Limitation du recours de l’Agent judiciaire de l’État en matière d’accident de la circulation
Le recours de l’Agent judiciaire de l’État, en cas d’avance des frais de la victime d’un accident de la circulation, est, en application de l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985, limité aux prestations expressément mentionnées à l’article 1er, II, de l’ordonnance du 7 janvier 1959.
Si la loi du 5 juillet 1985 est, dans l’ensemble, parvenue à simplifier et limiter le contentieux relatif aux accidents de la circulation, l’application de certaines dispositions n’en présente pas moins une complexité certaine. Tel est notamment le cas de l’article 29 de la loi, consacré au champ des recours contre le responsable ou son assureur.
Alors qu’un militaire circulait sur un deux roues, ce dernier avait été victime d’un accident de la circulation impliquant un autre véhicule assuré. L’assureur ayant refusé de procéder à l’indemnisation, la victime l’a assigné en présence de l’Agent judiciaire de l’État (l’AJE), de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale et de la Caisse primaire d’assurance maladie à fin d’indemnisation de son préjudice.
L’AJE ayant avancé les frais de santé et hospitaliers de la victime, il avait exercé un recours subrogatoire contre l’assureur. La Cour d’appel de Paris avait fait droit à ce recours pour l’ensemble des sommes avancées par l’AJE, y compris pour le « forfait hospitalier », autrement dit les frais liés à l’hébergement et à la restauration au sein de l’hôpital. L’assureur avait alors formé un pourvoi, contestant notamment la possibilité de l’AJE d’exercer un recours pour ces sommes.
La Cour de cassation, au visa de l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985, censure l’arrêt. La Cour, commence par rappeler que cet article limite à certaines prestations la possibilité d’exercer un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur. Parmi ces prestations, le 2° de l’article prévoit un recours pour « Les prestations énumérées au II de l’article 1er de l’ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l’État et de certaines autres personnes publiques ». C’est sur le sens de ce dernier article, dans sa version antérieure au 1er mars 2022, applicable à l’espèce, qu’une divergence est apparue entre l’interprétation de la cour d’appel et celle de la Cour de cassation.
Alors que le I de cet article disposait « Lorsque le décès, l’infirmité ou la maladie d’un agent de l’État est imputable à un tiers, l’État dispose de plein droit contre ce tiers, par subrogation aux droits de la victime ou de ses ayants droit, d’une action en remboursement de toutes les prestations versées ou maintenues à la victime ou à ses ayants droit à la suite du décès, de l’infirmité ou de la maladie », le II prévoyait que « Cette action concerne notamment » certaines prestations dont « Les frais médicaux et pharmaceutiques ». La cour d’appel, insistant sur l’adverbe « notamment », avait considéré que l’article 1er de l’ordonnance du 7 janvier 1959 ne limitait pas la faculté d’action de l’État et que, par conséquent, l’AJE pouvait exercer un recours pour l’ensemble des sommes avancées.
Si le raisonnement se comprenait, il n’a toutefois pas convaincu la Cour de cassation, qui considère pour sa part que seules les prestations qui étaient expressément énumérées à l’article 1er de l’ordonnance ouvraient droit à un recours de l’État sur le fondement de l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985.
La solution a pour elle une analyse rigoureuse des termes « frais médicaux et pharmaceutiques », laquelle renvoie aux dépenses de santé au sens propre, et non aux frais « annexes » d’hospitalisation. Elle peut aussi s’expliquer dans la mesure où l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985 adopte une formulation restrictive (« Seules les prestations énumérées ci-après versées à la victime d’un dommage résultant des atteintes à sa personne ouvrent droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur ») qui pourrait sembler peu compatible avec une lecture « ouverte » de l’article 1er de l’ordonnance.
Elle interroge pourtant.
D’une part, parce que l’affirmation de la cour d’appel selon laquelle l’utilisation de l’adverbe « notamment » implique que la liste de l’article 1er, II, de l’ordonnance du 7 janvier 1959, dans sa version applicable à l’espèce, est non limitative a de quoi convaincre, d’autant plus que pour toute justification de la cassation, la Cour retient que « le forfait hospitalier ne figure pas dans la liste des prestations énumérées à l’article 1er, II, de l’ordonnance du 7 janvier 1959, la cour d’appel a violé le texte susvisé », ce qui n’explique pas grand-chose.
D’autre part, parce que la solution a quelque chose de contre-intuitif : si l’assureur n’avait pas refusé d’indemniser, ce qu’il était tenu de faire, c’est bien lui qui aurait dû assumer le coût du forfait hospitalier. Du fait de sa résistance, et de la présente solution, ce sont finalement les finances publiques qui devront assumer cette charge.
On peut enfin souligner que malgré la modification de l’article 1er de l’ordonnance du 7 janvier 1959, la solution devrait, sauf revirement, demeurer inchangée. S’il convient d’être prudent avec l’interprétation de textes qui procèdent désormais à un triple renvoi, l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985 renvoyant à l’article 1er de l’ordonnance du 7 janvier 1959 qui renvoie désormais lui-même aux articles L. 825-1 à L. 825-8 du code général de la fonction publique. Or, si l’article L. 825-2 du code général de la fonction publique dispose que « La personne publique est admise à poursuivre directement contre le responsable du dommage ou son assureur : 1° La réparation, dans les conditions fixées par le présent code, du préjudice éprouvé par le fonctionnaire à la suite du dommage mentionné au chapitre II de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation », l’article L. 825-4 du même code dispose pour sa part que « L’action subrogatoire concerne notamment » sept prestations différentes, dont « Les frais médicaux et pharmaceutiques ». L’action de la personne publique sur le fondement de l’article L. 825-2 étant limitée aux « conditions fixées par le présent code », on peut penser, en dépit de l’utilisation de l’adverbe « notamment » à l’article L. 825-4, que la Cour de cassation maintiendra la présente solution.
Civ. 2e, 28 nov. 2024, F-B, n° 23-14.255
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