Liquidation de communauté légale : stock-options et calcul de profit subsistant pour l’amélioration d’un bien grevé d’usufruit

Si l’option de souscription ou d’achat d’actions est un bien propre par nature, les actions ainsi acquises sont communes si la levée de l’option intervient avant la dissolution de la communauté.

Cela va mieux en le redisant ! Dans cet arrêt rendu le 25 octobre 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation a réaffirmé deux solutions relatives à la liquidation de la communauté de biens entre époux.

En effet, à la suite de leur divorce, deux époux communs en biens se trouvaient confrontés à des difficultés lors des opérations de liquidation et de partage de la communauté. La première concernait la qualification d’actions obtenues par levée d’une option de souscription. La seconde avait trait au calcul du profit subsistant lorsque le bien amélioré était grevé d’un usufruit.

Qualification des actions et stock-options

Au cours du mariage, l’époux pilote de ligne s’était vu attribuer par son employeur des options de souscription d’actions en guise de complément de rémunération. L’attributaire avait levé quelques options avant le prononcé de son divorce, ce qui lui avait permis d’obtenir 68 actions Air France.

Pour les juges du fond, il ne fallait porter à l’actif de la communauté dissoute que les 68 actions obtenues avant la dissolution du régime matrimonial, les stock-options restantes constituant des biens propres pour leur titulaire en raison de leur nature. L’épouse se pourvut en cassation en arguant du caractère rémunératoire des droits attribués. Selon elle, le fait que seul l’époux puisse exercer le droit d’option n’empêchait pas de tenir compte de la valeur des options stockées comme élément d’actif de la communauté.

Sans grande surprise, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Au visa des articles 1401, 1404 et 1589 du code civil et de l’article L. 225-183, alinéa 2, du code de commerce, elle réaffirme que « si les droits résultant de l’attribution, pendant le mariage, à un époux commun en biens, d’une option de souscription ou d’achat d’actions forment des propres par nature, les actions acquises par l’exercice de ces droits entrent dans la communauté lorsque l’option est levée avant sa dissolution » (§ 5).

La solution n’est pas inédite car le débat sur la qualification des stock-options était déjà tranché depuis un arrêt rendu le 9 juillet 2014 (Civ. 1re, 9 juill. 2014, n° 13-15.948 P, D. 2014. 1544  ; ibid. 2434, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau  ; Just. & cass. 2015. 229, rapp. X. Savatier  ; ibid. 240, avis J.-P. Jean  ; AJ fam. 2014. 508, obs. P. Hilt  ; Rev. sociétés 2015. 43, note I. Dauriac  ; RTD civ. 2014. 933, obs. B. Vareille  ; LEFP oct. 2014, p. 5, obs. N. Peterka ; JCP 2014. 1013, note F. Sauvage ; JCP N 2014. 1318, note E. Naudin ; Dr. fam. 2014. Comm. 145, note B. Beignier ; Defrénois 2014. 1311, obs. F. Bicheron, ; ibid. 2015. 678, obs. G. Champenois ; v. aussi, Y. Chaumette, Defrénois 2017, 126h1, p. 453 ; P. Simler, Defrénois 2017, 126a5, p. 446). La Cour de cassation avait alors remis en cause l’analyse complexe jusque-là retenue consistant à ne considérer comme acquêt de communauté que la différence entre le prix d’exercice de l’option et la valeur du titre au jour de son acquisition (Paris, 7 mai 2004, n° 2003/04030, AJ fam. 2004. 331, obs. L. Attuel-Mendès  ; RTD civ. 2004. 539, obs. B. Vareille  ; ibid. 542, obs. B. Vareille  ; Defrénois 2005. 38119. 421, note T. Léobon ; v. aussi, Rép. min. n° 58031, JOAN Q 18 juin 2001, p. 3530 ; Dr. fam. 2001, n° 119, obs. L. Grosclaude).

