L’interruption volontaire de grossesse fait son entrée dans la Constitution

La France devient le premier pays au monde à reconnaître dans sa Constitution la liberté garantie des femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

Par la loi du 8 mars 2024, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est entrée dans la Constitution. Avec 780 voix contre 72, les parlementaires, réunis en Congrès à Versailles, lundi 4 mars, ont largement rempli la condition des trois cinquièmes des suffrages exprimés nécessaire à l’adoption de toute révision constitutionnelle, celle-ci étant évidemment emblématique tant elle rejoint un autre combat, la défense de la liberté des femmes de disposer de leur corps.

Une constitutionnalisation en réaction à l’arrêt Dobbs

La volonté de constitutionnaliser l’IVG est une réaction politique à l’arrêt Dobbs rendu le 24 juin 2022 par la Cour suprême des États-Unis. Par cet arrêt, la Cour suprême a mis fin à la jurisprudence dégagée en 1973 dans le fameux arrêt Roe c/ Wade affirmant que le droit au respect de la vie privée protégé par le 14amendement de la Constitution s’applique à la décision d’une femme de mettre fin à sa grossesse. Les États américains sont en conséquence désormais libres d’adopter une législation prohibant ou réduisant fortement l’accès à l’IVG. Quatorze États l’ont ainsi déjà interdit.

La représentation nationale a produit trois propositions de lois constitutionnelles, l’Assemblée nationale a adopté, le 24 novembre 2022, celle visant à intégrer dans l’article 66-2 de la Constitution une disposition selon laquelle « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de la grossesse ». La proposition de loi constitutionnelle a ensuite été débattue au Sénat. Un amendement a été adopté en séance réécrivant le texte et l’insérant sous la forme d’un alinéa intégré à l’article 34 de la Constitution qui fixe la compétence du législateur : « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». Le texte ainsi modifié a été transmis à l’Assemblée nationale, le 2 février 2023, pour une seconde lecture dont aucune date n’avait été retenue. Aucun consensus ne semblait se dégager tant sur sa formulation que sur sa place dans la Constitution.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme rendait pourtant, le 28 septembre 2023, un avis sur la constitutionnalisation de l’IVG intitulé « La constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse : protéger un droit humain à porter universelle » dans lequel elle invitait à insérer « un droit à l’IVG » cette fois-ci dans l’emblématique article 1er de la Constitution.

La France, une pionnière

C’est le gouvernement qui a finalement manifesté la volonté de relancer la constitutionnalisation de l’IVG en rédigeant un projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Ce projet s’est inscrit dans le sillage du texte adopté par le Sénat puisqu’il proposait de modifier l’article 34 de la Constitution.

Saisi pour avis par le gouvernement, le Conseil d’État s’est prononcé le 7 décembre 2023 en faveur de ce projet de loi constitutionnelle. Considérant que « la disposition a pour objet de consacrer une liberté dans la Constitution et d’encadrer la compétence attribuée au législateur », il a estimé « que le choix d’inscrire les nouvelles dispositions au sein de cet article n’est pas inadéquat et qu’aucun autre emplacement n’est préférable ». Il a proposé tout de même une légère reformulation du texte, qui sera prise en compte par le gouvernement. « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse », telle est la formulation finalement retenue et désormais inscrite à l’article 34 de la Constitution en son 17e alinéa.

C’est évidemment une innovation considérable, d’abord interne en ce qu’il, selon les termes du Conseil d’État, consacre « dans la Constitution une nouvelle liberté fondamentale », mais également internationale en ce que la France est le premier pays au monde à protéger l’interruption volontaire de grossesse dans un texte à valeur constitutionnelle. Le symbole est puissant et a été largement relayé dans le monde entier.

Plus précisément, l’objectif du gouvernement, tel que relevé là encore par le Conseil d’État, est « d’encadrer l’office du législateur afin qu’il ne puisse interdire tout recours à l’interruption volontaire de grossesse ni en restreindre les conditions d’exercice ». Le droit positif serait en quelque sorte sanctuarisé.

La constitutionnalisation de l’IVG n’entraînera donc pas une amélioration concrète de son accès, ce que l’on peut regretter, au regard des derniers rapports alarmants à ce sujet, mais protègerait les dispositions l’encadrant.

Une évolution lente mais certaine de la législation

Il est vrai que depuis sa reconnaissance par la fameuse loi du 17 janvier 1975, dite « loi Veil », l’évolution de la législation se manifeste par une lente mais certaine libéralisation de l’IVG sur plusieurs de ses aspects.

Dépénalisation progressive

L’évolution de la législation se traduit d’abord par une dépénalisation progressive de l’interruption de grossesse, dont il faut rappeler qu’elle était totalement pénalisée sous le terme « avortement » jusqu’à la loi Veil et que cette dernière ne l’a que partiellement dépénalisée.

