L’impossible régularisation au cours de l’instance d’appel de l’assignation à comparaître devant le juge des référés affectée d’un vice de fond

Par un arrêt rendu le 11 septembre 2025, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est revenue sur les conditions de régularisation d’une assignation irrégulière : l’irrégularité d’un acte introductif d’instance procédant d’un vice de fond peut être couverte jusqu’au moment seulement où le juge saisi de cette instance statue, de sorte que l’irrégularité de l’assignation à comparaître devant le juge des référés ne saurait être régularisée au cours de l’instance d’appel.

Depuis le 1er août 2016, les avocats peuvent en principe postuler devant tous les tribunaux judiciaires du ressort de la cour d’appel dans lequel ils ont leur résidence professionnelle. Cette faculté de multipostulation souffre néanmoins de plusieurs exceptions : les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal judiciaire que celui auprès duquel est établie leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisies immobilières, de partage et de licitation, ni au titre de l’aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maître de l’affaire chargé également d’assurer la plaidoirie (v. Loi n° 71-1130 du 31 déc. 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 5). Si ces règles s’énoncent clairement, la question de leur application devant certaines juridictions est source de plus grandes incertitudes.

En l’espèce, une demande de mesures d’expertise est sollicitée en référé auprès du Tribunal judiciaire de Libourne. Le demandeur est représenté par un avocat plaidant, inscrit au Barreau de Tarbes, et par un avocat constitué inscrit au Barreau de Bordeaux. Par une ordonnance rendue le 13 janvier 2022, le juge des référés constate la régularité de l’assignation et ordonne les mesures d’expertise sollicitées. L’ordonnance est confirmée par la Cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt rendu le 14 novembre 2022. Pour les juges d’appel, il ne fait aucun doute que l’assignation est entachée d’une irrégularité de fond : l’avocat inscrit au Barreau de Bordeaux ne pouvait postuler auprès du Tribunal judiciaire de Libourne qu’à la condition d’être maître de l’affaire et chargé également d’assurer la plaidoirie. Pour autant, ils considèrent qu’au jour de l’audience tenue devant elle le demandeur n’était plus représenté que par un avocat inscrit au Barreau de Bordeaux, de sorte que la procédure avait été régularisée.

Un pourvoi en cassation est formé, interrogeant une nouvelle fois la Cour de cassation sur la question de savoir si l’irrégularité de fond affectant un acte introductif d’instance peut être régularisée devant les juges d’appel.

Pour la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, la réponse est négative.

Repartant de la lettre de l’article 121 du code de procédure civile, la Cour de cassation considère que l’irrégularité d’un acte introductif d’instance devant une juridiction peut être uniquement couverte « jusqu’au moment où le juge saisi de cette instance statue ». De la sorte, l’assignation devant le tribunal judiciaire irrégulière ne pouvait être régularisée au cours de l’instance d’appel.

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 11 septembre dernier est bienvenu en ce qu’il permet de lever une double incertitude. D’une part, il précise le sens de l’article 121 du code de procédure civile et les conditions de la régularisation d’un acte introductif d’instance affecté d’une irrégularité de fond, point sur lequel la jurisprudence de la Cour de cassation était traditionnellement divisée. D’autre part, en confirmant que l’assignation devant le juge des référés était affectée d’une irrégularité pour vice de fond, l’arrêt lève tous les doutes qui pouvaient encore exister quant au caractère obligatoire de la représentation et à l’application des règles relatives à la territorialité de la postulation des avocats devant ce juge.

