Liquidation judiciaire et absence de notification de l’offre d’indemnisation par l’expropriant
Seul le liquidateur judiciaire, attrait dans la cause, a qualité pour soulever la fin de non-recevoir tirée du défaut de notification, à son profit, de l’offre d’indemnisation préalable à la saisine du juge de l’expropriation.
À l’origine de cette affaire, une commune a lancé une procédure d’expropriation de plusieurs parcelles appartenant à Monsieur R., qui est décédé en 2008.
La procédure d’expropriation s’est poursuivie avec les consorts F., pris en qualité d’héritiers de Monsieur R.
Le 9 octobre 2018, la commune expropriante a notifié une offre d’indemnisation aux consorts F. En l’absence d’accord sur cette offre, elle a saisi le juge de l’expropriation, le 24 janvier 2019, en fixation des indemnités de dépossession.
En parallèle, le 25 janvier 2019, la commune a adressé une copie du mémoire de saisine de la juridiction à la société B., en sa qualité de liquidateur de Monsieur R., dont la liquidation judiciaire avait été ouverte en 1992.
Toutefois, aucune notification de l’offre d’indemnisation n’avait été faite par l’expropriant au liquidateur, qui avait seul qualité pour accepter et recevoir l’indemnisation.
C’est ainsi que les consorts F. ont soulevé une fin de non-recevoir du fait de l’absence de notification de l’offre d’indemnisation au liquidateur judiciaire.
Selon eux, « lorsque l’expropriant n’a pas, avant de saisir le juge de l’expropriation pour qu’il fixe le montant des indemnités d’expropriation, notifié son offre d’indemnisation au liquidateur judiciaire représentant l’exproprié décédé, qui était pourtant le seul à avoir la qualité pour accepter cette offre, la saisine du juge est irrégulière de sorte que toute personne qui est partie à la procédure et qui y a intérêt est recevable à soulever cette fin de non-recevoir ».
La Cour d’appel de Rennes n’adhère pas à ce raisonnement et leur répond dans les termes suivants : « si c’était à juste titre que ces derniers prétendaient que l’offre d’indemnisation aurait dû être notifiée au liquidateur, celui-ci ayant seul qualité pour accepter ou non l’offre de l’expropriant portant sur les biens dépendant de la liquidation judiciaire et obtenir l’indemnisation, la fin de non-recevoir qui en résultait, laquelle n’était pas d’ordre public, ne pouvait être invoquée que par celui auquel elle portait préjudice, c’est-à-dire le liquidateur ».
Au surplus, la cour d’appel relève que :
- d’une part, que la situation avait été régularisée tant en première instance qu’en appel, et que ;
- d’autre part, le liquidateur ne soulevait pas l’irrecevabilité de la procédure.
La Cour de cassation, saisie par les consorts F., était amenée à déterminer si la fin de non-recevoir du fait de l’absence de notification de l’offre d’indemnisation au liquidateur pouvait être soulevée uniquement par ce dernier ou par toute autre partie à la procédure.
La Haute juridiction rappelle effectivement qu’un mois au moins avant la saisine du juge de l’expropriation, l’offre d’indemnisation prévue par l’article L. 311-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique aurait dû être notifiée par l’expropriant au liquidateur, qui avait seul qualité pour l’accepter et recevoir l’indemnisation.
Absence de caractère d’ordre public de la fin de non-recevoir
Toutefois, elle valide la décision de la cour d’appel qui a « constaté que le liquidateur, attrait dans la cause, n’avait pas soulevé la fin de non-recevoir tirée du défaut de notification préalable de cette offre à son profit, laquelle n’est pas d’ordre public ».
En conséquence, seul le liquidateur judiciaire a qualité pour soulever la fin de non-recevoir tirée du défaut de notification, à son profit, de l’offre d’indemnisation préalable à la saisine du juge de l’expropriation.
L’absence de caractère d’ordre public de cette fin de non-recevoir apparaît ici déterminante pour la Cour de cassation qui fait ici un rapprochement avec une décision plus ancienne, selon laquelle la fin de non-recevoir tiré de l’absence de notification des offres indemnitaires de l’expropriant préalablement à la saisine du juge de l’expropriation qui, n’étant pas d’ordre public, ne peut être présentée pour la première fois devant la Cour de cassation (Civ. 3e, 24 juin 2021, n° 20-14.807, Dalloz actualité, 8 juill. 202, obs. G. Hamel ; AJDI 2022. 135
, obs. G. Hamel
; ibid. 425, chron. S. Gilbert
).
Pour résumer, seul celui qui dispose de la faculté d’accepter ou refuser une offre d’indemnisation est fondé à soulever la fin de non-recevoir, en l’espèce, le liquidateur judiciaire. Les autres parties à la procédure n’ont pas la possibilité de la soulever, du fait de l’absence de caractère d’ordre public de cette fin de non-recevoir.
© Lefebvre Dalloz