Licenciement et congé paternité : précisions relatives au régime de la protection assurée au salarié

Par un arrêt du 27 septembre 2023, la Cour de cassation apporte d’intéressantes précisions relatives au régime de la protection assurée au salarié pendant les dix semaines suivant la naissance de son enfant.

L’article L. 1225-35 du code du travail dispose qu’après la naissance de l’enfant, le père salarié bénéficie d’un congé de paternité de vingt-cinq jours calendaires ou de trente-deux jours calendaires en cas de naissances multiples.

Le législateur a par ailleurs prévu une protection dans l’hypothèse où l’employeur envisagerait un licenciement, qui est équivalente à celle dont bénéficie la mère sur le fondement de l’article L. 1225-4 (sur l’ensemble de la question, D. Gardes, La protection de la paternité et le droit du travail : un retard encore important, Dr. soc. 2022. 402 ).

L’article L. 1225-4-1 énonce ainsi qu’« aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié pendant les dix semaines suivant la naissance de son enfant. Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant ».

La constitutionnalité de cet article a été contestée en ce que l’interdiction de licencier les jeunes pères porterait atteinte, notamment, à la liberté d’entreprise. La Cour de cassation a toutefois jugé qu’il n’y avait pas lieu à renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire considérée, au motif que l’interdiction de licencier, qui comporte des exceptions et est limitée dans le temps, répond à des motifs d’intérêt général et n’apporte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre (Soc. 2 mars 2022, n° 21-40.032, D. 2022. 709  ; RDT 2022. 326 , obs. F. Guiomard ; RJS 5/2022, n° 237).

La constitutionnalité de l’article L. 1225-4-1 étant désormais acquise, il est utile de préciser que son régime juridique est défini au regard des principes qui ont été dégagés, au fil du temps, à propos de la protection accordée à la mère, par une jurisprudence beaucoup plus étoffée.

En premier lieu, l’interdiction de rompre le contrat de travail n’exclut pas la possibilité de conclure une rupture conventionnelle au cours du congé de paternité, sauf en cas de fraude ou de vice du consentement (Soc. 25 mars 2015, n° 14-10.149, à propos du congé de maternité,Dalloz actualité, 24 avr. 2015, obs. W. Fraisse ; D. 2015. 808  ; ibid. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; Dr. soc. 2015. 399, étude J. Mouly ). Par ailleurs, cette interdiction n’interdit pas à l’employeur de procéder à des actes préparatoires à un licenciement pendant la période de protection du salarié (Soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.036, Dalloz actualité, 5 nov. 2020, obs. L. de Montvalon ; D. 2020. 1957  ; Dr. soc. 2020. 929, étude A.-M. Grivel  ; RDT 2020. 672, obs. Luc de Montvalon  ; RJS 11/2020, n° 580 ; JSL 2021, n° 509-510-5, obs. H. Nassom-Tissandier ; RJS 12/20 n° 580), par exemple en procédant à la convocation à un entretien préalable (en ce sens, Mémento Social 2023, Francis Lefebvre, n° 51460).

En deuxième lieu, l’employeur est tenu d’énoncer le ou les motifs de licenciement dans la lettre de licenciement (Soc. 3 nov. 2016, n° 15-15.333, à propos d’une salariée dont la grossesse avait été médicalement constatée, Dalloz actualité, 22 nov. 2016, obs. M. Roussel ; D. 2016. 2285  ; ibid. 2017. 235, chron. F. Ducloz, P. Flores, F. Salomon, E. Wurtz et N. Sabotier ).

En troisième lieu, il appartient évidemment à l’employeur d’établir la réalité du motif étranger, au sens de l’article L. 1225-4-1, qu’il invoque, puisqu’il résulte des termes mêmes de cet article qu’il a l’obligation d’en justifier. Dans ce cadre, il est certain que la lettre de licenciement ne peut pas se borner à viser un motif économique, sous peine de nullité du licenciement (Soc. 16 nov. 2011, n° 10-14.799, à propos d’un licenciement prononcé suite à un congé de maternité).

