Location saisonnière touristique : activité civile ou commerciale ?

Ayant souverainement relevé que l’activité exercée par la société gérante de lots à usage d’habitation situés en étages dans l’immeuble n’était accompagnée d’aucune prestation de services accessoires ou seulement de prestations mineures ne revêtant pas le caractère d’un service para-hôtelier, la cour d’appel en a exactement déduit que cette activité n’était pas de nature commerciale.

Tendance récente

Dans ce très intéressant arrêt du 25 janvier 2024 (non publié), la troisième chambre civile de la Cour de cassation confirme la tendance récente de sa jurisprudence quant à la qualification de l’activité de location saisonnière touristique (cette tendance avait pu être mise en évidence au cours d’un colloque organisé par le M2 droit immobilier de l’Université de Bordeaux, le 15 mars 2022, sur « la location touristique de courte durée », et dont les actes seront publiés aux éditions Le Moniteur, ss. la direction du professeur J. Martin,  P.-E. Lagraulet, Location touristique de courte durée et copropriété). Elle est de nature civile, sauf si elle s’accompagne de prestations de services accessoires.

Enjeu majeur

La détermination de la nature de l’activité de la location saisonnière, civile ou commerciale, est primordiale en droit de la copropriété.

En effet, si elle est commerciale, alors elle peut être interdite dans les immeubles dont la destination est d’habitation exclusive ou même simplement d’habitation (bourgeoise). Si, en revanche, elle est de nature civile, alors la destination bourgeoise, et même exclusivement bourgeoise de l’immeuble ne suffira pas à l’interdire sans l’appui de clauses restreignant, conformément à cette destination, les conditions de jouissance des parties privatives.

L’enjeu est donc majeur, particulièrement du fait des lacunes trop fréquentes des règlements de copropriété à qualifier correctement tant la destination de l’immeuble, que les conditions de jouissance des parties communes et privatives de l’immeuble.

Une activité civile

C’était l’enjeu du cas d’espèce de l’arrêt soumis au contrôle de la Cour de cassation, puisqu’un copropriétaire entendait par voie de justice faire cesser une activité de location touristique dans un lot de l’immeuble en raison d’une clause du règlement de copropriété prohibant l’exercice d’une activité commerciale ailleurs que dans les lots du rez-de-chaussée.

La cour d’appel saisie du litige avait alors considéré, que malgré la clause, l’activité n’était pas interdite cat elle ne pouvait être qualifiée de commerciale, faute pour le demandeur de démontrer que le bailleur fournissait à ses locataires de passage trois des quatre services retenus par l’article 261 D du code général des impôts pour en permettre la qualification de para-hôtelière et, par conséquent, de commerciale.

Le pourvoi en cassation était ainsi fondé sur la violation de l’article 1134 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l’ord. de 2016), du fait de la violation du règlement de copropriété, et de la fausse interprétation de l’article 261 D du code général des impôts.

Sur ce pourvoi, la Cour de cassation, confirma la solution par la cour d’appel, qui avait pu « exactement déduire » des faits qu’elle avait souverainement relevés, que l’activité n’était pas de nature commerciale :

« 5. Ayant souverainement relevé que l’activité exercée par la société MSC dans l’immeuble n’était accompagnée d’aucune prestation de services accessoires ou seulement de prestations mineures ne revêtant pas le caractère d’un service para-hôtelier, la cour d’appel en a exactement déduit que cette activité n’était pas de nature commerciale. »

La solution est ainsi clairement posée : l’activité qui n’a pas la nature de para-hôtelière n’est pas commerciale. Ainsi l’activité de location touristique sans prestation de service, ou de prestations de services mineures, est une activité civile.

Une confirmation, pas un revirement

Reste à mesurer la portée de cette solution, et à expliquer pourquoi il ne s’agit pas, à notre sens, d’un revirement de jurisprudence, mais tout au contraire d’une confirmation.

