L’obligation légale du bailleur de souscrire une assurance responsabilité civile peut constituer un motif de déplafonnement

L’obligation pour les bailleurs, issue de la loi ALUR n° 2014-366 du 24 mars 2014, de souscrire une assurance de responsabilité civile, dans les immeubles en copropriété, peut justifier le déplafonnement du loyer d’un bail renouvelé en 2015, s’agissant d’une modification des obligations respectives des parties intervenue au cours du bail expiré, à condition que l’augmentation soit notable. Il importe peu que cette assurance ait été volontairement souscrite auparavant.

La loi « ALUR » n° 2014-366 du 24 mars 2014 a mis à la charge des bailleurs l’obligation de s’assurer contre les risques de responsabilité civile dont ils doivent répondre en leur qualité de copropriétaires non-occupants.

Cette obligation nouvelle peut-elle constituer un motif de déplafonnement du loyer d’un bail renouvelé en 2015 ? La Cour de cassation répond par l’affirmative.

La création d’une nouvelle obligation légale, motif de déplafonnement

Le bailleur peut obtenir le déplafonnement du loyer lors du renouvellement du bail, c’est-à-dire sa fixation à la valeur locative supérieure au plafond légal prévu à l’article L. 145-34 du code de commerce, à condition d’apporter la preuve d’une modification notable de l’un des éléments de la valeur locative mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 du code de commerce.

Au nombre de ces éléments figurent « les obligations respectives des parties ».

La modification des obligations du bailleur, visées au 3° de l’article L. 145-33 du code de commerce, peut donc constituer un motif de déplafonnement (J.-D. Barbier et C.-É. Brault, Le statut des baux commerciaux, LGDJ, 2024, p. 367 s.).

Plus spécifiquement, l’article R. 145-8, alinéa 2, du code de commerce précise : « Les obligations découlant de la loi et génératrices de charges pour l’une ou l’autre des parties depuis la dernière fixation du prix peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer ».

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation rappelle que « la création, au cours du bail expiré, d’une obligation légale nouvelle à la charge du bailleur est un élément à prendre en considération pour la fixation du prix du bail commercial ».

Il a déjà été jugé que l’augmentation d’une charge légale peut constituer un motif de déplafonnement, telle l’augmentation de l’impôt foncier supportée par le bailleur en vertu des dispositions de l’article 1400 du code général des impôts (Civ. 3e, 2 févr. 2000, n° 98-14.104, D. 2000. 114 ; 2 oct. 2002, n° 01-01.185, D. 2002. 2871 , obs. Y. Rouquet ; Gaz. Pal. 31 janv.-1er févr. 2003. 25). La question s’est posée à nouveau au sujet des travaux relevant de l’article 606 du code civil, impérativement mis à la charge du bailleur depuis l’entrée en vigueur de la loi Pinel n° 2014-626 du 18 juin 2014 et de son décret d’application du 3 novembre 2014 : il ne s’agissait pas véritablement d’une obligation nouvelle mais de l’interdiction nouvelle d’un transfert de charges. L’appréciation du caractère notable de la modification avait suscité des divergences (Versailles, 16 mai 2024, n° 22/05743 ; Paris, 5-3, 31 mars 2021, n° 17/14904 ; Colmar, 25 janv. 2021, n° 19/02259, Gaz. Pal. 29 juin 2021. 63, note C.-֤É. Brault ; L’Argus de l’Enseigne nov. 2019, p. 14, obs. J.-D. Barbier).

L’assurance responsabilité civile du copropriétaire non-occupant, obligation nouvelle

Conformément à ces règles de droit, la Cour de cassation décide que l’obligation pour le bailleur de souscrire une assurance de responsabilité civile en qualité de propriétaire non-occupant créée au cours du bail expiré, peut constituer un motif de déplafonnement du loyer en renouvellement.

La charge nouvelle doit être survenue au cours du bail expiré

La valeur locative s’apprécie à la date du renouvellement (Civ. 3e, 4 févr. 1997, n° 95-13.916, Administrer 6/1997. 27, note J.-D. Barbier ; 9 mars 2022, n° 20-19.188, JCP E 2022. 1175, note P.-H. Brault ; Gaz. Pal. 5 juill. 2022. 62, note C.-É. Brault). La période d’appréciation de la modification s’étend de la prise d’effet du bail échu jusqu’à la date du renouvellement du bail.