L’arrêt du 27 septembre 2023 fournit une nouvelle illustration de la charge qui pèse sur l’employeur, dans une affaire dans laquelle le salarié avait été licencié non pas pour faute grave mais pour des manquements professionnels sans lien avec la naissance de l’enfant mais qui étaient incompatibles avec ses fonctions de responsable commercial et son statut de cadre et qui étaient susceptibles de causer un préjudice à l’entreprise.

Les juges du fond avaient prononcé la nullité du licenciement, après avoir relevé que les griefs énoncés dans la lettre de licenciement ne caractérisaient pas une impossibilité de maintenir le contrat de travail, au sens de l’article L. 1225-4-1.

Le pourvoi de l’employeur reprochait à leur décision de manquer de base légale, faute d’avoir examiné les éléments de preuve produits, et de motifs. Il est toutefois rejeté, l’arrêt retenant que la décision d’appel est motivée et qu’elle est légalement justifiée en ce qu’elle a retenu que l’impossibilité de maintenir le contrat de travail ne résultait pas de la lettre de licenciement.

La cassation de la décision d’appel est toutefois prononcée en considération du pourvoi du salarié, qui soulevait un problème relatif à la procédure d’appel.

Pour bien le comprendre, il faut rappeler que l’article 566 du code de procédure civile pose qu’« à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait » ; et que l’article 566 du même code ajoute que « les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ».

En application de ces textes, les juges d’appel avaient déclaré irrecevables les demandes du salarié tendant à sa réintégration ainsi qu’à l’obtention d’une indemnité d’éviction et de dommages et intérêts pour violation de la protection prévue par l’article L. 1225-4-1. Cette irrecevabilité se fondait sur le fait que ces demandes n’avaient pas été formées devant le conseil de prud’hommes et étaient donc, selon les juges d’appel, nouvelles devant la cour d’appel au sens de l’article 566.

La problématique des demandes nouvelles en appel en matière de droit du travail est bien connue des spécialistes (C. Lhermitte, Procédures d’appel, Dalloz, coll. « Delmas Express », 2022/2023, n° 11.259 ; v. égal., de manière plus générale, P. Gerbay, N. Gerbay et C. Gerbay, Guide du procès civil en appel, LexisNexis, 2021/2022, nos 940 s.) et la Cour de cassation a, par exemple, retenu que justifie légalement sa décision la cour d’appel, qui a constaté que les demandes formées par la salariée, au titre d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, puis d’un licenciement nul, tendaient à la réparation des conséquences de son licenciement qu’elle estimait injustifié, en sorte que ces demandes tendaient aux mêmes fins et que la demande en nullité de licenciement était recevable (Soc. 9 juin 2022, n° 20-23.319).

Dans l’affaire jugée le 27 septembre 2023, la Cour de cassation désapprouve les juges du fond et retient que « le salarié dont le licenciement est nul est en droit de demander sa réintégration, ce dont il résulte que cette demande et la demande de dommages-intérêts pour violation de la protection de l’article L. 1225-4-1 du code du travail sont la conséquence de la demande de nullité du licenciement ».

Cette solution s’explique par les éléments suivants.

Dans la mesure où le licenciement prononcé en violation des dispositions de l’article L. 1225-4-1 est nul, le salarié a une droit à réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent (Soc. 15 oct. 2003, n° 01-44.503, RJS 1/04, n° 28). Il a, d’ailleurs, également droit au paiement d’une somme correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé (Soc. 17 févr. 2010, n° 08-45.640, Dalloz actualité, 12 mars 2010, obs. L. Perrin ; D. 2010. 1771 , note C. Lefranc-Hamoniaux et G. Dedessus-Le-Moustier  ; Dr. soc. 2010. 591, obs. C. Radé  ; RJS 5/10, n° 423).

Dès lors, comme l’indique l’arrêt commenté, et dans la mesure où le salarié avait demandé devant les premiers juges que soit prononcée la nullité du licenciement, la demande de réintégration formée en appel n’était que la conséquence, au sens de l’article 566, de cette précédente demande. Il en allait de même de la demande de dommages et intérêts pour violation de la protection.

 

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