Licenciement nul : quelles sommes sont dues au titre de l'indemnité d'éviction ?
Lorsqu'un licenciement est annulé, le salarié peut percevoir une indemnité d'éviction ayant vocation à réparer la totalité du préjudice économique subi par ce dernier au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration dans son emploi. L'indemnité d'éviction est due au salarié qui sollicite sa réintégration à la suite du prononcé de la nullité de son licenciement.
Dans deux décisions de la Cour de cassation rendues le 1er mars et le 8 mars 2023, le licenciement d’un salarié a été annulé et sa réintégration ordonnée. L’occasion pour la Cour de se prononcer sur la nature des sommes entrant ou non dans le calcul de l’indemnité d’éviction.
Dans le premier arrêt, un salarié avait été licencié pour insuffisance professionnelle et avait obtenu la nullité de son licenciement prononcé en réalité en raison de son état de santé ainsi que sa réintégration. Néanmoins, la Cour d’appel avait refusé d’inclure dans le calcul de l’indemnité d’éviction, une indemnité compensatrice de congés payés ainsi que les sommes qu’il réclamait au titre de l’intéressement et de la participation pour la période comprise entre son licenciement et la réintégration dans son emploi. Dans un second arrêt, une salariée qui exerçait, en parallèle de ses fonctions, un mandat de conseiller municipal et d’adjoint au maire chargé de l’état civil dans une commune comptant plus de 30 000 habitants, a été licenciée pour absence injustifiée. Cette dernière a contesté son licenciement et a demandé sa réintégration au motif que son absence était justifiée puisqu’elle célébrait alors un mariage en sa qualité d’élue locale. Si les juges ont reconnu la nullité de son licenciement, ils ont toutefois considéré que celui-ci n’intervenait pas en violation d’une liberté fondamentale. Résultat, les sommes perçues par la salariée issues d’une autre activité et d’un revenu de remplacement devaient ainsi être déduites du calcul de l’indemnité d’éviction.
L’ouverture des droits à congés payés pour le calcul de la période d’éviction sauf s’il y a occupation d’un autre emploi
De jurisprudence constante, l’indemnité d’éviction vient réparer la totalité du préjudice subi par le salarié entre son licenciement jugé nul et sa réintégration.
Dans la décision rendue par la Cour de cassation le 1er mars 2023 (pourvoi n° 21-16.008), se posait la question de savoir si le salarié pouvait prétendre à des droits à congés payés au titre de l’indemnité d’éviction. La Chambre sociale répond par l’affirmative, et juge qu’en application des dispositions légales (C. trav., art. L. 3141-3 et L. 3141-9) le salarié bénéficie de ses droits à congés payés pour la période d’éviction, c’est-à-dire entre son licenciement et sa réintégration, sauf s’il a occupé un autre emploi durant cette période.
Il était auparavant de jurisprudence constante que pendant la période d’éviction, le salarié n’exerçant pas de travail effectif, cette période ne pouvait ouvrir droit à l’acquisition de congés payés (Soc. 11 mai 2017, n° 15-19.731 P, D. 2017. 1048
; 30 janv. 2019, n° 16-25.672 NP). Mais la Cour de justice de l’Union européenne avait jugé quant à elle (CJUE 25 juin 2020, aff. C-762/18 et C-37/19, RDT 2020. 757, obs. M. Véricel
; RTD eur. 2021. 988, obs. F. Benoît-Rohmer
), que le salarié étant incapable de travailler pendant cette période, le droit à congés payés ne pouvait être subordonné en droit interne à l’obligation d’avoir effectivement travaillé. Cette position avait conduit la Cour de cassation à s’aligner sur la jurisprudence européenne quant à la prise en compte des congés payés dans l’indemnité d’éviction (Soc. 1er déc. 2021, n° 19-24.766 P, Dalloz actualité, 14 déc. 2021, obs. L. Malfettes ; D. 2021. 2236
; ibid. 2022. 414, chron. S. Ala et M.-P. Lanoue
). La solution rendue dans l’arrêt du 1er mars 2023 s’inscrit donc dans lignée du précédent revirement opéré par la Cour de cassation en 2021.
Ainsi, la période d’éviction faisant suite à l’annulation du licenciement, elle doit être assimilée à une période de travail effectif aux fins de la détermination des droits à congés payés.
La Cour de cassation dans l’affaire commentée émet toutefois une réserve s’agissant du cas où le salarié a occupé un autre emploi pendant la période d’éviction. Dans cette hypothèse, il se retrouve privé de ses droits à congés payés dans la mesure où l’indemnité d’éviction répare la totalité du préjudice subi par le salarié, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé (Soc. 25 janv. 2006, n° 03-47.517 P, D. 2006. 2002
, obs. J. Pélissier, B. Lardy-Pélissier et B. Reynès
; Soc. 16 oct. 2019, n° 17-31.624 P, D. 2019. 2043
; ibid. 2020. 1740, chron. A. David, M.-P. Lanoue, A. Prache et T. Silhol
). Intégrer dans l’assiette de calcul de l’indemnité d’éviction les congés payés que le salarié aurait acquis s’il n’avait pas été licencié, alors même qu’il a retrouvé un emploi et cumule déjà des congés payés, reviendrait à indemniser doublement le salarié, et contreviendrait au principe même de l’indemnité d’éviction et de la réparation du préjudice subi.
L’exclusion des sommes au titre de l’intéressement et de la participation du calcul de l’indemnité d’éviction
Dans cette première décision, le salarié fait valoir qu’en sus de ses droits à congés payés, devaient être intégrées dans l’indemnité d’éviction, les sommes qu’il aurait dû percevoir au titre de l’intéressement et de la participation.