Pour commencer, rappelons que le principe, en droit de la copropriété, est celui de la liberté d’affectation et d’usage des lots. La Cour de cassation l’a affirmé à de nombreuses reprises (Civ. 3e, 10 déc. 1986, n° 85-10.987 ; rappr., la censure du Conseil constitutionnel d’une disposition de la loi ALUR devant permettre aux copropriétaires d’interdire la location touristique à la majorité simple car portant trop atteinte au droit de propriété en ce qu’il a de fondamental, Cons. constit. 20 mars 2014, n° 2014-691, Dalloz actualité, 21 mars 2014, obs. A. Portmann ; AJDA 2014. 655  ; D. 2014. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin  ; AJDI 2014. 325, point de vue F. de La Vaissière  ; JT 2014, n° 163, p. 8, obs. E. Royer  ; Constitutions 2014. 169, chron. P. Bachschmidt  ; ibid. 364, chron. P. De Baecke ). En conséquence, à défaut de limitation prévue par le règlement de copropriété (i.e. dans les immeubles « mixtes »), toute activité, y compris de location touristique de courte durée peut être effectuée.

Néanmoins, en application des articles 8 et 9 de la loi du 10 juillet 1965, le règlement de copropriété peut limiter les droits des copropriétaires, à condition que les limitations aux conditions de jouissance et d’affectation des lots soient conformes à la destination de l’immeuble, cette boussole que l’on pourrait comparer à l’intérêt social des associés, telle qu’elle est définie par les actes, la situation et les caractéristiques de l’immeuble.

C’est ainsi que la régulation de l’activité se posa de manière particulière lorsque l’immeuble est « exclusivement bourgeois » ou « simplement bourgeois », la jurisprudence oscillant entre l’appréciation des clauses restrictives de jouissance des parties privatives, et clauses de destination de l’immeuble ; une approche n’étant pas exclusive de l’autre, selon, évidemment, les arguments proposés par les conseils des parties.

À l’aune de ces clauses, la Cour de cassation avait, dans un premier temps, considéré qu’en présence d’activité libérale exercée dans l’immeuble, il n’y avait pas à se plaindre de l’exercice d’activité de location meublée touristique, celle-ci ne paraissant pas plus gênante (Civ. 3e, 8 juin 2011, n° 10-15.891, Dalloz actualité, 23 juin 2011, obs. Y. Rouquet ; Synd. copropr. du 11 rue Chomel à Paris c/ Coisne (Epx), D. 2011. 1761, obs. Y. Rouquet  ; AJDI 2012. 435 , obs. D. Tomasin ). La solution avait été critiquée, à juste titre nous semble-t-il, en raison de l’absence d’identité entre ces activités. Mais, comme le relevait alors le regretté professeur Tomasin (sa note préc., ss. Civ. 3e, 8 juin 2011), la politique jurisprudentielle de la Cour de cassation consistait alors à privilégier, de manière générale, la liberté individuelle du copropriétaire ; sans doute, pourrait-on ajouter, pour desserrer un peu l’étau sur les droits individuels d’une loi particulièrement collectiviste (v., dans le même sens, sur la « politique » jurisprudentielle d’alors, F. Bayard-Jammes, La destination de l’immeuble mis en copropriété, Droit et ville 2011, n° 72, p. 101 ; C. Atias, La « destination » des parties privatives, AJDI 2011. 433 ).

Depuis, cette position a évolué, en même temps, nous semble-t-il, que l’activité de location touristique de courte durée a connu un essor fulgurant. Il a en effet pu paraître, avec le temps, que l’activité de location touristique de courte durée ne produisait pas les mêmes gênes qu’une activité médicale ou notariale. La réception de la patientèle en journée ne crée évidemment pas les mêmes nuisances, les mêmes inconvénients, que la réception de touristes la nuit. Le moment de la gêne n’est pas le même. De plus, si l’on nous permet cette plaisanterie, la patientèle du médecin ou la clientèle de l’avocat rentre rarement ivre en vociférant dans l’immeuble, traînant sa valise butant sur chaque nez de marche de la cage d’escalier.

