L’indemnité de violation du statut protecteur lorsque l’autorisation du licenciement est annulée
Le salarié protégé dont le licenciement est nul en raison de l’annulation de l’autorisation de licencier doit être réintégré dans son emploi. Lorsque l’employeur ne satisfait pas cette obligation, la résiliation judiciaire prononcée aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur à condition que le salarié bénéficie d’un statut protecteur au jour de la demande en résiliation. Dans ce cas, il peut prétendre à une indemnité égale à la rémunération qu’il aurait perçue depuis la date de prise d’effet de la résiliation judiciaire jusqu’à la fin de la période de protection, dans la limite de trente mois.
Les salariés bénéficiant de la protection instituée par les articles L. 2411-1 et L. 2411-2 du code du travail, peuvent réclamer judiciairement la rupture de leur contrat de travail lorsque l’employeur méconnaît gravement ses obligations (Soc. 23 sept. 2015, n° 14-10.763). Deux voies sont offertes : la prise d’acte (Soc. 21 janv. 2003, n° 00-44.502 P, D. 2003. 397, et les obs.
; Dr. soc. 2003. 449, obs. J. Mouly
) et la résiliation judiciaire (Soc. 16 mars 2005, n° 03-40.251 P, D. 2005. 1613, obs. E. Chevrier
, note J. Mouly
; ibid. 2499, obs. B. Lardy-Pélissier et J. Pélissier
; Dr. soc. 2005. 861, note J. Mouly
; RJS 5/2005, n° 534). Lorsque la rupture est prononcée aux torts de l’employeur, diverses indemnités sont attribuées aux salariés : les indemnités de rupture, l’indemnité réparant le caractère illicite du licenciement et l’indemnité réparant la violation du statut protecteur (Soc. 10 mai 2006, n° 04-40.901 P, D. 2006. 1482
; JCP S 2006. 1569, note J.-Y. Kerbouc’h). Cette dernière était interrogée dans l’arrêt commenté.
À l’origine du contentieux, une salariée – reconduite dans son mandat – avait été licenciée sur autorisation administrative finalement annulée. La cour d’appel avait ordonné sa réintégration mais, face à la récalcitrance de l’employeur, la salariée avait obtenu la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur.
Après un premier renvoi après cassation, la cour d’appel s’était prononcée en faveur de la nullité du licenciement – consécutive à la résiliation judiciaire – et avait déterminé le montant de l’indemnité de violation du statut protecteur.
L’employeur, contestant le calcul de cette indemnité, saisissait la Haute juridiction.
La Cour de cassation était ainsi amenée à se prononcer sur l’influence du régime protecteur quant à l’attribution de cette indemnité et sur la méthode de calcul devant être adoptée.
L’influence du régime protecteur quant à l’attribution de l’indemnité
La salariée et l’employeur revendiquaient deux interprétations de l’indemnité de violation du statut protecteur.
Pour l’employeur, elle devait se limiter à « une indemnité qui est fonction du préjudice subi » alors que la salariée réclamait qu’elle soit appréciée à compter du jour de son éviction jusqu’à l’issue de la période de protection dans la limite de trente mois.
Le raisonnement de l’employeur s’appuyait sur une circonstance spécifique : l’autorisation du licenciement avait été annulée. Habituellement, lorsqu’une telle annulation est délivrée, le régime applicable résulte de l’article L. 2422-4 du code du travail et deux hypothèses indemnitaires sont envisageables : soit le salarié n’a pas été réintégré malgré sa demande – et la décision d’annulation est devenue définitive – dans ce cas il peut prétendre au paiement d’une « indemnité pour réparer le préjudice subi du jour de son éviction à l’expiration du délai pour demander sa réintégration » (Soc. 12 oct. 2005, n° 03-45.533, D. 2005. 2631
). Soit le salarié n’a pas réclamé sa réintégration, dans ce cas il peut revendiquer une indemnité réparant le préjudice subi entre son licenciement et l’expiration du délai des deux mois. Il en résulte que le régime indemnitaire prévu en cas d’annulation d’une autorisation de licencier se distingue de celui du licenciement sans autorisation (Soc. 5 févr. 2002, n° 99-43.896 P, D. 2002. 1298
, note P. Bailly
).
L’employeur se prévalait donc de ce particularisme pour contester la méthode de calcul appliquée par la cour d’appel.
Or, la Cour de cassation réfutait les arguments de l’employeur. Selon elle « la résiliation judiciaire prononcée aux torts de l’employeur pour ce motif produit les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur dès lors que le salarié est protégé au jour de sa demande en résiliation ».