L’arrêt rendu ce 25 octobre n’est pourtant pas dénué d’intérêt. D’une part, il confirme le positionnement jurisprudentiel antérieur et démontre que, neuf ans plus tard, la solution reste pertinente. Elle consiste à distinguer deux biens : l’option stockée et l’action acquise.

L’option stockée demeure en toute hypothèse un bien propre par nature. Contrairement à ce qu’évoquait le moyen, la raison ne tient nullement au fait que seul l’attributaire dispose de la faculté de lever l’option. Au contraire, la Cour rétorque subtilement à cet argument en visant l’alinéa 2 de l’article L. 225-183 du code civil selon lequel « les droits résultant des options consenties sont incessibles jusqu’à ce que l’option ait été exercée ». Car selon l’article 1404 du code civil également visé, les créances et pensions incessibles sont propres par leur nature. C’est donc l’incessibilité plus que l’exclusivité qui commande la qualification. Non-pas que l’incessibilité détermine toujours la propriété ou la patrimonialité, mais plutôt qu’elle révèle un lien suffisant entre la personne et le bien pour justifier que la communauté en soit frustrée. La même solution devrait donc prévaloir pour les attributions gratuites d’actions (contra, C. Blanchard, Droit des régimes matrimoniaux, 2e éd., LexisNexis, n° 460 et les réf. citées).

L’action acquise est quant à elle un acquêt de communauté si l’option est levée pendant le mariage. C’est ce qui explique le visa de l’articles 1401 du code civil (les valeurs créées par le travail pendant la communauté sont communes). La mention de l’article 1589 permet d’élargir la solution aux options d’achat d’actions, dans lesquelles l’optant doit payer le prix de son acquisition, qui souvent est inférieur à la valeur de l’action au jour de la levée de l’option.

D’autre part, l’arrêt donne l’occasion de réfléchir aux prolongements de cette solution.

D’abord, il est notable que, contrairement à l’arrêt du 9 juillet 2014, la Cour ne précise pas que l’option doit être levée « durant le mariage » mais plutôt « avant la dissolution de la communauté ». Loin d’être marginale ou anecdotique, cette modification traduit le fort mouvement de libéralisation du droit des régimes matrimoniaux de ces dernières années. Puisqu’il est désormais assez simple de changer de régime matrimonial tout en restant marié, l’expression « durant le mariage » s’avère obsolète voire erronée. Issue de textes rédigés à une époque où l’immutabilité des conventions matrimoniales était un principe vigoureux, elle ne permet plus de rendre compte les évolutions de la matière qui privilégient une procédure de changement de régime matrimonial peu contraignante. L’essentiel ici n’est donc pas que l’opération intervienne « pendant le mariage » mais plutôt « sous l’empire du régime de communauté d’acquêts », fut-il suivi d’une séparation de biens.

Ensuite, la question du droit à récompense demeure posée. La masse commune s’enrichissant consécutivement à l’appauvrissement de la masse propre, il serait tentant de reconnaître à cette dernière un droit à récompense. Deux raisons s’y opposent pourtant. La première tient à la différence d’objet : aucun bien propre ne tombe en communauté. L’option propre disparaît lors de son exercice et, consécutivement, un nouveau bien commun (l’action) apparaît. L’action acquise par la levée de l’option n’a ainsi jamais transité par la masse propre.

La seconde raison est plus convaincante : le droit de souscription a été attribué sous l’empire du régime matrimonial et constitue un élément de la rémunération de l’époux, de sorte que la communauté, à qui sont dus les gains et salaires perçus sous l’empire du régime, n’a fait que récupérer son dû. Mais alors, ne faudrait-il pas considérer que la communauté a droit à récompense pour les options restées en stock ? Sans doute que non puisque ces options stockées, considérées comme propres dès leur entrée dans le patrimoine de l’époux, n’ont jamais transité par la masse commune. Récompense est en effet due pour les appauvrissements, non pour les manques à gagner. Le même type d’interrogation pourrait se poser lorsque les stock-options ont été acquises avant l’entrée en vigueur du régime puis ont été levées pendant la communauté…