La territorialité de la postulation devant le juge des référés

Territorialité de la postulation et représentation obligatoire

Si les règles relatives à la territorialité de la postulation dépassent largement les seuls intérêts des parties pour embrasser des préoccupations d’intérêt général (v. not., S. Bortoluzzi, D. Piau et T. Wickers, Règles de la profession d’avocat, 18e éd., Dalloz, 2024, nos 622.130 s.), elles ne s’appliquent pas pour autant devant toutes les juridictions. D’abord, l’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ne vise que le tribunal judiciaire et la cour d’appel. Ainsi les règles de postulation sont-elles inapplicables devant les juridictions d’attribution distinctes du tribunal judiciaire, telle que la juridiction de l’expropriation (Cass., ch. mixte, avis, 6 mai 2021, n° 21-70.004, Dalloz actualité, 19 mai 2021, obs. C. Bléry et M. Bencimon ; D. 2021. 968 ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero ; AJDI 2022. 425, chron. S. Gilbert ; RTD civ. 2021. 701, obs. N. Cayrol ) ou encore la juridiction commerciale (Civ. 2e, 14 nov. 2024, n° 24-14.167, Dalloz actualité, 4 déc. 2024, obs. C. Bléry ; D. 2025. 505, obs. N. Fricero ; JCP 2025. 103, note S. Grayot-Dirx).

En outre, les règles relatives à la territorialité de la postulation sont écartées lorsque la représentation n’est pas obligatoire. Cette dérogation se conçoit aisément : dès lors qu’il n’est pas fait obligation aux parties d’être assistées, il n’est pas de raison de leur imposer, dans l’hypothèse où elles auraient fait le choix de l’être, un certain avocat (Civ. 2e, 25 avr. 2024, n° 23-70.020, Dalloz actualité, 14 mai 2024, obs. C. Caseau-Roche ; D. 2024. 876 ; ibid. 2025. 1178, obs. A. Leborgne et J.-D. Pellier ; RCJPP 2024, n° 03, p. 23, obs. A. Léon ; ibid., n° 06, p. 36, chron. S. Pierre Maurice ; JCP 2024. 582, obs. N. Cayrol). Une logique similaire s’impose lorsque la représentation n’est pas confiée à un avocat à titre de monopole, comme en matière prud’homale où les parties peuvent être représentées par tout avocat, si elles ne font pas le choix d’un défenseur syndical (Cass., ch. mixte, avis, 5 mai 2017, n° 17-70.005, Dalloz actualité, 9 mai 2017, obs. A. Portmann ; ibid., 10 mai 2017, obs. C. Bléry).

Représentation obligatoire et juridiction des référés

En l’espèce, en confirmant que l’assignation à comparaître était entachée d’un vice de fond, la Cour de cassation confirme indirectement que les règles de postulation trouvent à s’appliquer devant le juge des référés. C’est dire que, pour la Cour de cassation, d’une part le juge des référés n’est pas une juridiction d’attribution distincte du tribunal judiciaire, et d’autre part, que la représentation par avocat est obligatoire devant le juge des référés. Si la première affirmation va de soi, il n’en va assurément pas de même de la seconde. On enseignait traditionnellement que, quelle que soit la juridiction des référés compétente en première instance, les parties étaient admises à se présenter en personne. Et la Cour de cassation avait déjà pu prendre motif de l’absence de représentation obligatoire pour écarter l’application des règles relatives à la territorialité de la postulation devant le juge des référés (Civ. 2e, 28 janv. 2016, n° 14-29.185, D. 2016. 321 ; D. avocats 2016. 44, obs. L. Dargent ; Procédures 2016. Comm. 83, par Y. Strickler). Sans doute cette solution a-t-elle, en l’espèce, convaincu le juge des référés du Tribunal judiciaire de Libourne qui a constaté la régularité de l’acte d’assignation.

C’était toutefois ne pas tenir compte de l’extension récente de la représentation obligatoire. Précisément, depuis le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, la représentation par avocat est en principe obligatoire devant le tribunal judiciaire. Et, le positionnement de l’article 760 du code de procédure civile, dans les dispositions communes à cette juridiction, semblait indiquer que ce même principe devait trouver à s’appliquer par extension à la procédure de référé. Mais, au vrai, d’autres dispositions du code de procédure civile pouvaient plaider pour une solution inverse, de sorte que la question restait jusqu’à présent discutée (v. not., N. Cayrol, Assistance et représentation des parties, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile, 11e éd., Dalloz, 2023, n° 281.211, p. 930).

