Licenciement d’un agent public mis à disposition dans une institution privée
Il résulte des articles L. 1221-1 du code du travail et 33-1 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’État, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2020-1493 du 30 novembre 2020, que l’agent contractuel de l’État mis à disposition d’un organisme de droit privé pour accomplir un travail est lié à cet organisme par un contrat de travail et que le licenciement prononcé par ce dernier est régi notamment par les articles L. 1235-1 et suivants du code du travail.
L’arrêt commenté apporte une précision importante sur le régime juridique applicable en cas de nullité du licenciement d’un salarié mis à disposition dans une institution privée par son administration d’origine au sein de laquelle il était agent public. En l’espèce, un professeur des écoles est mis à disposition par son ministère de tutelle, l’Éducation nationale, au sein d’un institut de formation privé. Agent public, l’intéressé devient salarié avec une rétribution financière d’une double nature : maintien du traitement par l’État et paiement d’une prime de nature salariale par l’institut avec une répartition respective d’environ trois quarts et un quart. Quelques années après son changement de statut, ce professeur est licencié pour motif économique. Contestant cette rupture, il saisit la juridiction prud’homale territorialement compétente sur la base d’un licenciement nul consécutif à un harcèlement moral.
Assiette de la rémunération à prendre en compte pour le calcul des indemnités
Le problème de droit ne portait pas sur la reconnaissance de ce harcèlement ni sur le bien-fondé de la nullité mais sur l’assiette de la rémunération à prendre en compte pour le calcul des indemnités subséquentes. Pour les juges du fond les indemnités dues pour licenciement nul par l’organisme de droit privé ne devraient être calculées que sur la base du complément de salaire que ce dernier lui verse à l’exclusion du traitement que l’intéressé continue à percevoir. Au contraire, pour le salarié, c’est l’ensemble de la rémunération, salaire et traitement, qui doit permettre de calculer le salaire de référence. Au regard de la proportion trois quarts/un quart évoquée on comprend la préoccupation des parties au contrat à voir ce point de droit leur être favorable. Au visa de l’article L. 1221-1 du code de travail et de l’article 33-1 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’État, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel et décide dans l’arrêt commenté et publié au Bulletin que « l’agent contractuel de l’État mis à disposition d’un organisme de droit privé pour accomplir un travail est lié à cet organisme par un contrat de travail et que le licenciement prononcé par ce dernier est régi notamment par les articles L. 1235-1 et suivants du code du travail ».
La mise à disposition d’un agent public au sein d’une structure de droit privé alimente un contentieux régulier dont l’arrêt commenté n’est que la dernière illustration. Elle nécessite d’articuler le droit de la fonction publique et le droit du travail que le changement de statut induit. Implicitement, la Cour de cassation confirme en premier lieu la compétence de l’ordre judiciaire à l’exclusion de l’ordre administratif et, en première instance, de la juridiction prud’homale (Soc. 5 janv. 2022, n° 20-21.060 B, JCP S 2022. 1037, note K. Pagani et M. Pélissier). De cette articulation plusieurs contentieux sont apparus tenant par exemple aux droits du salarié lors de la fin de son détachement mais devenu représentant du personnel à ce moment (Soc. 23 juill. 2024, n° 22-17.667 B, RJS 10/2024, n° 560 ; JCP S 2024. 1247, note K. Pagani et M. Pellissier) ou, comme en l’espèce, lors de la rupture du contrat de travail.
Exigeant l’application des articles L. 1235-1 et suivants du code du travail, la Cour de cassation impose l’application des règles relatives au droit commun du licenciement. À ce titre lorsque le licenciement est nul, « le salarié a droit à réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent » (Soc. 27 mai 2009, n° 08-41.096 P, Dalloz actualité, 11 juin 2009, obs. L. Perrin ; RJS 8-9/2009, n° 690 ; JCP S 2009. 1394, note P. Morvan). En l’espèce cette question de la réintégration ne suscitait pas de difficultés particulières, l’arrêt laissant supposer qu’elle était impossible en raison des difficultés économiques et de la disparition de la structure. Le requérant devait donc se rabattre sur le régime indemnitaire c’est-à-dire sur une réparation par équivalent et non pas en nature. À ce titre, le salarié peut prétendre à deux indemnités : une qui compense la perte de salaires subie entre le jour du licenciement et la notification du jugement ; l’autre, que l’arrêt litigieux rappelle et qui ne peut être inférieure à six mois de salaire de référence. C’est précisément sur le calcul de ce « salaire de référence » que le litige portait, le juge du droit décidant qu’il devait englober à la fois le traitement de l’intéressé en sa qualité de fonctionnaire détaché et le salaire perçu au titre du contrat de travail.
Non-cumul des statuts mais cumul des rémunérations
Cette décision peut susciter des avis contrastés. D’un côté, elle peut signaler aux employeurs qu’ils ont tout intérêt à respecter les normes du droit du travail sans espérer s’en dispenser au motif que leur salarié serait d’abord et avant tout un agent public… détaché. Elle évite ainsi une distorsion de régime juridique selon l’origine du contrat de travail et place l’ensemble des salariés sur un pied d’égalité. D’un autre côté, ce cumul de rémunérations peut surprendre dans la mesure où la Cour de cassation juge incompatible le cumul des statuts d’agent public et de salarié de droit privé (Soc. 16 oct. 2024, n° 23-10.930). Or, en imposant le cumul des rémunérations perçues pour calculer le salaire de référence, les magistrats du quai de l’Horloge procèdent à un cumul de statut public et privé. À ce titre, sauf revirement implicite de jurisprudence, la Cour aurait pu calculer ce salaire de référence sur la seule base de la partie salariale à l’exclusion des traitements. Ce n’est finalement pas la voie choisie, la chambre sociale décidant qu’eu égard à sa qualité d’employeur l’organisme de droit privé est tenu, lorsque le licenciement de l’agent contractuel de l’État mis à sa disposition est jugé nul et que ce dernier ne demande pas sa réintégration ou que celle-ci est impossible, d’indemniser l’agent de la perte injustifiée de son emploi au sein de cet organisme en lui versant une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, « peu important que la rémunération de l’intéressé ait été versée, en tout ou partie, par son administration d’origine ». En l’espèce ce salaire est fixé à près de 3 300 € au lieu de 920 €. Sur six mois minimums d’indemnité, le point de droit litigieux était important.
Soc. 25 juin 2025, F-B, n° 23-17.266
par Thibault Lahalle, MCF-HDR, Directeur du master de Droit social, Université de Créteil
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