Enfin, on aurait sans doute tort d’expliquer cette solution par une énième distinction entre le titre et la finance. Nulle qualification mixte ici, mais plutôt deux qualifications successives : une option propre, puis une action commune. Il y aurait distinction du titre et de la finance si les options restées en stock avaient été portées en valeur à l’actif de communauté, comme le suggérait le moyen ici rejeté. Où l’on voit qu’une bonne connaissance de son régime matrimonial peut permettre à un époux de conserver des gains professionnels pour lui seul…

Calcul de profit subsistant pour l’amélioration d’un bien grevé d’usufruit

Avant leur divorce, les époux avaient réalisé des travaux d’amélioration à frais communs sur un immeuble dont la nue-propriété dépendait de la masse propre de l’époux et l’usufruit était détenu par la mère de celui-ci. Avant le divorce, l’usufruit s’était éteint en raison du décès de l’usufruitière.

Pour procéder au calcul de la récompense due à la communauté, la cour d’appel n’avait pris en compte que la valeur de la nue-propriété au motif que le bien était encore grevé d’usufruit au jour de la réalisation des travaux. La demanderesse au pourvoi réclamait en revanche que le profit subsistant soit déterminé d’après la valeur de la pleine propriété, qui s’était reconstituée au jour de la liquidation.

Statuant au visa de l’article 1469 du code civil, la Cour de cassation accueille favorablement le moyen et censure l’arrêt d’appel. Elle énonce en attendu de principe que lorsqu’il est question d’une dépense d’amélioration la récompense est égale au profit subsistant, lequel se détermine d’après la proportion dans laquelle les fonds empruntés ont contribué au financement de l’amélioration (§ 9).

Elle en déduit que « dans le cas où la communauté a contribué au financement de l’amélioration d’un bien qui a été acquis par l’un des époux en nue-propriété qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, en raison du décès de l’usufruitier, en pleine-propriété dans le patrimoine emprunteur, il convient de calculer d’abord la proportion de la contribution du patrimoine créancier à l’amélioration de ce bien, puis d’appliquer cette fraction à la différence entre la valeur du bien en pleine propriété au jour de la liquidation et celle qu’il aurait eue en pleine propriété à la même date sans les améliorations apportées » (§ 10).

Un tel énoncé n’est pas sans rappeler celui de l’arrêt du 7 novembre 2018 rendu à propos d’une dépense d’acquisition d’un bien grevé d’usufruit (Civ. 1re, 7 nov. 2018, n° 17-26.149 P, Dalloz actualité, 18 déc. 2018, obs. Q. Guiguet-Schielé ; D. 2018. 2185  ; AJ fam. 2019. 99, obs. J. Casey  ; LEFP janv. 2019, n° 111u9, p. 6, note N. Peterka ; JCP N 2019. 1182. Comm. A. Karm ; ibid. 1183. Comm. X. Guédé ; Dr. fam. 2019. Comm. 10, obs. A. Tani ; Gaz. Pal. 2 avr. 2019, n° 346n3, p. 64, note S. Deville). La bonne méthode consiste donc à raisonner d’abord en nue-propriété, puis en pleine propriété.

Dans un premier temps, il faut déterminer la contribution du patrimoine créancier à l’acquisition du bien en nue-propriété. En effet, pour calculer la proportion de financement de la masse solvens, il convient de se placer au jour de l’appauvrissement, c’est-à-dire à la date des travaux pour les dépenses d’amélioration et à la date de l’entrée du bien dans le patrimoine pour les dépenses d’acquisition. Si à ce jour le bien est grevé d’usufruit, la contribution est déterminée d’après la seule nue-propriété.