En l’espèce, l’obligation du bailleur de souscrire une assurance était issue de la loi précitée du 24 mars 2014. Il s’agissait donc bien d’une modification des obligations légales des parties, intervenue au cours du bail échu, le renouvellement prenant effet en 2015.

Ancienneté de l’obligation volontaire, nouveauté de l’obligation légale

En réalité, dans cette affaire, cette charge n’était pas véritablement nouvelle pour le bailleur, puisqu’il l’assumait déjà volontairement avant l’entrée en vigueur de la loi de 2014.

Pour tenter d’éviter le déplafonnement, le locataire faisait valoir que, dès lors que le propriétaire avait souscrit une assurance responsabilité non-occupant avant même qu’elle ne fût rendue obligatoire, l’augmentation des primes ne résultait pas de la loi mais des rapports privés entre le propriétaire et son assureur.

La Cour de cassation écarte l’argument en relevant qu’il s’agissait bien d’une « charge légale nouvelle […] peu important que cette assurance ait été volontairement souscrite auparavant ».

Les obligations du bailleur sont bien modifiées puisque, alors qu’il aurait pu résilier une assurance contractée volontairement, il est désormais légalement obligé de la conserver.

Une obligation qui, de facultative, devient impérative, est nouvelle.

Mais, la modification doit encore être notable pour justifier un déplafonnement.

Caractère notable de l’obligation nouvelle

La Cour de cassation rappelle que l’appréciation du caractère notable de la modification relève du pouvoir souverain des juges du fond. Mais les juges du fond sont soumis à une obligation de motivation qui les contraint à justifier en quoi ils considèrent qu’une charge nouvelle est notable ou ne l’est pas (Civ. 3e, 1er déc. 2016, n° 15-20.365, d’Artagnan (Sté), AJDI 2017. 428 , obs. D. Lipman-W. Boccara ; Administrer 1/2017. 41, note J.-D. Barbier ; 8 oct. 2015, n° 14-19.550, Gaz. Pal. 24 nov. 2015. Pan. 29, obs. R. Conseil ; 14 sept. 2011, n° 10-23.510, Bem c/ Caisse de crédit mutuel d’Angoulême, AJDI 2012. 262 , obs. D. Lipman-W. Boccara ; Gaz. Pal. 22 oct. 2011. 36, note J.-D. Barbier).

Dans l’affaire commentée, la cour d’appel, pour apprécier le caractère notable de la charge nouvelle, avait pris en considération les primes d’assurance payées volontairement par le bailleur avant même l’entrée en vigueur de la loi de 2014.

Elle avait relevé que la prime d’assurance avait subi une augmentation de 62,56 % sur la durée du bail (de 2007 à 2014), entraînant « une baisse de revenu locatif de 27,97 % au cours du bail expiré ».

Le preneur contestait cette décision en faisant valoir que l’augmentation ne résultait pas de l’obligation découlant de la loi, mais de la souscription volontaire, de sorte que le bailleur n’était pas fondé à se prévaloir d’une charge qui s’imposait à lui depuis un an (de mars 2014 à déc. 2015), comme telle non notable.

Le moyen est rejeté par la Cour de cassation.

Dès lors que la modification est bien survenue au cours du bail expiré, son caractère notable peut s’apprécier en considération de toutes circonstances de fait.

Néanmoins, il est vrai qu’au cours du bail expiré la modification, qui n’avait produit ses effets que sur un an, n’était de ce fait pas importante, même si, pour le cours du bail renouvelé, elle le sera. Le caractère notable de la modification ne doit-il pas s’apprécier sur la durée du bail expiré ?

La Cour de cassation semble considérer que, si la modification doit bien être intervenue au cours du bail expiré, son caractère notable peut s’apprécier en fonction de ses effets qui ne sont pas limités à la durée du bail expiré.

Cette règle serait nouvelle. Faudra-t-il la transposer aux autres cas de déplafonnement, telle la modification des facteurs locaux de commercialité ? La prudence s’impose…

 

Civ. 3e, 23 janv. 2025, FS-B, n° 23-14.887

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