Les sommes issues de l’intéressement et de la participation relevant de dispositifs d’épargne salariale, et n’étant pas considérées comme des salaires, la question se posait de savoir s’il convenait d’en tenir compte dans le cadre du calcul de l’indemnité d’éviction. Si le versement de l’intéressement dépend des résultats ou des performances de l’entreprise et est par nature facultatif (C. trav., art. L. 3312-1), le versement de la participation représente quant à lui une part des bénéfices de l’entreprise et est obligatoire dans les entreprises dont l’effectif est de 50 salariés ou plus (C. trav., art. L. 3322-1), ce qui aurait pu amener les juges à effectuer une distinction entre les deux dispositifs.
La chambre sociale précise pour la première fois que les sommes au titre de l’intéressement et la participation sont exclues de l’assiette du calcul de l’indemnité d’éviction, celles-ci n’ayant pas la nature de salaire (n° 21-16.008, Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. L. Malfettes ; D. 2023. 464
). Ainsi, l’indemnité d’éviction se limite uniquement aux salaires qui auraient dû être perçus avant la réintégration du salarié.
Cette clarification paraît opportune à l’aune de la signature de l’accord national interprofessionnel sur la prime de partage de valeur, qui a vocation à généraliser, à partir du 1er janvier 2025 et sous réserve d’extension de l’accord par le ministère du Travail, les dispositifs de partage de la valeur dans les entreprises de 11 à 49 salariés (participation, intéressement, prime de partage de la valeur, etc.).
La déduction des allocations et revenus de remplacement perçus pendant la période d’éviction
En principe, les sommes perçues pendant la période d’éviction au titre d’une autre activité ou celles issues de revenus de remplacement sont déduites du calcul de l’indemnité d’éviction, exception faite des cas où le licenciement a été prononcé en violation d’une liberté fondamentale (Soc. 25 nov. 2015, n° 14-20.527 P, Dalloz actualité, 18 déc. 2015, obs. M. Peyronnet ; D. 2015. 2508
; RDT 2016. 108, obs. Y. Ferkane
), ou en l’absence d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé, voire malgré un refus de l’autorisation administrative (Soc. 10 oct. 2006, n° 04-47.623, D. 2006. 2689
). Lorsqu’il s’agit de libertés fondamentales bafouées ou de salariés protégés licenciés en violation du statut protecteur par l’employeur, la haute juridiction considère que ces sommes n’ont pas à être exclues du calcul de l’indemnité d’éviction.
Dans cette décision du 8 mars 2023, la salariée avait été licenciée pour absence injustifiée, alors que dans le même temps, deux de ses collègues avaient constaté qu’elle était en train de célébrer un mariage dans le cadre de son mandat d’adjoint au maire.
Contestant la mesure de licenciement prise à son encontre, la salariée excipait que son licenciement prononcé en raison d’une violation d’une liberté fondamentale était nul, et que de ce fait son employeur ne pouvait déduire les revenus de remplacement perçus du calcul du montant de l’indemnité d’éviction. Pour ce faire, elle se fondait sur l’article L. 2123-8 du code général des collectivités territoriales qui dispose en substance que le licenciement prononcé en raison de l’absence du salarié exerçant son mandat local encourt la nullité et des dommages-intérêts au profit de l’élu.
Son raisonnement n’a toutefois pas convaincu les juges qui ont considéré que les articles 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 n’instituent pas une liberté fondamentale qui justifierait, en cas de nullité du licenciement prononcé en violation du mandat d’élu local, la non-déduction des revenus de remplacement perçus par le salarié entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration.
Ainsi, la Cour considère que si le licenciement est effectivement nul, il n’intervient pas en violation d’une liberté fondamentale de sorte que les sommes tirées d’une autre activité ou d’un revenu de remplacement pendant la période d’éviction doivent être déduites du calcul de l’indemnité d’éviction. Cette décision confirme la position antérieure de la Cour de cassation à ce sujet, qui paraît cohérente au regard de la solution adoptée par les juges concernant la prise en compte des droits à congés payés (Soc. 3 juill. 2003, n° 01-44.522, D. 2004. 180, et les obs.
, obs. B. Reynès
; 12 févr. 2008, n° 07-40.413 P, Dalloz actualité, 4 mars 2008, obs. S. Maillard ; D. 2008. 618, obs. S. Maillard
). En effet, à nouveau, la chambre sociale rappelle implicitement que l’indemnité d’éviction n’a pas pour objet d’indemniser le salarié au-delà de ce qu’il aurait perçu s’il n’avait pas été licencié.
Il convient de préciser que lorsque les allocations de chômage doivent être déduites de l’indemnisation, le juge ne peut pas pour autant condamner le salarié à rembourser à l’assurance chômage les allocations perçues et l’employeur à verser à l’intéressé la même somme (Soc. 11 mars 2009, n° 07-43.335 NP).
Malgré les éclaircissements apportés par la Cour de cassation au travers de ces décisions sur le calcul de l’indemnité d’éviction, une question subsiste : le calcul de cette indemnité s’effectue sur la base du salaire net ou du salaire brut ? La Cour de cassation considérant que l’indemnité du salarié qui ne demande pas sa réintégration doit être calculée sur le salaire brut, il semblerait logique qu’il en soit de même pour le salarié réintégré après un licenciement nul (Soc. 7 juin 2005, n° 03-44.969 P, D. 2005. 1733, obs. A. Astaix
; RJS 8-9/2005, n° 870).
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