Dans un second temps, il faut reporter cette fraction sur une valeur en pleine propriété. L’assiette de la réévaluation se détermine en effet d’après la valeur du bien au jour de la liquidation lorsqu’il subsiste dans le patrimoine de la masse accipiens. Or, si à cette date l’usufruit s’est éteint, la réévaluation se fait d’après la valeur de la pleine propriété, puisqu’elle aura été reconstituée. S’agissant des dépenses d’acquisition, il suffit de chiffrer la valeur du bien au jour de la liquidation. S’agissant des dépenses d’amélioration, il convient de déterminer l’augmentation de la valeur du bien provoquée par les travaux, ce qui correspond à la différence entre la valeur effective du bien (en son état réel, donc avec les travaux) et la valeur fictive de ce même bien à la même date (en son état virtuel, donc sans les travaux).

L’arrêt rendu ce 25 octobre s’inscrit donc dans le parfait prolongement de celui rendu le 7 novembre 2018. Mieux encore : il en a les qualités sans les défauts. On se souvient en effet qu’en 2018, après avoir pourtant constaté l’erreur de droit commise par les juges du fond, la Cour avait rejeté le pourvoi au motif étrange et erroné que la méthode qu’il proposait aboutissait « nécessairement » au même résultat que celui retenu par l’arrêt d’appel. Motif étrange car la Cour n’est pas censée juger le pourvoi mais une décision rendue au fond : la cassation s’impose lorsque le raisonnement et la solution sont juridiquement faux. Motif erroné car un raisonnement en « tout nue-propriété » n’aboutit pas toujours au même résultat mathématique qu’un raisonnement en « tout pleine propriété ». La répartition de la valeur de la pleine propriété entre l’usufruit et la nue-propriété d’après le barème de l’article 669 du code général des impôts dépend en effet de la tranche d’âge de l’usufruitier, qui n’est pas nécessairement identique au jour de la dépense (où l’on détermine la nue-propriété) et au jour de la liquidation (où l’on retient la pleine propriété). D’ailleurs, est-ce bien de la même personne dont on parle lorsque la pleine propriété s’est reconstituée entretemps ?

Dans cet arrêt du 25 octobre 2023, la Cour assume au contraire pleinement sa position. Non seulement elle casse et annule l’arrêt d’appel, mais elle va jusqu’à évoquer l’affaire et statuer elle-même sur le montant de la récompense, ce qui est assez rare pour être souligné.

Il faut se montrer tatillon pour trouver quelque reproche à adresser à cet arrêt.

On pourra certes déplorer une moindre qualité de rédaction de l’attendu de principe qu’en 2018. Non seulement la Cour n’évoque que les dépenses d’amélioration (contrairement à l’arrêt du 7 nov. 2018 qui évoquait le cas où « des fonds de la communauté ont servi à acquérir ou à améliorer un bien »), mais de surcroît le paragraphe 9 pourrait être interprété comme une restriction des cas dans lesquels la récompense est égale au profit subsistant. En outre, la Cour s’entête comme en 2018 à axer ses attendus de principe sur les hypothèses dans lesquelles récompense est due à la communauté. Pourtant, les solutions qu’elle dégage s’appliquent aussi, en toute logique, aux hypothèses de récompenses dues à une masse propre et même aux créances entre époux, lesquelles nécessitent tout autant le calcul d’un profit subsistant. Un énoncé plus général serait donc sans doute préférable.

Le diable est dans les détails. Retenons surtout la grande justesse d’analyse de la Cour de cassation dans son décryptage de l’article 1469 du code civil qui, par son indigence, met en difficulté tout juriste confronté à un calcul de profit subsistant. Le tableau jurisprudentiel n’est pourtant pas complet. L’on attend avec impatience des cas encore plus complexes dans lesquels par exemple le bien aura été partiellement financé puis partiellement amélioré par chacune des masses avant d’être subrogé une première fois en pleine propriété et une seconde en nue-propriété… De tels cas d’école n’effrayent plus désormais : la Cour de cassation nous a livré avec beaucoup de pédagogie toutes les clés pour résoudre les plus mystérieux calculs de profit subsistant.

 

© Lefebvre Dalloz