Loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 : volet pénal (deuxième partie : le jugement)
Plusieurs articles de la loi du 20 novembre 2023 sont consacrés à la matière pénale. Le texte procède à de nombreux correctifs et ajustements techniques, visant à renforcer l’efficacité et la résilience des différentes orientations procédurales. Prenant en compte le morcellement du contentieux entre les juridictions, la loi réforme aussi de nombreuses dispositions spéciales.
Après avoir traité les dispositions relatives à l’enquête et l’instruction (T. Scherer, Le volet pénal de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 : première partie, Dalloz actualité, 29 nov. 2023), il convient de suivre le fil de la procédure, et de continuer avec les modifications de la phase de jugement. Pour reprendre la structure du texte de loi, il s’agit des alinéas qui suivent le 34° de l’article 6, ainsi que d’autres articles du titre II.
Assouplir les procédures rapides et alternatives
C’est d’abord la comparution immédiate qui est réformée, et plus particulièrement, les délais dans lesquels le jugement doit intervenir après qu’elle a été refusée. Jusqu’alors, il fallait distinguer en fonction de la situation du prévenu : lorsque la peine encourue était supérieure à sept ans d’emprisonnement, l’audience sur renvoi devait se tenir dans les deux à quatre mois suivant la comparution, et, pour les autres cas, dans un délai compris entre deux et six semaines. Procédant à une sorte de moyenne, le législateur a retenu qu’en toutes circonstances, l’audience sur renvoi devrait se tenir dans un délai compris entre quatre et dix semaines (C. pr. pén., art. 397-1). Il sera toujours possible au prévenu de renoncer au délai minimal. Ces délais propres au renvoi doivent s’articuler avec celui prévu au dernier alinéa de l’article 397-3 : lorsque le prévenu est en détention provisoire, le jugement au fond doit être rendu dans les trois mois qui suivent le jour de sa première comparution devant le tribunal. Sous l’empire de la loi ancienne, ce délai était de deux mois. Tous ces nouveaux délais ne sont pas immédiatement applicables, les premières affaires concernées seront celles audiencées devant le tribunal correctionnel à compter du 30 septembre 2024.
Au-delà des délais, la compétence pour statuer sur les demandes relatives aux mesures de sûretés dans le cadre des procédures accélérées a été fractionnée. L’article 397-3 du code de procédure pénale dispose que le tribunal correctionnel peut placer ou maintenir le prévenu sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE) en attente du jugement. Ces mesures peuvent également être ordonnées en attente de l’audience dans le cadre d’une comparution sur procès-verbal (C. pr. pén., art. 394). Or, il arrive que des contestations soient soulevées à l’encontre de ces mesures. Jusqu’à présent, elles relevaient de la compétence du tribunal correctionnel. À l’avenir, pour les procédures audiencées à compter du 30 septembre 2024, le juge des libertés et de la détention connaîtra des demandes qui tendent à imposer une ou plusieurs obligations ou interdictions nouvelles, d’en supprimer tout ou partie, d’en modifier une ou plusieurs ou d’accorder une dispense occasionnelle ou temporaire d’observer certaines d’entre elles. Ce changement de compétence d’attribution est à rapprocher de celui qui a été décidé pour les demandes relatives au contrôle judiciaire et à l’ARSE après l’ordonnance de renvoi (C. pr. pén., futur art. 141-2). L’objectif du législateur est ici de mobiliser moins de magistrats : au lieu d’avoir à réunir la formation collégiale du tribunal correctionnel, seul le juge des libertés est amené à statuer. En outre, le débat est allégé, puisque le procureur peut se contenter de réquisitions écrites et le prévenu n’a pas à être entendu si le juge des libertés fait droit à sa demande. La décision du juge des libertés sera susceptible d’appel dans un délai de 24 heures, devant la chambre de l’instruction composée de son seul président.
En outre, la procédure de comparution immédiate est assouplie en élargissant une exception au principe d’irrévocabilité de la décision de poursuivre. Selon ce principe, une fois les poursuites exercées, le procureur ne peut pas changer l’orientation procédurale du dossier. Cela pouvait toutefois arriver en comparution immédiate : en effet, si le tribunal estime que l’affaire n’est pas en état, il peut renvoyer le dossier au procureur de la République. Le cas échéant, la Cour de cassation imposait qu’il requière l’ouverture d’une information judiciaire (Crim. 21 nov. 2012, n° 12-80.621, Dalloz actualité, 10 déc. 2012, obs. M. Bombled ; D. 2013. 124, chron. C. Roth, B. Laurent, P. Labrousse et M.-L. Divialle
; ibid. 1993, obs. J. Pradel
). Pour briser cette jurisprudence, la loi du 20 novembre 2023 a précisé que si le dossier est renvoyé au procureur, « celui-ci donne alors à l’affaire les suites qu’il estime adaptées ». Il pourrait donc s’agir de l’ouverture d’une information judiciaire, mais aussi d’une convocation par officier de police judiciaire, d’un retour en enquête, d’un classement sans suite… Le procureur peut même décider de réemprunter la voie de la comparution immédiate, auquel cas la formation de jugement n’aura pas la possibilité de renvoyer à nouveau le dossier au magistrat du parquet (C. pr. pén., art. 397-2, al. 4).