En d’autres termes, la salariée était fondée à réclamer l’indemnité querellée car elle bénéficiait d’une protection statutaire au jour de la demande de résiliation judiciaire. L’on sait que pour la Haute juridiction, l’atteinte à cette protection confère à la résiliation judiciaire les effets d’un licenciement nul (Soc. 3 oct. 2018, n° 16-19.836, Dalloz actualité, 6 nov. 2018, obs. H. Ciray ; D. 2018. 1972
) de sorte que l’indemnité accordée est spécifiquement destinée à compenser cette violation. À l’inverse, « lorsqu’au jour de la demande de résiliation judiciaire, le salarié ne bénéficiait pas d’un statut protecteur » (Soc. 26 oct. 2016, n° 15-15.923 P, D. 2016. 2220
; ibid. 2017. 235, chron. F. Ducloz, P. Flores, F. Salomon, E. Wurtz et N. Sabotier
; Dr. soc. 2016. 1062, obs. J. Mouly
), le licenciement est uniquement dénué de cause réelle et sérieuse et l’indemnité ne peut être accordée.
Dès lors, l’analyse de l’existence de la protection est au cœur du débat car elle seule conditionne à la fois la nullité découlant de la résiliation judiciaire et le versement de l’indemnité. Pour cette raison, la Haute Cour considérait qu’« à la date de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, formée le 9 janvier 2019, la salariée bénéficiait du statut de salariée protégée pour avoir été réélue en qualité de conseiller prud’homme en 2018 […] ».
L’indemnité était donc acquise.
L’influence de la protection sur la méthode de calcul
Dans la mesure où la protection de la salariée était acquise au jour de la demande de résiliation judiciaire, les effets produits par le défaut de réintégration étaient ceux d’un licenciement nul. Dès lors, « le salarié peut prétendre à une indemnité à ce titre égale à la rémunération qu’il aurait perçue depuis la date de prise d’effet de la résiliation judiciaire jusqu’à la fin de la période de protection en cours au jour de sa demande en résiliation, dans la limite de trente mois ».
Plusieurs éléments découlaient de cet attendu.
D’une part, devaient être écartées les prétentions de l’employeur revenant à fixer l’indemnité entre « le 22 septembre 2014 et le 22 mars 2016 ». En effet, pour que la salariée puisse prétendre à l’indemnité de violation du statut protecteur, il importait au préalable que cette violation soit constatée par voie judiciaire et que la nullité de la rupture soit prononcée (Soc. 15 mars 2005, n° 03-41.555 P, RJS 6/2005, n° 625). Il en va de l’objet de cette indemnité : elle est destinée à compenser les effets de la nullité résultant de la violation du statut protecteur (Soc. 17 déc. 2014, nos 13-19.070 et 13-19.645, inédits) et non pas les conséquences du licenciement annulé. Pour cette raison, son point de départ devait être fixé au jour de la résiliation et non pas au jour du licenciement annulé. Dans le cas contraire, les conséquences du refus de réintégration s’en trouveraient « ignorées » alors même qu’elles constituent le fondement de la violation du statut protecteur (Soc. 15 mai 2019, n° 17-28.547 P, Dalloz actualité, 17 juin 2019, obs. W. Fraisse ; D. 2019. 1111
; JCP S 2019. 1178, obs. M. Morand).
D’autre part, puisque la salariée était protégée au jour de la demande de résiliation, l’indemnité réparant la violation de son statut protecteur devait débuter depuis la date de prise d’effet de la résiliation judiciaire jusqu’à la fin de la période de protection, dans la limite de trente mois. Cette fixation de l’indemnité est communément admise lorsque la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul (Soc. 15 avr. 2015, n° 13-27.211 P, Dalloz actualité 26 mai 2015, obs. J. Siro ; D. 2015. 926
; ibid. 1384, chron. E. Wurtz, F. Ducloz, C. Sommé, S. Mariette et N. Sabotier
; JSL 2015, n° 389-5, obs. Y. Pacotte et L. Bernardeschi).
Ce régime indemnitaire est indépendant des autres indemnités dues au salarié dont le licenciement a été annulé. L’employeur n’avait cependant pas perçu cette nuance lorsqu’il affirmait « qu’en accordant une telle indemnité, en sus du rappel de salaire octroyé par le même arrêt du 16 ou 17 mai 2019 pour la période courant du 27 décembre 2014 au 31 décembre 2018, la cour d’appel a violé L. 2411-22 du code du travail ». Or, l’indemnité de violation du statut protecteur avait bien été attribuée pour des faits postérieurs à la résiliation judiciaire de sorte que les autres indemnités concernaient uniquement la période antérieure à ladite résiliation. Il en résultait que les indemnités ne se concurrençaient pas.
Pour cette même raison, c’était « à bon droit que la cour d’appel, par arrêt du 20 avril 2022, a condamné l’employeur à payer à la salariée une certaine somme à titre d’indemnité pour licenciement nul réparant le préjudice causé par la résiliation du contrat de travail ».
© Lefebvre Dalloz