Par cette décision du 11 septembre 2025, la Cour de cassation met fin à la discussion : depuis le 1er janvier 2020, la représentation devant le juge des référés est donc désormais obligatoire, sauf les exceptions prévues à l’article 761 du code de procédure civile. Si cette solution s’inscrit assurément dans le sens de l’évolution de la procédure civile et de la généralisation progressive de la représentation obligatoire (v. encore réc., G. Maugain, « Magicobus II » : deuxième décret magique opérant des simplifications ciblées de la procédure civile, Dalloz actualité, 8 sept. 2025), on peut craindre qu’elle affecte l’efficacité de la procédure de référé qui repose aussi en partie sur sa simplicité de mise en œuvre. En outre, la solution achève de décorréler la question de la représentation obligatoire à celle de la nature de la procédure – la procédure de référé demeurant par principe orale –, alors que ces deux questions pourraient sans doute, dans une configuration idéale de la procédure civile, être liées l’une à l’autre. Il reste que la représentation devant le juge des référés étant désormais obligatoire, les règles relatives à la territorialité de la postulation y trouvent donc logiquement à s’appliquer.

La régularisation de l’assignation entachée d’un vice de fond

La possibilité d’une régularisation

Le non-respect des règles relatives à la territorialité de la postulation constitue une irrégularité de fond pouvant être soulevée en tout état de cause (C. pr. civ., art. 118), sans que celui qui l’invoque n’ait à justifier d’un quelconque grief (C. pr. civ., art. 119). Si la souplesse du régime de la nullité pour irrégularité de fond se comprend au regard de la gravité du vice qu’elle couvre, la nullité peut conduire à des résultats discutables, notamment lorsque le vice affecte l’acte introductif d’instance lui-même : les parties sont alors simplement contraintes de réintroduire l’instance, sans qu’aucun moyen tiré de la prescription ou de la forclusion ne puisse leur être opposé, la demande en justice même affectée d’un vice de procédure conservant son effet interruptif (C. civ., art. 2241). Grave, l’irrégularité de l’acte introductif d’instance n’est toutefois pas toujours irrémédiable, et peut être parfois régularisée au cours de l’instance (par ex., Civ. 2e, 10 janv. 2019, n° 17-28.805, Dalloz actualité, 5 févr. 2019, obs. M. Kebir ; D. 2019. 1306, obs. A. Leborgne ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero ; RDP 2019, n° 02, p. 25, obs. O. Salati ; RTD civ. 2019. 399, obs. N. Cayrol ; Procédures 2019. Comm. 70 par Y. Strickler).

Le temps de la régularisation

La régularisation d’un acte irrégulier pour vice de fond est soumise à une exigence temporelle. Précisément, l’article 121 du code de procédure civile impose que la régularisation intervienne « avant que le juge statue ». Au vrai, la formulation est imprécise, et autorise de multiples interprétations. Il ne fait aucun doute que si l’irrégularité affecte la procédure de première instance, elle peut être régularisée jusqu’au moment où le juge de première instance statue. De la même manière, l’irrégularité qui affecte la procédure d’appel peut être régularisée jusqu’au jour où le juge d’appel statue. Mais peut-on aller plus loin et admettre qu’une irrégularité affectant la procédure de première instance, invoquée devant le premier juge, puisse être régularisée en cause d’appel ? Sur ce point, la jurisprudence est traditionnellement divisée.

