Loi DDADUE 2024 : mesures de droit aérien
La loi DDADUE 2024 du 22 avril 2024 contient trois dispositions qui intéressent le droit aérien : elle transpose en droit français les dispositions particulières applicables au secteur aérien à la suite de la révision de la directive relative au système d’échange de quotas d’émission ; elle précise les obligations applicables au titre du régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale (CORSIA) ; enfin, elle supprime le principe de modération tarifaire pour les premiers tarifs de redevance aéroportuaire d’un nouveau contrat de concession.
La loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, dite « loi DDADUE 2024 », est un texte long – il ne comprend pas moins de quarante-et-un articles – et touffu. Il vise à assurer la conformité de notre droit avec les évolutions récentes intervenues au niveau européen dans plusieurs domaines : droit de la consommation, droit des affaires (singulièrement le droit des sociétés), droit de l’environnement, droit de l’énergie, droit pénal (y compris la procédure pénale), droit social et, enfin, domaine de l’agriculture. Cette loi comporte notamment trois articles intéressant le droit aérien.
Sur le système d’échange de quotas d’émission (art. 19)
La loi du 22 avril 2024 transpose en droit interne les dispositions particulières applicables au secteur aérien suite à la révision de la directive relative au système d’échange de quotas d’émission, notamment en ce qui concerne l’allocation de quotas à titre gratuit, l’articulation avec le régime dit Corsia et la prise en compte des effets hors dioxyde de carbone.
Le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (SEQE‑UE) a été créé en 2005 afin de réduire les émissions des installations industrielles et des installations de production d’électricité (Dir. 2003/87/CE du 13 oct. 2003). Ce marché du carbone a été étendu en 2013 au secteur de l’aviation, pour l’ensemble des vols intra‑européens et extra-européens, soit à un secteur représentant près de 2 % des émissions mondiales. La décision dite « stop the clock » de 2013 a suspendu temporairement l’application de ce dispositif aux vols extra-européens, en attendant la mise en place d’un accord international visant à réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2) du secteur de l’aviation (Décis. n ° 377/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 avr. 2013, JOUE, n° L 113, 25 avr.). Seuls les vols intra-européens sont désormais inclus dans le SEQE-UE, les vols extra-européens étant soumis au régime de compensation et de réduction de carbone de l’aviation internationale, dit « Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation » (CORSIA), adopté par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) en 2016. La directive SEQE-UE, révisée en 2023 (Dir. [UE] 2023/958 du 10 mai 2023), explicite la séparation des vols intra‑européens soumis au SEQE-UE et des vols extra-européens soumis au régime CORSIA. Cette séparation entre le SEQE-UE et le régime CORSIA est mise en place jusqu’au 31 décembre 2026. À ce titre, aucune restitution de quotas d’émission n’est attendue pour les vols extra-européens.
La directive SEQE-UE, modifiée en 2023, a complètement révisé le système d’allocation de quotas à titre gratuit de l’aviation : elle a mis en place une diminution progressive de l’allocation de quotas à titre gratuit en 2024 et 2025 jusqu’à leur disparition complète en 2026 (les exploitants d’aéronefs pourront ainsi recevoir gratuitement des quotas à hauteur de 75 % en 2024, et 50 % en 2025 parmi les 85 % de quotas non mis aux enchère). La directive SEQE-UE révisée introduit, par ailleurs, une nouvelle obligation, relative à la surveillance, à la déclaration et à la vérification des effets hors CO2 de l’aviation, qui s’applique à partir du 1er janvier 2025. Les effets hors CO2 de l’aviation concernent, selon la directive, « les effets sur le climat du rejet, lors de la combustion de carburant, d’oxydes d’azote (NOx), de particules de suie et d’espèces de soufre oxydées, ainsi que les effets de la vapeur d’eau, notamment des traînées de condensation, provenant d’un aéronef » (Dir. [UE] 2023/958, art. 3, v).
La directive (UE) 2023/958 du 10 mai 2023 est transposée à l’article L. 229-18 modifié et aux articles L. 229-18-1 et L. 229-18-2 nouveaux du code de l’environnement.
Sur le régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale (art. 21)
La loi du 22 avril 2024 précise les obligations applicables au titre du régime Corsia (sur lequel, v. supra), dans le cadre de son articulation avec le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne.
Les dispositions relatives au régime Corsia sont énoncées au paragraphe 6 de l’article 12 de la directive SEQE-UE révisée. Il est prévu que chaque année avant le 30 novembre, les États membres de l’UE sont responsables du calcul des exigences de compensation et de la transmission de cette information aux exploitants d’aéronefs. Pour une année suivant une période de conformité (période de 3 ans), l’autorité compétente doit évaluer, avant le 30 novembre, le nombre total d’unités de compensation dont un exploitant d’aéronef est redevable pour la période de conformité concernée. Une méthode sera proposée par la Commission européenne afin de préciser le calcul des exigences de compensation avant le 30 juin 2024.
L’exploitant d’aéronef doit alors procéder à l’annulation des unités de compensation dont il est redevable pour la période de conformité, au plus tard le 31 janvier 2025 pour la période 2021-2023, et le 31 janvier 2028 pour la période 2024-2026.
C’est l’article 21 de la loi du 22 avril 2024 qui transpose en droit interne les obligations applicables aux exploitants d’aéronefs et à l’autorité administrative compétente, au titre du régime CORSIA. Il créé ainsi dans le code de l’environnement une nouvelle sous-section 2, intitulée « Obligations applicables au titre du régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale ("CORSIA") », comportant quatre articles, les articles L. 229-70 à L. 229-73. Il prévoit qu’un décret en Conseil d’État viendra préciser les modalités d’application de cette sous-section, notamment concernant les catégories d’exploitants d’aéronefs et vols concernés, ainsi que les modalités d’annulation des unités de compensation.