C’est ainsi que dans un premier temps, employant les anciennes clauses relatives aux chambres garnies, la Cour de cassation a, certes sans grande conviction, admis qu’une cour d’appel a « pu déduire » que l’activité de location en meublé touristique était interdite (Civ. 3e, 25 avr. 2006, n° 05-13.096, Administrer 7/2006. 57, obs. J.-R. Bouyeure ; v. pour l’utilisation encore récente de cette assimilation, Paris, 25 oct. 2019, n° 18/04221, Rev. loyers n° 1002, 1er déc. 2019, obs. S. Benilsi). Les considérations des juges du fonds furent alors souvent factuelles et consistaient à imaginer les nuisances pouvant être générées (not., les bruits de valise) par l’activité touristique (Paris, 25 oct. 2019, préc.) afin de justifier l’interdiction d’une activité de location touristique dont les copropriétaires avaient voulu se préserver par des clauses relatives à la location des chambres garnies ou chambres de bonnes. Les clauses du contrat ont ainsi été appliquées de manière extensive, par analogie entre des situations pourtant distinctes.

Ce n’est donc que dans un second temps que les praticiens, et donc la jurisprudence, comme une partie de la doctrine (v. par ex., P. Baudouin et J. Chamard, Les locations saisonnières de courte durée, Administrer 4/2021. 9), a orienté son raisonnement vers la nature civile ou commerciale de l’activité de location touristique, pour en apprécier l’adéquation avec la clause bourgeoise. Il ne s’agissait plus alors d’apprécier les clauses relatives à la jouissance des parties privatives, mais des clauses de la destination de l’immeuble dans sa généralité. Il a alors pu être retenu que lorsque l’activité de location touristique de courte durée était accompagnée de services, elle était commerciale, et, dès lors, incompatible avec les immeubles à destination bourgeoise ou exclusivement bourgeoise qui n’autorisaient que les activités libérales (v. déjà en ce sens, Civ. 3e, 26 nov. 2003, n° 02-14.158).

On retrouve ces considérations encore dans deux décisions de la Cour de cassation de 2018 (Civ. 3e, 8 mars 2018, n° 14-15.864, AJDI 2018. 369  ; Administrer 10/2017. 41, obs. J.-R. Bouyeure ; Loyers et copr. 2018, n° 101, obs. C. Coutant-Lapalus ; Rev. loyers 2018. 318, obs. L. Guégan-Gélinet ) et de 2020 (Civ. 3e, 27 févr. 2020, n° 18-14.305, AJDI 2020. 690  ; Loyers et copr. 2020, n° 55, obs. C. Coutant-Lapalus), de telle sorte qu’affirmer, de manière systématique, que l’activité de location saisonnière est par nature commerciale nous paraissait déjà faux en 2022 (v. P.-E. Lagraulet, Location touristique de courte durée et copropriété, in J. Martin [dir.], La location touristique de courte durée, Le Moniteur, à paraître).

La solution de la Haute juridiction sous étude nous permet de confirmer cette analyse, à rebours de celle que l’on entend le plus souvent, plus politique nous semble-t-il que juridique, selon laquelle l’activité de location saisonnière serait par nature commerciale.

Fin de l’incertitude

L’incertitude paraît donc avoir pris fin : lorsque l’activité n’est accompagnée d’aucune prestation de services accessoires ou seulement de prestations mineures ne revêtant pas le caractère d’un service para-hôtelier, l’activité n’est pas de nature commerciale, nonobstant son régime fiscal (arrêt commenté) !

La Haute juridiction se réfère ainsi explicitement aux prestations qui permettent de qualifier une activité de « para-hôtelière », dont la qualification paraît ici nécessaire pour retenir le caractère commercial de l’activité.

On rappellera que, pour qu’une activité soit para-hôtelière, trois des quatre services suivants doivent être proposés selon les dispositions de l’article 261 D du code général des impôts :
- le petit-déjeuner ;
- le nettoyage régulier des locaux ;
- la fourniture de linge de maison ;
- et la réception, même non personnalisée, de la clientèle.

