L’indemnité d’occupation, cette mal nommée

Seul l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est redevable d’une indemnité. Viole l’article 815-9 du code civil la décision qui met une indemnité d’occupation à la charge d’un indivisaire pour une période à venir sans réserver l’hypothèse de la remise effective du bien à la disposition de l’indivision avant cette échéance.

 

On le sait : l’indemnité d’occupation porte bien mal son nom. La présente affaire l’illustre de nouveau.

Dans le cadre de la procédure de divorce de deux époux mariés sans contrat de mariage, une ordonnance de non-conciliation rendue en 2015 avait attribué à titre onéreux à l’un des époux la jouissance du domicile conjugal qui était un bien commun. Le divorce fut prononcé en 2018 et des difficultés survinrent à l’occasion de la liquidation des intérêts patrimoniaux des parties.

Par arrêt du 1er septembre 2023, la Cour d’appel de Nancy constata que l’époux attributaire ne démontrait pas avoir remis le bien à l’indivision et, en conséquence, le condamna au paiement d’une indemnité de 500€ par mois à compter de l’ordonnance de non-conciliation et jusqu’au jour du partage à intervenir.

Le défendeur forma un pourvoi en cassation et obtint la censure de l’arrêt d’appel pour violation de la loi. Au visa de l’alinéa 2 de l’article 815-9 du code civil, la Cour de cassation rappelle que « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité » (§ 5). Or la cour d’appel n’avait pas réservé l’hypothèse de la remise effective du bien à la disposition de l’indivision avant le partage, commettant dès lors une violation de l’article 815-9, alinéa 2, du code civil.

Pour comprendre cette décision, il faut garder à l’esprit que l’indemnité dite « d’occupation » n’a nullement vocation à sanctionner l’occupation, même privative, d’un bien indivis mais plutôt le comportement empêchant les autres indivisaires de jouir du bien. L’alinéa 2 de l’article 815-9 code civil sanctionne en effet la règle de l’alinéa 1er selon laquelle « Chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires ». En qualité de propriétaire, tout indivisaire a le droit d’occuper le bien, mais en tant que copropriétaire, il est tenu de ne pas entraver le droit équivalent des autres indivisaires.

Il a ainsi été jugé qu’une indemnité est due même en l’absence d’occupation effective, dès lors qu’une privation d’accès au bien indivis est constatée au détriment des coïndivisaires (Civ. 1re, 12 janv. 1994, n° 91-18.104, D. 1994. 311 , note R. Cabrillac ; ibid. 1995. 41, obs. M. Grimaldi ; RTD civ. 1994. 642, obs. F. Zenati ; ibid. 1996. 229, obs. B. Vareille ; ibid. 231, obs. B. Vareille ; Defrénois 1994. 430, obs. L. Aynès ; 22 avr. 1997, n° 95-15.830, RTD civ. 1999. 167, obs. J. Patarin ; Dr. et patr. 1997, no 1806, obs. A. Bénabent ; 26 mai 1999, n° 97-11.904, Dr. fam. 1999, n° 87, note B. Beignier ; 14 juin 2000, n° 98-19.255 P, RTD civ. 2001. 114, obs. J. Hauser ; JCP 2001. I. 305, n° 6, obs. H. Périnet-Marquet ; Defrénois 2000. 1308, obs. J. Massip ; RJPF 2000-10/48, obs. J. Casey ; 30 juin 2004, n° 02-20.085 P, AJDI 2004. 915 ; AJ fam. 2004. 458, obs. F. Bicheron ; 23 juin 2010, n° 09-13.250 P, Dalloz actualité, 27 juill. 2010, obs. C. Le Douaron ; JCP 2010, n° 1220, note M. Storck ; Defrénois 2010. 2384, note A. Chamoulaud-Trapiers ; JCP N 2011, n° 1001, note Tisserand-Martin ; 14 janv. 2015, n° 13-28.069, Gaz. Pal. 9 juin 2015, n° 227a6, p. 24, obs. Q. Guiguet-Schielé ; 7 févr. 2024, n° 22-13.749, D. 2025. 751, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2024. 349, obs. M. Loriot ) ou encore lorsque l’occupation de l’immeuble par un indivisaire n’exclut pas la même utilisation par ses coïndivisaires (Civ. 1re, 13 janv. 1998, n° 95-12.471 P, RTD civ. 1999. 167, obs. J. Patarin ; JCP 1998. I. 171, n° 11, obs. H. Périnet-Marquet ; 5 nov. 2014, n° 13-11.304 P, AJ fam. 2014. 700, obs. J. Casey ).

La clé du droit à indemnité est parfois présentée comme étant le caractère privatif de la jouissance, qui s’apprécie uniquement par rapport aux autres indivisaires (Civ. 1re, 7 juin 2006, n° 04-12.331 P, AJ fam. 2006. 289, obs. S. David ; RTD civ. 2006. 542, obs. J. Hauser ; JCP 2006. I. 193, n° 22, obs. A. Tisserand-Martin) et qui s’entend de l’impossibilité de droit ou de fait, pour les coïndivisaires, d’user de la chose ainsi accaparée (Civ. 1re, 31 mars 2016, n° 15-10.748 P ; D. 2016. 782 ; AJ fam. 2016. 263, obs. J. Casey ; Gaz. Pal. 13 sept. 2016, n° 273t4, p. 72, note A. Gailliard). Encore faut-il que cette impossibilité résulte du comportement d’un indivisaire et non de la nécessité des choses, comme le départ du coïndivisaire en maison de retraite en raison d’une dégradation de son état de santé (Civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 17-26.020 P, Dalloz actualité, 7 nov. 2018, obs. Q. Guiguet-Schielé ; D. 2018. 1969 ; AJ fam. 2018. 691, obs. N. Levillain ). Au fil des jurisprudences, le critère émergeant semble être l’exclusivité de l’usage d’un bien, notion permettant de définir la propriété elle-même, mais inopposable aux indivisaires dans la mesure où, au sein d’une indivision, l’exclusivité se conçoit collectivement.

Dans le contexte du divorce, une indemnité d’occupation peut être due lorsque la jouissance d’un bien commun aura été attribuée à titre onéreux à l’un des époux en cours de procédure. Pour autant, l’indemnité est une sanction qui n’est justifiée qu’autant que la règle de « non-exclusivité » est effectivement transgressée. Celui qui se voit par exemple attribuer la jouissance onéreuse du domicile conjugal peut toujours décider, ponctuellement ou non, d’en ouvrir les portes à l’autre partie. En pareille hypothèse, l’exclusivité litigieuse cessant, l’indemnité n’est plus due.

En définitive, deux enseignements majeurs résultent de cet arrêt de bon sens. D’une part, lorsqu’une juridiction condamne un indivisaire au paiement d’une indemnité pour une période future, il convient systématiquement de réserver l’hypothèse d’une mise à disposition du bien au profit des autres indivisaires : nulle sanction sans transgression. D’autre part, l’indemnité dite « d’occupation » mériterait d’être rebaptisée afin d’éviter les situations dans lesquelles les juges du fond condamnent un indivisaire sur le seul constat de son occupation du bien. Peut-être en « indemnité d’exclusion » ou « indemnité d’empêchement » ?

 

Civ. 1re, 12 juin 2025, F-B, n° 23-22.003

par Quentin Guiguet-Schielé, Maître de conférences, Université Toulouse 1 Capitole

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