Locaux à usage industriel : exclusion du droit de préférence et définition

Les locaux à usage industriel sont exclus du champ d’application de l’article L. 145-46-1 du code de commerce. Au sens de ce texte, doit être considéré comme à usage industriel tout local principalement affecté à l’exercice d’une activité qui concourt directement à la fabrication ou à la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant.

Par cet important arrêt de rejet qui sera publié au Bulletin, la haute juridiction d’une part, précise que les locaux à usage industriel sont exclus du champ d’application du droit de préférence commercial visé à l’article L. 145-46-1 du code de commerce et, d’autre part, définit la notion de « local à usage industriel ».

Dans cette affaire, une société locataire avait signé un bail commercial devant « servir exclusivement à l’usage suivant : entreprise générale de bâtiment et travaux publics et fabrication d’agglomérés », tandis que les statuts de la preneuse indiquaient qu’elle avait notamment pour objet « la fabrication, l’achat, la vente, l’importation, l’exportation de tous produits et matériaux de construction pour le bâtiment, ou les travaux publics, notamment en béton précontraint ou non. Il est toutefois relevé que l’activité de négoce entrait dans le chiffre d’affaires de la société à hauteur d’un tiers.

À la suite de la vente du local à un tiers sans mise en œuvre du droit de préférence de la société preneuse, celle-ci a assigné le bailleur en annulation de la vente et en indemnisation.

Elle a été déboutée en première instance (TJ Orléans, 10 juin 2020, n° 17/02109) en raison du champ d’application du droit de préférence du locataire, limité à la vente d’un local à usage commercial ou artisanal, alors qu’au cas particulier les locaux abritaient « une activité essentiellement industrielle permettant de qualifier l’usage des locaux qu’elle loue d’industriel ».

N’ayant pas eu davantage de succès en appel (Orléans, 10 mars 2022, n° 20/01235, Dalloz jurisprudence; AJDI 2022. 363  ; Rev. prat. rec. 2023. 19, chron. E. Morgantini et S. Gonon ), elle a décidé de porter l’affaire devant le juge du droit.

Au soutien de ses prétentions, la locataire contestait, à titre principal, la qualification d’« activité industrielle » retenue par les juridictions du fond pour désigner l’activité exercée dans les lieux loués, alors qu’une activité de négoce s’y déroulait pour partie.

Ainsi que le résume l’avis de l’avocat général (p. 1), selon la société preneuse, « une activité commerciale, même partielle, suffit pour bénéficier du droit de préemption prévu par l’article L. 145-46-1 du code de commerce, ce texte ne faisant aucune référence à un usage exclusivement commercial ».

La Cour rend un arrêt de rejet au motif que le droit de préférence du locataire ne vaut que pour autant que les locaux loués sont à usage commercial (ou artisanal). Or, en l’occurrence, selon la définition retenue par les magistrats du quai de l’Horloge, l’activité exercée dans les lieux doit être qualifiée d’« industrielle ».

Pas de droit de préférence pour le preneur à bail d’un local à usage industriel

Cette exclusion ressort tant de la lettre de l’article L. 145-46-1 du code de commerce que de sa genèse.

Concernant la lettre du texte, alors que le champ du statut des baux commerciaux (C. com., art. L. 145-1) englobe les baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne à un commerçant ou à un industriel, l’article L. 145-46-1 du code de commerce se veut plus restrictif, puisqu’il ne vise que le « local à usage commercial ou artisanal » (précisant que seul le titulaire du bail portant sur le local commercial ou artisanal peut bénéficier du droit de préférence, cette limite à l’exercice du droit de propriété devant être strictement interprétée, V. Rép. min. n° 21115, JO Sénat, 25 févr. 2021, p. 1261, mentionnée au rapport de l’arrêt, p. 7).

Quant à la genèse de l’article L. 145-46-1 (issu de la loi Pinel du 18 juin 2014), elle achève de nous convaincre de l’exclusion des locaux industriels du dispositif.

En effet, alors que le projet de loi initial instaurait un droit de préférence en cas de vente d’un local à usage commercial, industriel ou artisanal, deux amendements ont expressément exclu l’usage industriel du dispositif (amendements CE 170 adoptés par l’Assemblée nationale, rappelle le rapport, p. 7).

Définition de la notion de « local à usage industriel »

Tandis que la cour d’appel s’est contentée de se référer à la définition que donne le dictionnaire Larousse de la notion de « local à usage industriel » (sont industriels les locaux affectés à « la production de biens matériels par la transformation et la mise en œuvre de matières premières »), constatant qu’elle n’avait jamais statué sur la question, la haute juridiction a préféré adopter sa propre définition.

En réalité, elle fait sienne celle retenue par le Conseil d’État en matière fiscale (CE 28 févr. 2007, n° 283441, SARL Louvigny, Lebon  ; 13 juin 2006, n° 380490 ; 3 juille. 2015, n° 369851), précisant que les critères dégagés en cette matière par les juges du Palais-Royal « sont opérants, au regard de l’objet de l’article L. 145-46-1 du code de commerce ». Cette affirmation mériterait certainement d’être étayée.

Ainsi, pour la Cour, au sens de ce texte, « doit être considéré comme à usage industriel tout local principalement affecté à l’exercice d’une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matérielles et outillages mis en œuvre est prépondérant ».

Or, en l’occurrence, cette définition cadre avec l’activité de la société preneuse, les locaux loués étant notamment destinés à un usage de fabrication d’agglomérés, tandis que l’extrait du RCS de la locataire mentionnait les activités de « préfabrication de tous éléments de construction à base de terre cuite plancher murs et autres » ainsi que de « fabrication de hourdis, blocs et pavés béton ».

Accessoire, l’activité de négoce ne pouvait rendre l’article L. 145-46-1 applicable.

 

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