L’obligation d’information et de conseil du vendeur professionnel s’étend aux conditions de transport des marchandises vendues

Dans un arrêt rendu le 19 juin 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation précise que le vendeur professionnel est tenu à une obligation d’information et de conseil qui tient compte des caractéristiques des matériaux vendus et des conditions de leur transport par un non professionnel.

Il y a quelques jours, nous analysions dans ces colonnes un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation ayant précisé que l’obligation d’information de la banque dispensatrice de crédit s’applique également à la mise en œuvre de la garantie souscrite au profit de celle-ci (Com. 12 juin 2024, n° 23-11.630 F-B, Dalloz actualité, 19 juin 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1124 ). Aujourd’hui, nous retrouvons l’obligation d’information dans un autre contexte à travers un arrêt rendu le 19 juin 2024 par la première chambre civile. L’affaire étudiée s’intéresse au droit de la consommation et, plus précisément, au contrat de vente entre un professionnel et un non professionnel. Il est question des conditions raisonnablement prévisibles de transport des marchandises vendues. 

Les faits commencent par une histoire d’apparence banale aux conséquences funestes. Une personne commande auprès d’une société spécialisée 67 planches de bois dont la longueur est de 4,52 mètres par unité vendue. Un préposé de la société charge les planches dans la remorque attelée au véhicule de l’acquéreur, avec l’aide de ce dernier. Après avoir quitté les locaux de la société venderesse, l’acquéreur percute un autre véhicule dans une descente. Les deux conducteurs impliqués dans l’accident décèdent en raison du déport de la remorque à cause de son poids. Un contentieux en responsabilité et en indemnisation, initié par les héritiers de l’acquéreur, se noue. Les héritiers demandeurs à l’instance reprochent à la société venderesse un manquement à son obligation de sécurité mais également à son obligation d’information et de mise en garde. En cause d’appel, les juges du fond font droit à la demande initiée par chacun des demandeurs en estimant que le vendeur n’avait pas correctement informé l’acquéreur sur le poids total des planches. La cour d’appel a donc considéré que la société avait méconnu son obligation d’information et de conseil inhérente au contrat de vente ainsi conclu.

La société venderesse se pourvoit en cassation en reprochant à ce raisonnement un défaut de base légale au regard des textes du code civil et du code de la consommation. L’arrêt rendu le 19 juin 2024 par la première chambre civile de la cour de cassation aboutit à un rejet du pourvoi. Nous allons étudier pourquoi une telle décision présente une certaine originalité qui explique sa publication au Bulletin.

Obligations du vendeur et information sur le transport des marchandises vendues

L’argumentation du moyen développé par la société demanderesse à la cassation reposait sur le contenu de l’obligation générale de sécurité. Selon la venderesse, il n’est en effet pas question d’étendre une telle obligation au chargement du produit vendu qui est effectué sous la responsabilité de l’acheteur puisque celui-ci est « devenu propriétaire et gardien de la chose achetée » (pt n° 3, moyen en sa première branche). En d’autres termes, il n’y avait pas eu au sens strict de transfert de la garde au préposé du vendeur qui a pu aider l’acquéreur à charger son véhicule.

Le moyen est, assez sèchement, rejeté par la première chambre civile après avoir rappelé le contenu de l’ancien article L. 221-1 du code de la consommation, devenu L. 421-3 du même code, concernant l’obligation de sécurité attendue raisonnablement des produits et des services vendus mais également celui de l’article 1147 ancien du code civil sur la responsabilité contractuelle de droit commun (devenu l’art. 1231-1 après la réforme issue de l’ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016 réformant le droit des contrats). Reprenons le raisonnement des juges du fond pour comprendre pourquoi le moyen ne pouvait pas emporter un cas d’ouverture à cassation dans la présente affaire.

Pour reprocher un manquement à l’obligation d’information et de conseil, la cour d’appel avait relevé les éléments suivants qui semblaient effectivement converger en faisceau d’indices vers une certaine insuffisance :

  • le nombre de planches était important (67 unités) pour une longueur individuelle de 4,52 mètres ;
  • l’acquéreur était un consommateur profane ;
  • l’acquéreur des planches n’avait pas été informé du poids total des marchandises ;
  • le préposé n’avait pas renseigné l’acquéreur sur la question puisqu’il ignorait le poids des planches en question ;
  • une campagne de la fédération de négoce bois et matériaux avait alerté, en 2013, les vendeurs de matériaux sur la surcharge des véhicules.

