L’office du juge précisé dans la constatation et l’imputation de la rupture du contrat de travail
En l’absence de rupture formelle du contrat de travail et lorsqu’est invoqué une rupture à l’initiative de l’employeur (licenciement verbal), le juge est tenu de dire à qui cette rupture est imputable et d’en tirer les conséquences juridiques.
Que conclure lorsque le salarié ne se présente plus au travail et ne justifie pas son absence ? Délicate question à laquelle l’employeur avait jusqu’à il y a peu l’évidence d’engager une procédure disciplinaire pour absence injustifiée débouchant le cas échéant sur un licenciement pour faute. Si le code du travail prévoit toutefois désormais en la matière une présomption de démission après mise en demeure par l’employeur restée infructueuse, force est d’admettre que toutes les entreprises ne s’aventurent pas (encore) dans cette voie jugée risquée. Peut alors émerger l’hypothèse d’un salarié qui, soucieux que soit soldé le terme de son contrat, saisisse les juridictions prud’homales d’une demande de résiliation judiciaire, ou encore de statuer sur les conséquences d’une prise d’acte de rupture. Mais il se peut encore que le salarié n’ait pas de grief particulier à opposer à l’employeur et que sa demande le conduise à demander le constat d’un licenciement verbal. Le juge doit-il en ce cas nécessairement constater la rupture et trancher quant à son imputabilité ? La chambre sociale de la Cour de cassation est venue apporter une réponse affirmative par un arrêt du 18 septembre 2024.
En l’espèce, un salarié en qualité de chef de cuisine qui ne se présentait plus au travail s’était vu demander de justifier de son absence et de réintégrer son poste.
Puis, soutenant avoir fait l’objet d’un licenciement verbal, l’intéressé a saisi la juridiction prud’homale. L’employeur soutenait quant à lui à titre principal que le salarié avait démissionné et à titre subsidiaire qu’il avait pris acte de la rupture, imputant la responsabilité de celle-ci au salarié.
Le salarié se vit débouter de ses demandes par les juges du fond, estimant qu’il ne résultait pas des pièces versées aux débats que le contrat de travail aurait été rompu, quand l’employeur et le salarié étaient d’accord pour admettre que le contrat de travail avait été rompu le conduisant à former un pourvoi en cassation.
L’éminente juridiction va, au visa de l’article 12 du code de procédure civile, casser l’arrêt d’appel.
La nécessaire qualification de la rupture par le juge
L’article 12 du code de procédure civile prévoit en effet que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Or en l’espèce, la cour d’appel, considérant que le salarié n’avait pas manifesté une intention claire et non équivoque de démissionner, pas plus que l’employeur ait entendu rompre le contrat de travail du salarié ou même ait considéré que le contrat de travail était rompu du fait du salarié, n’avait pas constaté de rupture contractuelle, ni imputé par conséquent celle-ci à aucune des parties.
L’éminente juridiction va toutefois considérer que les constatations faites par les juges du fond devaient les mener à admettre le contrat comme rompu et, dans la mesure où chacune des parties imputant à l’autre la responsabilité de cette rupture, le juge se devait de dire à qui cette rupture était imputable et en tirer les conséquences juridiques.
La solution nous apparaît cohérente au regard de l’exigence pesant sur le juge face au déni de justice. Bien qu’elle n’ait jamais été verbalisée de façon aussi claire à notre connaissance, elle s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence antérieure relative à l’office du juge en matière de licenciement. Il est en effet classiquement jugé « même si le moyen tiré du défaut de motivation de la lettre de licenciement n’a pas été soulevé par le salarié devant les juges du fond, il est nécessairement dans le débat » (Soc. 26 mai 1999, n° 97-40.803, D. 1999. 177
).
Il est en effet classiquement établi que le juge doit donner aux faits qui lui sont soumis la qualification juridique qu’ils comportent (Soc. 1er déc. 1971, n° 70-13.065 P).
Difficile en effet pour le juge, saisi d’une demande tendant à tirer les conséquences de la rupture du contrat, de soutenir pour se défausser qu’aucune des parties n’a rompu la relation contractuelle, alors même que celle-ci peut être interrompue de manière unilatérale.
Quelle option s’offre alors à lui lorsque le salarié invoque un licenciement verbal et que dans le même temps l’employeur considère n’avoir jamais rompu le contrat ?
La nouvelle disposition sur la présomption de démission (C. trav., art. L. 1237-1-1 issu de la loi n° 2022-1598 du 21 déc. 2022, complété par l’art. R. 1237-13) devrait réduire les chances de réalisation de cette hypothèse, elle ne l’élimine pas entièrement en cas d’inertie par l’employeur.
Aussi, et si le salarié n’a pas exprimé de façon claire sa volonté de rompre le contrat à l’employeur, il paraîtra opportun – sauf à ce que l’existence d’une rupture unilatérale par l’employeur soit prouvée par le salarié – que la demande adressée par ce dernier au juge emprunte la qualification de demande de résiliation judiciaire. La difficulté viendra alors de l’identification des griefs imputés à l’employeur à cette occasion, qui viendront alors conditionner les conséquences juridiques de la rupture, alors constatée par le juge, faute d’avoir été formalisée antérieurement par les parties.
Soc. 18 sept. 2024, F-B, n° 23-13.069
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