Licenciement pour harcèlement et enquête interne : le doute profite au salarié
En cas de licenciement d’un salarié en raison de la commission de faits de harcèlement sexuel ou moral ou d’agissements sexistes ou à connotation sexuelle, il appartient aux juges du fond d’apprécier la valeur probante d’une enquête interne produite par l’employeur, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties. Les courriels émis ou reçus par le salarié grâce à sa messagerie électronique professionnelle sont des données à caractère personnel au sens du RGPD, le salarié disposant du droit d’accéder à ces courriels, l’employeur se doit de lui fournir, sauf à s’exposer à des dommages-intérêts en raison du préjudice subi.
Il est aujourd’hui bien acquis en matière de contestation du licenciement que le doute profite au salarié (Soc. 16 juin 1993, n° 91-45.462 P, D. 1993. 174
). Cette jurisprudence constante trouve son ancrage textuel dans la lettre de l’article L. 1235-1 en son dernier alinéa. C’est encore au sujet de ce dernier alinéa indiquant que « si le doute subsiste, il profite au salarié » que le Conseil constitutionnel a pu préciser que c’est seulement dans le cas où le juge sera dans l’impossibilité, au terme d’une instruction contradictoire, de former avec certitude sa conviction sur l’existence d’une cause réelle et sérieuse qu’il sera conduit à faire application du principe selon lequel « le doute profite au salarié » (Cons. const. 25 juill. 1989, n° 89-257, consid. 19).
Aussi considère-t-on que les juges du fond apprécient souverainement les éléments de preuve soumis à leur examen. Il a par exemple été admis qu’après avoir constaté l’existence de versions différentes sur l’origine de la dégradation des relations professionnelles au sein de l’entreprise, le juge peut admettre de faire profiter le salarié du bénéfice du doute (Soc. 9 nov. 2004, n° 02-42.938, inédit, RJS 1/2005, n° 19 ; v. égal., Soc. 9 nov. 2004, n° 02-44.838, inédit, RJS 1/2005, n° 21). C’est dans le contexte particulier d’un licenciement pour harcèlement moral étayé à l’aide d’une enquête interne que l’arrêt du 18 juin 2025 vient apporter son éclairage du principe.
En l’espèce, le directeur associé d’une société avait été convoqué à un entretien préalable, avec mise à pied à titre conservatoire, avant d’être licencié pour faute.
S’estimant victime d’un licenciement abusif, l’intéressé saisit les juridictions prud’homales de demandes tendant à obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des dommages-intérêts en raison des circonstances vexatoires de la rupture.
Les juges du fond firent droit à la demande, de sorte que l’employeur forma un pourvoi en cassation, que la chambre sociale va rejeter au terme d’un raisonnement rappelant le régime juridique probatoire entourant le grief de harcèlement adressé à un salarié faisant l’objet d’un licenciement.
L’appréciation souveraine de la valeur probante d’une enquête interne
L’éminente juridiction va en effet poser le principe selon lequel en cas de licenciement d’un salarié en raison de la commission de faits de harcèlement sexuel ou moral ou d’agissements sexistes ou à connotation sexuelle, il appartient aux juges du fond d’apprécier la valeur probante d’une enquête interne produite par l’employeur, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties.
Elle réaffirme à ce titre l’appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits par les parties par les juges du fond, parmi lesquels peut figurer, comme c’était le cas en l’espèce, un rapport de l’enquête interne auquel recourent conjointement l’employeur et le comité social et économique (le feu CHSCT dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt).
En l’espèce pouvait être observée une description assez semblable des faits dans les comptes rendus, mais l’un des deux s’était révélé partiellement tronqué de sorte à ne pas permettre d’établir que la personne avait été personnellement témoin.
