre cet objectif.

 

Soc. 8 janv. 2025, F-B, n° 23-15.410

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