L’incertain débat sur la loi narcotrafic

Ce lundi à l’Assemblée, commencent les débats en séance sur la proposition de loi contre le narcotrafic. Le texte a été profondément remanié en commission, des dispositions clés (dossier-coffre, CRPC criminelle, backdoors) ayant été supprimées, alors que d’autres ont été rajoutées (quartiers de haute sécurité en prison, visioconférence par défaut). Les débats s’annoncent incertains.

Si le sujet de la lutte contre le narcotrafic bénéficie d’un fort consensus politique, la proposition de loi sur le sujet suscite encore beaucoup d’interrogations. Le parcours atypique du texte n’aide pas : issue d’une proposition de loi sénatoriale, élaborée dans un contexte de forte instabilité gouvernementale, les dispositions n’ont pu être travaillées suffisamment avant les débats parlementaires. Normalement, les administrations gouvernementales et les réunions interministérielles servent à éprouver les dispositifs. Ici, cela n’a pu être le cas, et de nombreuses dispositions clés sont encore à l’expertise. D’autant que les débats sont conduits à marche forcée (Dalloz actualité, 24 janv. 2025, obs. P. Januel).

Il y a dix jours, les débats en commission n’ont pas permis de stabiliser le périmètre du futur parquet national anticriminalité organisée (PNACO) (Dalloz actualité, 7 mars 2025, obs. P. Januel), plusieurs choix stratégiques clés n’étant à ce stade, toujours pas arrêtés. La mission de préfiguration a dû poursuivre son travail et les conclusions n’ont pas été rendues publiques avant le dépôt des amendements.

Le Conseil d’État a également été saisi tardivement de deux amendements gouvernementaux, déjà adoptés en commission. Il n’a rendu son avis que dans sa séance de jeudi dernier. Sur les quartiers pénitentiaires de lutte contre la criminalité organisée, sorte de quartiers de haute sécurité modernes, il a donné un avis favorable, appelant toutefois à revoir le texte sur certains points. Il suggère par exemple de resserrer le critère de placement en présence d’un risque de « poursuite ou d’établissement de liens avec les réseaux de la criminalité et de la délinquance organisée quelles que soient les finalités et les formes de ces derniers » et de limiter la décision à deux ans renouvelables (et non 4).

Le gouvernement a également voulu limiter les extractions judiciaires sensibles en systématisant la visio-audience pour la comparution devant le juge d’instruction ou les décisions en matière de détention provisoire, sauf décision contraire du juge. Le Conseil d’État observe que le champ d’application du dispositif envisagé par le gouvernement est ainsi particulièrement large, pas moins de « 13 500 personnes étant chaque année mises en cause pour au moins une de ces infractions concernées ». Pour assurer la constitutionnalité du dispositif, il suggère de limiter ce dispositif aux personnes affectées en quartier de lutte contre la criminalité organisée, « ce qui devrait concerner, selon le gouvernement, 800 personnes au maximum à terme ». Un avis repris par le gouvernement.

Les avocats mobilisés

Les représentants des avocats se sont fortement mobilisés auprès des députés. Pour Antoine Lafon du Conseil de l’ordre du Barreau de Paris, « notre position est inchangée (Dalloz actualité, 15 oct. 2024, obs. P. Januel). Nous partageons le souci des citoyens de lutter contre le narcotrafic mais ce texte reste très inquiétant en raison des atteintes portées aux libertés fondamentales ». Même son de cloche pour Amélie Morineau du Conseil national des barreaux, qui regrette « l’impréparation et l’atmosphère de défiance envers les avocats qui entoure le texte ». Parmi les nombreux motifs d’opposition, la priorité est, pour elle, le dossier-coffre : « philosophiquement, nous sommes opposés que l’on retire du contradictoire une partie de la procédure ».

L’incertitude parlementaire

Ils ont été partiellement entendus par la commission des lois, de nombreux articles (dossier coffre, activation à distance des dispositifs de surveillance, CRPC criminelle, gel administratif des avoirs) ayant été supprimés. Mais les débats étaient atypiques. Si le RN et la gauche ont été très mobilisés, ce n’était pas forcément le cas du socle commun (Ensemble et LR). D’autant qu’en commission des lois siègent des députés-avocats, parfois plus sensibles aux questions de libertés publiques que leurs collègues. L’absence de majorité fait qu’un article peut être largement supprimé en commission pour être rétabli dans l’hémicycle, où la politique reprend ses droits. Le Rassemblement national ayant annoncé qu’il trouvait le texte trop timoré, il pourrait soutenir le rétablissement de certains articles.

Le gouvernement propose aussi d’autres dispositifs. Ainsi, outre le rétablissement de l’article sur l’activation à distance, il souhaite généraliser l’utilisation du numéro administratif l’identification à toutes les procédures et que les douanes reçoivent toutes les données de lecture automatique des plaques d’immatriculation des sociétés d’autoroutes. Il propose également d’introduire un délai butoir de dépôt des mémoires en amont de l’audience devant la chambre de l’instruction.

Mais, plus que la séance, c’est la commission mixte paritaire qui décidera de l’avenir des dispositifs. Seuls sept députés et sept sénateurs y siègent comme titulaires et le socle commun y est majoritaire. Forts de l’unanimité obtenue au Sénat, leurs représentants pourraient demander le rétablissement de certains dispositifs, même si d’autres semblent condamnées d’avance (CPRC criminelle, backdoors). Il est toutefois impossible d’avoir des certitudes, en raison de l’instabilité parlementaire actuelle.

 

© Lefebvre Dalloz