Licenciement économique : l’absence d’une mention légale sur l’offre de reclassement prive le licenciement de cause réelle et sérieuse
Par une décision remarquée, la Cour de cassation apporte de précieuses précisions quant aux effets d’une offre de reclassement incomplète dans le cadre d’un licenciement économique. À cet égard, les juges considèrent qu’un tel manquement caractérise un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par ailleurs, la Cour de cassation précise que les indemnités versées dans le cadre d’un contrat de sécurisation professionnelle ne s’intègrent pas dans le calcul de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les précisions impératives de l’offre de reclassement
Le droit au reclassement du salarié découle de l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (Soc., QPC, 22 juin 2016, n° 16-40.019 P). Il s’agit du droit fondamental d’obtenir un emploi.
Le reclassement s’intègre au cœur du principe de bonne foi contractuelle consacrée par l’ancien article 1134, alinéa 3, du code civil. À cet égard, la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 avril 1992 (Soc. 8 avr. 1992, n° 89-41.548 P, D. 1992. 147
), prononçait que « dans le cadre de son obligation de reclassement dans l’entreprise, l’employeur doit, en cas de suppression ou transformation d’emplois, proposer aux salariés concernés, des emplois disponibles de même catégorie, ou, à défaut, de catégorie inférieure, fût-ce par voie de modification substantielle des contrats de travail ». La légalisation de l’obligation de reclassement se fera par la promulgation de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale. Cette obligation qui incombe à l’employeur est une obligation de moyens renforcée (Soc. 17 févr. 1998, n° 95-45.261 P).
L’article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, exige que les offres de reclassement proposées au salarié soient écrites et précises. L’article D. 1333-2-1 du code du travail dispose que « les offres écrites précisent l’intitulé du poste et son descriptif ; le nom de l’employeur ; la nature du contrat de travail ; la localisation du poste ; le niveau de rémunération et la classification du poste ».
Dans la présente affaire, la salariée qui a été engagée en qualité de vendeuse spécialisée, s’est vu proposer une offre de reclassement dans le cadre d’une réorganisation de l’entreprise en vue de sauvegarder sa compétitivité, qu’elle a refusée. Son contrat de travail a été rompu le 24 septembre 2019, après qu’elle ait accepté le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) qui lui était proposé. Elle a ensuite contesté son licenciement. En appel, les juges estimaient que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamnait l’employeur à 40 000 € de dommages et intérêts, considérant que l’employeur n’a pas respecté son obligation de reclassement du fait de l’absence de mentions légales sur l’offre de reclassement. La Cour de cassation a donc dû, pour la première fois, répondre à la question suivante : l’incomplétude du contenu des offres de reclassement au regard des mentions prévues à l’article D. 1233-1-1 constitue-t-elle une irrégularité de forme ou de fond déterminante affectant leur précision et dans cette hypothèse, quelles sont les sanctions applicables ?
De manière extrêmement rigide les Hauts magistrats répondent par l’affirmative, précisant qu’« à défaut de l’une de ces mentions [de l’art. D. 1233-1-1 c. trav.], l’offre est imprécise, ce qui caractérise un manquement de l’employeur à son obligation de reclassement et prive le licenciement de cause réelle et sérieuse ».
La Cour de cassation ajoute ainsi des précisions à sa jurisprudence ancienne selon laquelle le manque de précision des offres constitue une méconnaissance par l’employeur de son obligation individuelle de reclassement, sanctionnée par le licenciement privé de cause réelle et sérieuse (Soc. 20 sept. 2006, n° 04-45.703 P, D. 2006. 2345, obs. E. Pahlawan-Sentilhes
; ibid. 2007. 686, obs. G. Borenfreund, F. Guiomard, O. Leclerc, P. Lokiec, E. Peskine et C. Wolmark
; Dr. soc. 2006. 1151, note G. Couturier
; Dr. soc. 2006. 1151, note G. Couturier). Si la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de se prononcer sur les exigences de fond concernant les offres de reclassement (sur la mention relative à la rémunération, Soc. 13 mai 2009, n° 07-43.893 ; 15 juin 2022, n° 21-10.641 ; sur la mention portant sur la localisation de l’emploi, Soc. 28 sept. 2022, n° 21-13.064), désormais elle vient considérer que la forme est tout aussi importante, puisqu’elle impose à l’employeur d’inscrire l’ensemble des mentions prévues à l’article D. 1233-1-1 ; l’absence d’une seule mention légale caractérisant un manquement de l’employeur à son obligation de reclassement.
Il importe peu de savoir si le salarié a accepté ou refusé le poste, puisque pour prendre sa décision, il doit être parfaitement éclairé sur le poste proposé. Or, l’absence d’une seule mention obligatoire ne répond pas à cette exigence. Cette obligation de forme conditionne, selon l’avocate générale, le respect de l’obligation de moyens renforcée qui pèse sur l’employeur. Cette solution rappelle donc avec force le principe de bonne foi et de loyauté contractuelle dont découle l’obligation de reclassement.
Quantum de l’indemnité pour licenciement sans réelle et sérieuse
La décision rendue par la Cour de cassation vient également apporter des éléments importants concernant les indemnités dues au salarié pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En l’espèce, l’employeur soutenait que devait être prise en compte dans le quantum de l’indemnité versée au salariée, le montant versé en application de l’article L. 1233-67 du code du travail, au titre du CSP signé. Il reprochait également à la cour d’appel de ne pas préciser le salaire de référence retenu ni les modalités de calcul de ce dernier.
Sur ce point, la Cour de cassation rappelle que l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, dispose notamment que, dans l’hypothèse d’un refus de réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est déterminé conformément au « barème Macron » et que, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture, à l’exception de l’indemnité de licenciement mentionnée à l’article L. 1234-9.
Or, la rupture du contrat de travail résultant de l’adhésion au CSP, ouvre droit à l’indemnité prévue à l’article L. 1234-9. C’est pourquoi les juges estiment que l’indemnité versée au titre du CSP n’a pas à être prise en compte pour le calcul de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par ailleurs, la Cour de cassation ajoute que les juges ne sont pas tenus de s’expliquer sur le choix des critères d’évaluation retenus ni même de détailler leur base de calcul.
Force est de rappeler que le CSP a pour objet l’organisation et le déroulement d’un parcours de retour à l’emploi, le cas échéant au moyen d’une reconversion ou d’une création ou reprise d’entreprise. Il était donc essentiel de dissocier.
La présente décision vient donc, une fois de plus, répondre aux exigences du droit fondamental à l’emploi en dissociant l’indemnité versée dans le cadre du CSP, par nature lié au retour à l’emploi, de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse liée à la rupture du contrat de travail.
Soc. 23 oct. 2024, FS-B, n° 23-19.629
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