Cela étant, il faut concrètement considérer que le cas le plus fréquent, en pratique, est sans doute celui de la fourniture de services, dans la mesure où le bail touristique de courte durée impose le plus souvent une prestation de lingerie et de nettoyage des locaux. Il faudra néanmoins apprécier si ces services sont accessoires ou « seulement des prestations mineures », car au sujet du nettoyage il ne s’agit pas seulement d’un nettoyage de fin de séjour, mais bien d’un nettoyage « régulier » des locaux. Il faudra également être en mesure de rapporter la preuve de la fourniture de ses services.

La clause simplement bourgeoise n’interdit pas automatiquement l’activité de location touristique !

De la sorte, si, comme a pu le remarquer le professeur H. Périnet-Marquet, la jurisprudence apprécie avec plus de sévérité la compatibilité des locations de courtes durées avec les stipulations du règlement de copropriété (H. Périnet-Marquet, Les meublés touristiques dans les immeubles en copropriété, JCP N 2017. 1216, n° 5), il n’est toutefois pas possible d’affirmer que la clause simplement bourgeoise interdit automatiquement l’activité de location touristique (v. en ce sens, E. de Kerret et I. Penchinat, Les meubles touristiques dans les rapports privés, APII n° 3, juill. 2021. Dossier 19), qui n’est pas une activité commerciale par principe.

Les recours possibles

C’est pourquoi, à défaut de parvenir à cette régulation par l’application du critère de la destination de l’immeuble, il reste toujours utile d’envisager d’autres recours. Il faudra alors se référer, comme par le passé, aux clauses restrictives de jouissance des parties privatives : interdiction de louer des chambres garnies, etc.

Le syndicat ou ses membres pourront également se « réfugier » derrière la destination du lot telle que prévue par le droit de l’urbanisme (il peut dénoncer la situation aux agents assermentés de la commune qui pourront procéder à des contrôles).

À défaut, le syndicat des copropriétaires, ou ses membres, peuvent directement agir sur le fondement de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, d’ordre public, pour faire respecter la conformité de l’affectation du lot à ces règles réglementant le changement d’usage du local d’habitation donné à bail pour une courte durée et à des fins touristiques (Civ. 3e, 15 janv. 2003, n° 01-03.076, Syndicat copropr. 3, bd Fladrin à Paris, 16e c/ Martin, D. 2003. 399  ; AJDI 2003. 426 , obs. Y. Rouquet ). Destination dont les règles vont être encore renforcées (proposition de loi « transpartisane » n° 1176 visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue).

Le syndicat ou ses membres pourront encore, pour faire cesser le trouble lorsqu’il existe, engager une action en cessation du trouble de jouissance (l’action peut être fructueusement engagée, sur le fondement contractuel, sans avoir à démontrer le caractère « anormal » du fait générateur du trouble, v. en ce sens, pour des répétitions de piano, Paris, 4 juin 2009, n° 08/12397), en présence de clauses en ce sens du règlement, ou à défaut, d’une action en cessation du trouble anormal de voisinage (v. par ex., Paris, 11 févr. 2022, n° 21/10676, Dalloz actualité, 23 mars 2022, obs. P. Gaiardo ; AJDI 2022. 532 , obs. P. Gaiardo  ; JT 2022, n° 251, p. 13, obs. X. Delpech  ; Montpellier, 29 oct. 2020, n° 19/04215).

Conseil pratique

On ne pourra qu’inviter les rédacteurs de règlements de copropriété à envisager clairement et distinctement les clauses de destination de l’immeuble, ainsi que les clauses relatives à la jouissance des parties privatives et communes, tout en soulignant expressément les caractéristiques et la situation de l’immeuble permettant d’en justifier la licéité. Ce n’est que par cette méthode qu’il paraît désormais possible de restreindre, lorsque c’est légitime, l’activité de location saisonnière touristique !
 

Civ. 3e, 25 janv. 2024, F-D, n° 22-21.455

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