Plusieurs autres éléments laissaient planer un doute quant à la matérialité des faits : les faits décrits par la victime n’étaient confirmés par aucune autre personne bien que des salariés en aient été témoins selon l’intéressée, des passages de comptes rendus d’entretien avaient été tronqués, le nom de personnes citées ont été caviardés, l’intégralité de l’enquête n’était pas versée aux débats puisque seulement cinq comptes rendus sur les quatorze entretiens réalisés étaient produits (pour des considérations tenant à la volonté de salariés de conserver l’anonymat et de ne pas produire leur témoignage, sans toutefois que l’employeur n’explique en quoi il n’aurait pu anonymiser ces éléments)… Les juges du fond déduisirent qu’il ne pouvait être exclu que ces comptes rendus soient absents des pièces produites par la société du fait de leur caractère favorable au salarié ou de ce qu’ils infirmaient précisément tout ou partie des faits imputés à ce dernier.
À l’aune de cette appréciation de la valeur probante du rapport d’enquête interne combiné aux autres éléments de preuve produits, la cour d’appel avait fini par estimer que les griefs invoqués par l’employeur à l’appui du licenciement n’étaient pas établis par des éléments suffisamment probants et que le doute devait dès lors profiter à l’intéressé.
Par cet arrêt, la chambre sociale consolide la jurisprudence en matière d’appréciation souveraine des juges du fond et donne à voir une nouvelle illustration du principe selon lequel le doute profite au salarié.
La solution met en exergue la centralité de la question de la preuve dans une procédure disciplinaire dirigée à l’encontre d’un salarié à qui il est reproché un harcèlement. L’employeur, pris en étau entre son obligation de sécurité à l’égard de la victime et la nécessité les droits de la personne mise en cause, contre laquelle de solides éléments probatoires doivent être apportés. Aussi doit-on en déduire que la récolte d’éléments à charge au travers d’une enquête interne ne suffit pas, en particulier si d’autres éléments viennent neutraliser tout ou partie de son objectivité ou contredire certaines de ses conclusions.
L’employeur qui entend licencier un collaborateur pour harcèlement devra se montrer particulièrement exigeant quant à la qualité des éléments de preuve recueillis. La fourniture de l’ensemble des témoignages recueillis au cours de l’enquête interne nous apparaît, pour lui éviter le grief de subjectivité, indispensable, fussent-ils anonymisés.
À défaut, et en présence de témoignages divergents, l’application du principe du doute profitant au salarié et le constat de l’absence de cause réelle et sérieuse par le juge seront à attendre en cas de contentieux.
L’indemnisation du non-respect du droit d’accès aux données personnelles
En dernier lieu, le salarié avait aussi sollicité l’employeur pour récupérer son dossier personnel et lui reprochait de s’être borné à lui communiquer ses seuls documents contractuels, à l’exclusion notamment des mails échangés à l’occasion de l’exécution du contrat de travail.
Après avoir validé l’applicabilité du RGPD au cas d’espèce, l’éminente juridiction va rappeler que les courriels émis ou reçus par le salarié grâce à sa messagerie électronique professionnelle sont des données à caractère personnel au sens de l’article 4 du RGPD et que le salarié a ipso facto le droit d’accéder à ces courriels, l’employeur devant lui fournir tant les métadonnées (horodatage, destinataires) que leur contenu, sauf si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte aux droits et libertés d’autrui. Si ce défaut de communication occasionne un préjudice à l’intéressé, il est alors loisible au juge de condamner à sa réparation, ce que la cour d’appel avait précisément fait dans le cas d’espèce.
Ce faisant, l’éminente juridiction s’inscrit dans le droit fil de la doctrine de la CNIL en la matière, tout en livrant l’importante précision qu’un défaut de réponse à une demande d’accès peut, au-delà des seules sanctions administratives prononcées par la CNIL, se solder par une mise en mouvement de la responsabilité civile de l’employeur et accoucher d’une indemnisation du préjudice subi par le salarié si celui-ci est établi.
Soc. 18 juin 2025, FS-B, n° 23-19.022
par Loïc Malfettes, Docteur en droit, Responsable RH et juridique
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