La dépénalisation a principalement été le fait d’une discrète loi du 27 janvier 1993 qui a supprimé l’incrimination de l’auto-avortement qui est le fait pour la femme de pratiquer l’interruption de grossesse sur elle-même. Le dispositif pénal a été à nouveau remanié par la loi du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse. Les articles 223-11 et 223-12 du code pénal qui sanctionnaient respectivement les délits d’interruption de la grossesse d’autrui hors des conditions légales et de fourniture à la femme des moyens matériels ont été abrogés et replacés avec quelques modifications dans le code de la santé publique au sein d’un chapitre spécial consacré à l’interruption illégale de grossesse (CSP, art. L. 2222-2 à L. 2222-4). Ne subsiste dans le code pénal, au sein d’un chapitre du même intitulé, que l’article 223-10 qui incrimine l’interruption de la grossesse sans le consentement de la femme. La seule valeur protégée par le code pénal est donc aujourd’hui le consentement de la femme en conformité avec le principe de l’inviolabilité du corps humain.

Assouplissement des conditions d’accès

La libéralisation de l’interruption volontaire de grossesse est également le résultat d’un assouplissement de ses conditions d’accès. Le délai de recours à l’IVG initialement de dix semaines de grossesse est passé à douze semaines avec la loi du 4 juillet 2001, puis récemment à quatorze semaines avec la loi du 2 mars 2022.

Ces mêmes lois et d’autres sont aussi venues supprimer certaines conditions d’accès à l’IVG afin de la faciliter mais aussi de la « normaliser » comme le préconisait le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans un rapport de 2013.

La loi du 4 juillet 2001 a supprimé le caractère obligatoire de l’entretien psycho-social pour la femme majeure. La loi du 4 août 2014 puis celle du 26 janvier 2016 ont également participé à cet assouplissement en supprimant, pour la première, la notion de détresse et, pour la seconde, le délai de réflexion de sept jours initialement prévu. Le consentement de la femme s’est ainsi affirmé, en lien avec la dépénalisation, comme la seule condition cardinale de l’IVG.

Meilleure prise en charge financière

L’évolution de la législation se traduit aussi par une meilleure prise en charge financière de l’interruption légale de grossesse. Alors que l’IVG n’était pas prise en charge par la sécurité sociale, une loi du 31 décembre 1982 a permis le remboursement des frais afférents à l’interruption licite de la grossesse. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a accentué cette prise en charge, prévoyant que les IVG seront désormais prises en charge à 100 % par l’Assurance maladie (CSS, art. L. 160-14). L’article L. 162-1-21 du code de la sécurité sociale, modifié par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, fait même désormais bénéficier les assurées du tiers payant. Il s’agit évidemment d’une avancée significative dans la mesure où la femme n’aura plus à avancer les frais afférents à cette intervention.

Accès des femmes mineures non émancipées

À l’égard de la femme mineure non émancipée, la législation s’est là aussi assouplie afin de faciliter son accès à l’IVG. L’apport le plus important est celui de la loi du 4 juillet 2001 qui supprime l’exigence du consentement de l’une des personnes titulaires de l’autorité parentale ou, le cas échéant, du représentant légal. Des dispositions réglementaires complémentaires ont d’ailleurs été prises pour garantir et organiser la prise en charge anonyme et gratuite des IVG pratiquées sur des mineures sans consentement parental (CSS, art. D. 132-1 à D. 132-5).

Répression du délit d’entrave

Enfin, en réaction à certaines manifestations d’hostilité à l’égard des interruptions de grossesse au sein des établissements où elles se pratiquent, le législateur a incriminé l’entrave en quelque sorte matérielle et psychologique à l’interruption légale de grossesse par la loi du 27 janvier 1993. La répression de ce délit a été ensuite renforcée par la loi du 4 juillet 2001 puis étendue par la loi du 4 août 2014. Cette dernière loi étend l’infraction à la période de réflexion précédant une IVG, incriminant également le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de s’informer sur une IVG. Enfin, la loi du 20 mars 2017 relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG permet de pénaliser les sites de « désinformation ».

Autonomie de la femme

C’est donc certainement l’ensemble de ces dispositions qui participent à garantir la liberté à la femme d’avoir recours à une IVG et qui serait ainsi protégée par la nouvelle disposition constitutionnelle contre tout retour en arrière. Mais la référence à « la liberté garantie à la femme » fait plus spécialement référence à l’autonomie de la femme dans cette prise de décision.

Le Conseil d’État constate en ce sens que ce texte fait « relever l’exercice de la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse de la seule appréciation de la femme, sans autorisation d’un tiers, que ce soit le conjoint ou les titulaires de l’autorité parentale » et que cette liberté « doit être entendue comme bénéficiant à toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil, l’âge, la nationalité et la situation au regard du séjour en France ».

L’inscription de ce nouvel alinéa dans la Constitution suffira-t-il dans l’avenir à réellement protéger les femmes des assauts du législateur ? Si l’autonomie de la femme semble difficilement pouvoir être remise en cause, une restriction du délai peut être envisagée. Le Conseil constitutionnel pourrait en effet juger qu’il relève justement de la compétence du législateur d’aménager « les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme » comme le précise l’article 34 et qu’il ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation identique à celui du Parlement.

La constitutionnalisation de l’IVG constitue certes un symbole important mais son efficacité juridique ne se mesurera malheureusement que lors de temps plus troubles dont on espère qu’ils n’adviendront pas. Mais lorsqu’ils seront là, on peut de toute façon se montrer raisonnablement pessimiste sur la vitalité politique de notre Constitution.

 

© Lefebvre Dalloz