En toute hypothèse, le principal enseignement de l’arrêt du 19 juin 2024 reste de rappeler dans une décision publiée au Bulletin que l’obligation d’information et de conseil incombant au vendeur professionnel s’applique également aux conditions prévisibles de leur transport par un non-professionnel. La campagne de 2013 de la fédération « bois et matériaux » avait d’ailleurs rappelé aux vendeurs professionnels qu’en cas de risque de surcharge, ces derniers devaient purement et simplement refuser de charger les matériaux vendus.

Il est donc tout à fait indifférent de caractériser ou non un contrat de prestation de service pour effectuer le chargement comme le soutenait la société venderesse. En tout état de cause, le contrat de vente se suffit donc à lui-même grâce à l’obligation d’information et de conseil qui en résulte.

On notera que la première chambre civile évite soigneusement le vocable « sécurité » qu’elle cite au titre de l’article L. 421-3 du code de la consommation (pt n° 4) mais qu’elle ne réutilise ensuite pas dans sa motivation propre pour aboutir au caractère non fondé du moyen soulevé par la société venderesse. Ce faisant, la justification reste centrée seulement sur l’obligation d’information et de conseil, ce qui évite d’invoquer les jurisprudences autour de l’obligation de sécurité dont on sait que les développements ont été d’une certaine âpreté en droit de la consommation (v. par ex., Civ. 1re, 9 sept. 2020, n° 19-11.882 FS-P+B, Dalloz actualité, 14 oct. 2020, obs. A. Hacene ; D. 2021. 401 , note L. Perdrix ; ibid. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; AJ contrat 2020. 443, obs. B. Borius ; RTD civ. 2020. 890, obs. P. Jourdain ).

De l’absence d’incidence de la faute de la victime

La seconde branche du moyen maintenait une argumentation sur la faute de la victime. L’argumentation tendait à avancer que l’acquéreur avait été contraventionné pour « circulation en surcharge » et pour « défaut de maîtrise de son véhicule » (pt n° 9 de l’arrêt, énoncé du moyen). La société venderesse reprochait donc un défaut de base légale à l’arrêt d’appel frappé du pourvoi qui n’avait pas retenu la commission de ces fautes pour diminuer l’indemnisation demandée par ses héritiers.

Toutefois, il était difficile d’obtenir gain de cause avec ce moyen puisque les juges du fond avaient considéré que la seule cause de l’accident était « le déplacement anarchique de la remorque dû à sa surcharge » (pt n° 10, nous soulignons). Par conséquent, même si la victime avait fait l’objet de deux contraventions, il n’était pas possible de faire diminuer ou d’exclure la responsabilité de la société venderesse. La solution contraire aurait probablement été teintée d’une forme d’étrangeté factuelle. Ce serait, en effet, une sorte de cabinet aux miroirs : les contraventions sont, en effet, dues au même fait générateur initial qui puise sa source dans le défaut d’obligation d’information et de conseil concernant le chargement du véhicule.

L’orientation choisie reste donc centrée autour d’une justification objective, à savoir la cause exclusive de l’accident. Les données factuelles périphériques à celle-ci ne viennent pas diminuer le quantum de la réparation.

En somme, voici un arrêt qui permet de rappeler toute l’étendue de l’obligation d’information et de conseil du vendeur professionnel face au consommateur profane. Sévère, l’obligation n’en reste pas moins conforme à une bonne combinaison entre le code de la consommation et la théorie générale du contrat. En tenant compte des caractéristiques des produits vendus, le vendeur professionnel doit une information sur les conditions du transport des marchandises. Parfois, mieux vaut-il purement et simplement de refuser de charger les matériaux si le véhicule dudit acquéreur n’est pas adapté !

 

Civ. 1re, 19 juin 2024, F-B, n° 21-19.972

© Lefebvre Dalloz