Certaines décisions de la Cour de cassation ont pu admettre sur le fondement de l’article 121 du code de procédure civile que la régularisation intervienne en cause d’appel (v. Civ. 2e, 21 avr. 2005, n° 02-20.183, D. 2005. 1302 ; AJDI 2005. 674 ; RTD civ. 2005. 631, obs. R. Perrot ; 25 mars 2010, n° 09-13.672, JCP S 2010. 1252, obs. S. Brissy ; Soc. 26 janv. 2016, n° 14-11.992 et n° 14-11.995, D. 2016. 319 ; JCP S 2016. 1133, obs. A. Bugada) ; d’autres ont en revanche adopté une solution inverse (v. Com. 19 juin 2007, n° 06-12.150 ; Civ. 1re, 23 févr. 2011, n° 09-13.867, Dalloz actualité, 7 mars 2011, obs. I. Gallmeister ; D. 2011. 1265, obs. I. Gallmeister , note R. Loir ; ibid. 2501, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2011. 215, obs. T. Verheyde ; RDP 2011, n° 06, p. 148, obs. M.-P. Mourre-Schreiber ; RTD civ. 2011. 324, obs. J. Hauser ; Procédures 2011. Comm. 183, par M. Douchy-Oudot). Dans le sens des premières décisions, on invoquera volontiers la bonne administration de la justice, le souci d’éviter que les parties ne soient contraintes de recommencer leur procès, ou encore l’effet dévolutif de l’appel. Pour justifier les secondes, on se fondera sur la conception de l’appel désormais envisagé comme la critique de la décision du juge, ou encore sur l’importance des règles de la territorialité de la postulation en première instance, qui perdraient de leur intérêt si la régularisation était permise à hauteur d’appel.

Ces derniers arguments ont manifestement emporté la conviction de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans l’affaire ici commentée. Saisis une nouvelle fois de la question, les juges de cassation ont considéré que l’irrégularité d’un acte introductif d’instance procédant d’un vice de fond pouvait être couverte « jusqu’au moment où le juge saisi de cette instance statue ». La formulation est large et exclut toute régularisation en cause d’appel, que l’irrégularité de fond de l’acte introductif d’instance ait été soulevée en première instance ou non (v. préc., pour une telle situation, Com. 12 févr. 2012, n° 10-28.254). Rigoureuse, la motivation retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans cette affaire nous semble de nature à mettre fin aux hésitations que suscite actuellement l’article 121 du code de procédure civile. Gageons que les autres chambres de la Cour de cassation s’alignent sur cette nouvelle lecture de l’article, pour qu’enfin celle-ci retienne une interprétation cohérente et uniforme des conditions de la régularisation de l’acte introductif d’instance entaché d’un vice de fond.

Si la lecture de l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation laisse optimiste quant à l’unification prochaine de la jurisprudence sur la régularisation des actes introductifs d’instance entachés d’un vice de fond, on ne peut qu’être pris dans le même temps d’une certaine forme de regret : il faut bien voir que si les parties ont pu obtenir une décision de première instance et une décision d’appel en onze mois, il leur a fallu ensuite attendre près de trois ans pour obtenir une réponse à la question qu’il pouvait légitimement se poser au regard des hésitations de la jurisprudence de la Cour de cassation. Il n’est pas satisfaisant que les parties soient ainsi contraintes de renoncer à la protection et aux garanties que leur offre la procédure de référé, dès lors qu’elles souhaitent soulever une question de droit. L’instauration d’un parcours accéléré devant la Cour de cassation paraît toujours plus que nécessaire afin d’assurer « la cohérence du traitement des procédures accélérées tout au long de la chaîne procédurale, de la première instance à l’instance de cassation ». Il en va, rappelons-le, « de l’effectivité et de la qualité de la protection juridictionnelle provisoire » (v. C. Chainais, À la recherche d’un modèle pluraliste de cassation « à la française », JCP 2016, supplément au n° 1-2, p. 42 s.). 

 

Civ. 2e, 11 sept. 2025, F-D, n° 23-10.564

par Romain Raine, Maître de conférences, Université Jean Moulin Lyon III

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