Le troisième alinéa de l’article 397-2, relatif à la détention provisoire, a lui aussi été modifié. La voie de la comparution immédiate est parfois choisie pour obtenir un continuum de privation de liberté à l’issue de la garde à vue du mis en cause. Or, le renvoi du dossier au procureur serait susceptible d’y mettre fin. Pour l’éviter, le procureur peut requérir le placement en détention provisoire du prévenu jusqu’à sa comparution devant le juge des libertés et de la détention ou devant le juge d’instruction, qui doit intervenir le jour même (C. pr. pén., art. 397-2, al. 3). La comparution devant le juge d’instruction n’est pas nouvelle, elle correspond à l’hypothèse de l’ouverture d’information. En revanche, qu’en est-il de la saisine du juge des libertés ? On pourrait estimer qu’il s’agit d’un nouveau cas de détention provisoire, hors phase d’instruction. D’après les travaux parlementaires, il n’en est rien : la comparution devant le juge des libertés viserait implicitement le cas où le procureur déciderait de recourir à une comparution à délai différé après que le dossier lui a été renvoyé (Sénat, amendement n° 219, 5 juin 2023). C’est donc seulement dans les conditions de l’article 397-1-1 du code de procédure pénale que le juge des libertés peut être saisi pour statuer sur la détention du prévenu après que le dossier a été renvoyé au procureur, hors ouverture d’une information judiciaire.
Outre les modes de comparution rapide, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) a aussi été réformée. Présentée comme une forme de transaction, la CRPC n’est cependant pas parfaite par l’accord entre le procureur et le mis en cause, car le président ne l’homologue pas toujours. Tel est le cas lorsque le mis en cause rétracte sa reconnaissance des faits, ou lorsque le magistrat estime que la peine n’est pas adaptée (C. pr. pén., art. 495-11), que les circonstances justifient la tenue d’une audience correctionnelle ou qu’un éclairage nouveau sur les faits a été apporté (C. pr. pén., art. 495-11-1). Avant la loi du 20 novembre 2023, les options du procureur étaient limitées en cas « d’échec CRPC » : il devait saisir le tribunal correctionnel ou requérir l’ouverture d’une information judiciaire, sauf élément nouveau. La jurisprudence veillait au respect en ce texte, en interdisant la mise en œuvre d’une autre CRPC fondée sur une nouvelle proposition de peine (Crim. 17 mai 2022, n° 21-86.131, Dalloz actualité, 8 juin 2022, obs. M. Slimani ; D. 2022. 995
; AJ pénal 2022. 438, obs. G. Roussel
; RSC 2022. 642, obs. P.-J. Delage
). Dorénavant, une seconde chance est octroyée au procureur, sans qu’il ait à justifier d’un changement de circonstances ou de quantum, mais toujours sous réserve de l’acceptation de la peine par le mis en cause (C. pr. pén., art. 495-12).
Renforcer l’indemnisation des victimes
La loi du 20 novembre 2023 comporte une section dédiée aux dispositions améliorant l’indemnisation des victimes. Pour l’essentiel, la loi prévoit un assouplissement des conditions pour recevoir une indemnisation par la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI). Premièrement, l’article 706-3 du code de procédure pénale a été modifié pour étendre l’indemnisation totale du préjudice sans condition de ressources aux victimes de violences intrafamiliales habituelles ou ayant entraîné plus de huit jours d’incapacité totale de travail (ITT). L’indemnisation sera toutefois plafonnée si les violences ont entraîné moins d’un mois d’ITT, dans des proportions qui doivent être définies par voie réglementaire. Si la victime est mineure, la loi nouvelle dispose que le délai de forclusion pour demander l’indemnité ne court qu’à compter de sa majorité (C. pr. pén., art. 706-5). Dans l’hypothèse où l’une des infractions visées à l’article 706-3 serait commise et jugée à l’étranger, la victime de nationalité française pourra obtenir du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions une aide financière au titre des frais de voyage, de l’indemnité de comparution et de l’indemnité journalière de séjour (C. pr. pén., art. 706-14-2). Il en va de même pour les victimes d’actes de terrorismes commis à l’étranger.
