Loi applicable aux mesures provisoires fixées dans le cadre d’une procédure de divorce

En n’imposant pas au juge, qui ordonne la fixation de mesures provisoires durant le temps de la procédure de divorce, de déterminer préalablement la loi applicable au divorce, la Cour de cassation confirme la qualification procédurale de ces mesures et donc leur nécessaire soumission à la loi du for.

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 23 mai 2024 s’inscrit dans un contexte particulier, celui relatif à la fixation de mesures provisoires dans le cadre d’un divorce international. Avant d’envisager la solution rendue en l’espèce, exposons d’abord brièvement le contexte.

Dans l’attente du jugement de divorce, il est fréquent que des mesures provisoires soient ordonnées par le juge afin d’organiser, durant le temps de la procédure de divorce, certains aspects des relations familiales, l’objectif étant naturellement de tenir compte de cette situation potentiellement conflictuelle que vivent les époux. Si en règle générale cette situation ne soulève guère de difficultés particulières, tel n’est pas le cas lorsqu’elle se caractérise par un ou plusieurs éléments d’extranéité qui, partant, nécessiteront une mise en œuvre du raisonnement de droit international privé.

Dans ces conditions, on s’interrogera alors nécessairement sur la loi ayant vocation à régir ces mesures provisoires et, dans cette perspective, deux approches distinctes sont concevables.

Il peut s’agir, en premier lieu, de soumettre ces mesures provisoires à la loi du juge saisi, c’est-à-dire à la lex fori, dont la compétence serait alors justifiée par la qualification procédurale de telles mesures. On sait en effet, sur ce point, que la procédure relève de la loi du for, en raison principalement des liens qu’elle entretient avec la souveraineté étatique, un juge ne pouvant se soumettre aux règles procédurales d’un État étranger, s’agissant là de questions qui touchent à l’organisation du service public de la justice.

Si cette qualification procédurale est peut-être celle qui figure au premier rang de l’intuition, il faut également compter avec la compétence de la loi applicable au fond qui, assurément, dispose d’un certain titre à régir les mesures provisoires ordonnées dans le cadre d’une procédure de divorce.

À cet égard, le lien entre les mesures prises en amont du jugement de divorce et celles qui seront définitivement ordonnées est assez perceptible, et ce d’autant que les mesures ordonnées à titre provisoires préfigurent bien souvent celles que contiendra le jugement de divorce une fois qu’il aura été rendu.

Or, en décidant de soumettre les mesures provisoires à la loi française du for, l’arrêt rendu le 23 mai 2024 opte ici pour la première branche de l’alternative mentionnée.

En l’espèce, deux Français se sont mariés en 1995 et ont eu de cette union trois enfants. Ils ont ensuite vécu en Suisse entre 2017 et 2019, jusqu’à la séparation du couple.

Par une ordonnance de non-conciliation rendue le 10 décembre 2020, le juge aux affaires familiales du Tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a retenu sa compétence territoriale, déclaré la loi suisse applicable au divorce, déclaré la loi française applicable aux obligations alimentaires et en matière de responsabilité parentale, autorisé les époux à assigner en divorce, et fixé diverses mesures provisoires en application de la loi française.

L’épouse a interjeté appel de cette ordonnance.

Dans un arrêt rendu le 29 mars 2022, la Cour d’appel de Chambéry a confirmé l’ordonnance et, plus spécialement retenu, pour déclarer la loi suisse applicable au divorce, qu’il devait être fait application de l’article 8, sous b), du règlement (UE) n° 1259/2010 du 20 décembre 2010, dit « Rome III », qui prévoit qu’à défaut de choix par les parties, la loi applicable au divorce est celle de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux réside encore dans cet État au moment de la saisine de la juridiction.

Par un moyen relevé d’office, la Cour de cassation affirme que le juge aux affaires familiales n’avait pas le pouvoir de statuer, dans l’ordonnance de non-conciliation, sur la loi applicable au divorce dès lors que cela n’était pas requis pour trancher une contestation relevant de ses attributions. Or, saisie de l’appel d’une décision de cette nature, la cour d’appel, qui statuait dans la limite des pouvoirs du premier juge, a excédé ses pouvoirs dès lors que « la détermination de la loi applicable au divorce n’était pas nécessaire pour vérifier la compétence ou pour la fixation de mesures provisoires, lesquelles étaient prononcées en application de la loi française et ne faisaient l’objet d’aucun recours ».

On comprend donc, en l’espèce, que la loi applicable au fond n’avait pas vocation à intervenir dans le cadre du prononcé des mesures provisoires.

La solution n’est pas franchement surprenante car, d’une part, même si la jurisprudence en la matière est plutôt rare, la première chambre civile avait déjà penché en faveur de la qualification procédurale des mesures provisoires fixées dans le cadre d’une procédure de divorce, soumettant donc ces dernières à la lex fori.

Ainsi, dans un arrêt rendu le 13 mai 2015, elle avait eu l’occasion d’affirmer que « les mesures provisoires prises par le juge français pendant l’instance en divorce sont soumises à la loi française du for » (Civ. 1re, 13 mai 2015, n° 13-21.827, D. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2015. 940, note H. Gaudemet-Tallon ).

D’autre part, il convient de noter qu’une telle solution se retrouve également dans le cadre du droit européen puisque, en matière familiale, le règlement (UE) n° 2019/1111 du 25 juin 2019 dit « Bruxelles II ter », adopte au sein de son article 15 un point de vue similaire.

 

Civ. 1re, 23 mai 2024, FS-B, n° 22-17.049

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