L’indignité réparatrice

Le Conseil d’État a eu à statuer sur la réparation du préjudice subi par une personne détenue soumise à des conditions de détention attentatoires à la dignité humaine.

Sous l’impulsion de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la prise en considération de la dignité des personnes détenues a été expressément consacrée par le législateur français au travers de la loi pénitentiaire de 2009, avant d’être reprise par le code pénitentiaire (Loi n° 2009-1436 du 24 nov. 2009, art. 22, Dalloz actualité, 26 nov. 2009, obs. S. Lavric ; C. pénit., art. L. 6).

Si depuis 2020 (Crim. 8 juill. 2020, n° 20-81.739, Dalloz actualité, 31 août 2020, obs. C. Margaine ; AJDA 2020. 1383  ; ibid. 1383  ; D. 2020. 1774 , note J. Falxa  ; ibid. 1643, obs. J. Pradel  ; ibid. 2021. 1564, obs. J.-B. Perrier  ; AJ fam. 2020. 498, obs. L. Mary  ; AJ pénal 2020. 404, note J. Frinchaboy  ; RFDA 2021. 87, note J.-B. Perrier  ; RSC 2021. 517, obs. D. Zerouki-Cottin  ; RTD civ. 2021. 83, obs. P. Deumier  ; Gaz. Pal. 29 sept. 2020. 12, note J.-P. Céré ; 19 août 2020, n° 20-82.171, Dalloz actualité, 14 sept. 2020, obs. M. Récotillet ; D. 2020. 1622  ; 16 sept. 2020, n° 20-82.389, Dalloz actualité, 9 oct. 2020, obs. F. Engel ; D. 2020. 1840  ; AJ pénal 2020. 535, obs. J.-P. Céré ), la chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu que des conditions de détention non respectueuses de la dignité peuvent constituer un obstacle au maintien en détention, il est également pleinement établi que toute personne détenue soumise à des conditions indignes peut obtenir réparation pour le préjudice subi.

Par l’arrêt commenté, le Conseil d’État rappelle d’abord les critères à prendre en considération pour déterminer si les conditions de détention sont, ou non, attentatoires à la dignité humaine, avant de donner ensuite des précisions sur la détermination de cette indemnisation.

Un rappel quant aux critères d’appréciation de l’indignité des conditions de détention

Les juges du Conseil d’État affirment que « l’appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de la vulnérabilité (des personnes détenues), appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu’implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires ».

Plusieurs éléments doivent être appréhendés, à savoir l’espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, la promiscuité engendrée, le cas échéant, la sur-occupation des cellules, le respect de l’intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, la configuration des locaux, l’accès à la lumière, l’hygiène et la qualité des installations sanitaires et de chauffage.

Par cette décision, la Haute juridiction administrative se positionne dans la continuité de la jurisprudence européenne. En effet, les juges européens appréhendent la dignité des conditions de détention au regard des critères évoqués par les juges administratifs français. L’arrêt commenté n’est, du reste, pas novateur sur ce point : il s’agit là d’une jurisprudence constante du Conseil d’État (CE 13 janv. 2017, n° 389711, Dalloz actualité, 20 janv. 2017, obs. D. Poupeau ; Lebon  ; AJDA 2017. 83  ; ibid. 637 , note J. Schmitz  ; 3 déc. 2018, n° 412010, Dalloz actualité, 7 déc. 2018, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon avec les concl.  ; AJDA 2019. 279 , chron. Y. Faure et C. Malverti  ; ibid. 2018. 2366  ; D. 2019. 1074, obs. J.-P. Céré, M. Evans et E. Péchillon ).

Dans le cas d’espèce, le caractère attentatoire des conditions de détention de la personne détenue a été confirmé.

L’indemnisation de l’indignité des conditions de détention

Il résulte de l’arrêt commenté que dès lors que l’indignité des conditions de détention est établie, une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique est caractérisée. L’atteinte à la dignité humaine est alors de nature à engendrer par elle-même un préjudice moral que l’État est tenu de réparer. Par l’arrêt commenté, le Conseil d’État confirme qu’il s’agit là d’un préjudice continu avant de donner des précisions sur le mode de calcul de l’indemnisation à allouer.

Un préjudice continu

Le premier constat effectué est qu’à conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l’intensité du préjudice subi. En conséquence, la créance doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles la personne détenue a été soumise aux conditions de détention indignes. Là encore, le Conseil d’État se positionne dans la continuité de sa jurisprudence antérieure (CE 3 déc. 2018, n° 412010, Lebon avec les concl.  ; AJDA 2019. 279 , chron. Y. Faure et C. Malverti  ; ibid. 2018. 2366  ; D. 2019. 1074, obs. J.-P. Céré, M. Evans et E. Péchillon ). Par un arrêt de 2017 (CE 13 janv. 2017, n° 389711, préc.), le Conseil d’État avait déjà affirmé qu’un préjudice subi ne peut être exclu du fait de la seule brièveté de la durée d’incarcération dans des conditions indignes.

Le juge des référés est compétent pour octroyer une provision, laquelle n’a d’autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l’obligation dont les parties font état (CE 6 déc. 2013, n° 363290, Dalloz actualité, 10 déc. 2013, obs. J.-M. Pastor ; Lebon  ; AJDA 2014. 237 , concl. D. Hedary  ; ibid. 2013. 2461  ; AJ pénal 2014. 143, obs. E. Péchillon ).

Ainsi, dans le cas d’espèce, la cour administrative d’appel a fait état de la réalisation de travaux de rénovation qui ont amélioré les conditions de détention, sous réserve notamment de l’espace individuel dont pouvait bénéficier chaque détenu dans sa cellule. Les juges de la juridiction administrative du second degré ont donc déterminé la période exacte au cours de laquelle le requérant avait été soumis à des conditions attentatoires à la dignité humaine. Ce procédé a été confirmé par le Conseil d’État.

Mode de calcul de la provision

Les juges d’appel ont calculé la provision à allouer sur la base d’un montant mensuel de 200 € pour la première année de détention, augmenté de 100 € pour chacune des années suivantes. La Haute juridiction administrative a considéré que ce mode de calcul fondé sur une progression arithmétique, lequel prend en compte le caractère continu et évolutif du préjudice moral, dont le seul écoulement du temps aggrave l’intensité, est tout à fait adéquat.

Il résulte de l’étude de la jurisprudence que les montants alloués semblent définis et semblables. En effet, dans un arrêt de 2018 (CE 3 déc. 2018, n° 412010, préc.), les juges de la Haute juridiction avait également alloué 200 € d’indemnisation par mois pour les cinq premiers mois de maintien dans des conditions indignes puis, lorsque ces conditions perdurent, 300 € par mois pour l’année suivante et enfin 450 € par mois pour la fin de la période de détention.

Les Hauts magistrats ont également eu à se positionner quant à l’incidence de l’évasion de la personne détenue sur l’indemnisation du préjudice. Sur ce point, ils ont considéré que l’interruption de la détention durant neuf jours en raison de l’évasion du centre pénitentiaire constitue un évènement de nature à interrompre l’aggravation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention. Sur ce point, l’arrêt commenté est novateur en ce qu’à notre connaissance, les juges administratifs n’avaient jusqu’alors pas eu l’occasion de statuer sur cette question.

 

CE 3 juill. 2025, n° 496907

par Fanny Charlent, Docteur en Droit, Avocat inscrit au Barreau des Alpes de Haute-Provence

© Lefebvre Dalloz