Sur les contrats de concessions aéroportuaires (art. 24)
1) La loi du 22 avril 2024 supprime d’abord le principe de modération tarifaire pour les premiers tarifs de redevance aéroportuaire d’un nouveau contrat de concession.
C’est une directive européenne, la directive 2009/12/CE du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires, qui régit les règles relatives aux redevances perçues par les exploitants d’aéroports. Elle a été transposée aux articles L. 6325‑1 et suivants du code des transports. Cet article permet d’ailleurs explicitement aux exploitants d’aéroports de percevoir des redevances pour service rendu, en contrepartie des services publics aéroportuaires rendus sur la plateforme.
Il est prévu que, préalablement à leur entrée en vigueur, les tarifs des redevances pour service rendu perçues par certains aéroports sont soumis à une homologation par l’autorité administrative compétente (C. transp., art. R. 6325-25 s.). L’ordonnance n° 2019‑761 du 24 juillet 2019 a confié la compétence d’homologation à l’Autorité de régulation des transports (ART), laquelle a succédé à l’Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires. L’ART doit également s’assurer, lorsqu’elle homologue les tarifs des redevances, que leur évolution est modérée par rapport aux tarifs en vigueur (C. transp., art. L. 6327-2, II). Cette modération, non définie par les textes législatifs et réglementaires, a « pour seul objet de protéger les usagers d’une hausse excessive » des tarifs (CE 31 déc. 2019, n° 424088, CE, Lebon
). Lors de l’examen des tarifs des redevances soumis à son homologation, l’ART apprécie au cas par cas la règle de modération tarifaire, en prenant en compte notamment les projets prévus par la plateforme, l’évolution du niveau de service rendu aux usagers et l’avis des usagers. Il est à noter que le principe de modération tarifaire n’apparaît pas dans la directive 2009/12/CE. Les États membres n’ont donc pas l’obligation communautaire de prévoir que l’évolution des tarifs des redevances aéroportuaires soit modérée.
Il s’avère que le principe de modération tarifaire peut poser problème lors du renouvellement d’un contrat de concession. En effet, dans le cadre de l’exploitation d’un aéroport dont la gestion a été confiée à un tiers par un contrat de concession, la règle de modération tarifaire impose un lien entre les derniers tarifs homologués de l’exploitant sortant et les premiers de l’exploitant entrant. Il peut également contribuer à rendre des appels d’offres de contrats de concession infructueux lorsque les investissements requis sont importants. Un exemple récent suffit à s’en convaincre : à la suite de l’abandon du projet d’aéroport à Notre‑Dame‑des‑Landes en 2018, un projet de modernisation de l’aéroport de Nantes-Atlantique a été lancé. Or, un seul candidat s’est manifesté lors du lancement de l’appel d’offres en octobre 2019, puisque le nouveau contrat de concession prévoyait des travaux conséquents, qui nécessiteraient une hausse des tarifs de redevance supérieure à ce que permet le principe de modération.
D’où l’ajout d’un nouvel alinéa à l’article L. 6327‑2 du code des transports qui prévoit que lorsqu’un aéroport est exploité dans le cadre d’un contrat de concession, la condition relative à la modération tarifaire n’est pas applicable aux premiers tarifs des redevances homologuées par l’ART après l’entrée en vigueur du contrat. Cette disposition s’applique aux contrats de concession conclus après le 23 avril 2024, date de publication de la présente loi.
2) La loi du 22 avril 2024 étend ensuite le champ de l’avis de l’ART dans le cadre de son avis conforme rendu lors de la conclusion de contrats de régulation économique (C. transp., art. L. 6327-3 mod.). En effet, les exploitants d’aérodromes ont la possibilité de conclure avec l’État des contrats pluriannuels d’une durée maximale de cinq ans, dits « contrats de régulation économique » (CRE). Ces contrats déterminent les conditions d’évolution des tarifs des redevances aéroportuaires, qui tiennent compte notamment, des prévisions de coûts, de recettes, d’investissements ainsi que d’objectifs de qualité de services publics rendus par l’exploitant d’aérodrome (C. transp., art. L. 6325-2). Jusqu’alors, l’ART rendait un avis motivé au ministre chargé de l’aviation civile sur les projets de CRE.
La loi nouvelle étend le champ de cet avis :
- 1° à « l’équilibre économique et financier de l’avant-projet de contrat » ;
- 2° au « coût moyen pondéré du capital retenu dans l’avant-projet de contrat » ;
- 3° aux « conditions d’évolution des tarifs prévues par l’avant-projet de contrat, en vérifiant, de manière prévisionnelle sur la période couverte par le contrat, que l’évolution moyenne proposée est modérée, que l’exploitant reçoit une juste rémunération des capitaux investis sur le périmètre des activités [entrant dans le champ des services publics aéroportuaires], appréciée au regard du coût moyen pondéré du capital calculé sur ce périmètre, et que le produit global des redevances n’excède pas le coût des services rendus ».
Selon les travaux préparatoires, l’extension du champ de l’avis motivé donné par l’ART doit permettre au concédant et aux autres parties prenantes de bénéficier de l’éclairage du régulateur sur les éléments composant l’équilibre économique du futur CRE d’assurer que le dossier soumis pour avis conforme en fin de processus puisse être validé plus rapidement (Doc. AN, n° 2334, 13 mars 2024, p. 188).
Enfin, grâce à la loi du 22 avril 2024, l’ART pourra également être saisie pour un avis motivé sur un avant-projet de CRE ou rendre un avis conforme sur un projet de CRE, au cours d’une procédure de passation d’un contrat de concession portant sur un aérodrome relevant de la compétence de l’État.
Loi n° 2024-364, 22 avr. 2024, JO 23 avr.
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