Pour ce qui est de l’indemnisation des atteintes aux biens sous conditions de ressources, le domaine des infractions entrant dans le champ d’application de l’article 706-14 a été étendu : le chantage, l’abus de faiblesse et l’atteinte aux systèmes de traitement des données y ont été ajoutés. En outre, un nouvel article 706-14-3 prévoit une indemnisation sans condition de ressources en cas de violation de domicile, mais seulement si la victime se retrouve dans une situation matérielle grave. Le cas échéant, l’indemnité sera plafonnée à un montant qui doit être défini par voie réglementaire.
Hors les demandes d’indemnisation devant la CIVI, la loi du 20 novembre étend l’habilitation des associations se proposant de combattre le racisme ou d’assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse à exercer les droits reconnus à la partie civile. Leur action est désormais recevable en cas de destructions ou dégradations de monuments ou de violations de sépultures, lorsqu’elles ont été commises avec la circonstance aggravante prévue à l’article 132-76 du code pénal (C. pr. pén., art. 2-1).
Juridictions spéciales et contentieux spéciaux
En procédure pénale, comme dans l’ensemble des branches du droit, on distingue le droit commun du droit spécial. Le premier constitue un socle commun, tandis que le second affine les règles pour qu’elles soient adaptées à un contentieux lui-même plus précisément défini. Depuis plusieurs années, la spécialisation de la procédure pénale va en s’accroissant, ce qui entraîne des réformes qui portent parfois sur des points de plus en plus techniques. Plutôt que d’en faire une présentation globale, ces aspects de la réforme seront repris juridiction par juridiction.
- Cours d’assises
En plus de l’article 3 de la loi du 20 novembre 2023 qui élargit les cas dans lesquels un arrêt de cour d’assises vaut titre de détention à l’encontre de l’accusé (C. pr. pén., art. 367, al. 2 ; v. T. Scherer, préc.), plusieurs dispositions relatives aux juridictions criminelles sont modifiées. Tout d’abord, les nombres de jurés tirés au sort pour figurer sur la liste de session sont augmentés. Ces nombres sont en principe de trente-cinq jurés titulaires et dix jurés suppléants, mais ils passent à quarante-cinq et quinze pour la Cour d’assises de Paris ainsi que pour des cours d’assises qui seront désignées par arrêté. Par ailleurs, en dehors de ces juridictions, tout premier président de cour d’appel peut porter les nombres de jurés à quarante-cinq et quinze s’il estime qu’un nombre important d’entre eux risquent de ne pas répondre à la convocation ou d’être dispensés (C. pr. pén., art. 266).
L’article 15 de la loi du 20 novembre 2023 vise quant à lui la situation de l’accusé détenu en cas de renvoi. Dans cette hypothèse, la cour d’assises doit statuer sur le maintien de la détention (Crim. 15 mars 2011, n° 10-90.126). Sur la durée de ce maintien en détention, le délai d’un an prévu par l’article 181, alinéa 8, ne vaut pas si un renvoi est ordonné (Crim. 27 mars 2018, n° 18-80.123, Dalloz actualité, 16 avr. 2018, obs. D. Goetz ; AJ pénal 2018. 316, obs. J.-B. Perrier
). Toutefois, selon l’article 343 du code de procédure pénale, la date de renvoi doit être à la prochaine session d’assises, ce qui est censé limiter la durée de la détention. Malgré cela, un nouvel alinéa a été ajouté à cet article, pour indiquer que « l’audience de renvoi doit être fixée dans les plus brefs délais, sans préjudice de la possibilité pour l’accusé de demander, à tout moment, sa remise en liberté ». Sans plus de précisions, cet ajout semble n’être qu’une redondance, car il n’est pas possible d’envisager un plus bref délai que celui du renvoi à une prochaine session. Pour le comprendre, il faut prendre en compte le fait que l’amendement qui portait cette proposition (Assemblée nationale, amendement n° 845, 29 juin 2023) a été soutenu alors qu’une QPC relative à l’article 343 était pendante. C’est donc par anticipation qu’il a été estimé utile de faire une référence au délai raisonnable dans cet article. Depuis lors, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision : l’article 343 est conforme à la Constitution, sous réserve que l’autorité judiciaire fasse droit à la demande de mise en liberté lorsque la durée totale de la détention excède un délai raisonnable (Cons. const. 7 juill. 2023, n° 2023-1056 QPC, Dalloz actualité, 12 juill. 2023, obs. D. Goetz). Le nouvel alinéa de l’article 343 s’articule donc bien avec cette décision, mais ne sera sans doute pas très utile. Il pourra peut-être servir à mettre fin à la pratique qui consiste à renvoyer l’affaire à la prochaine session « utile » plutôt qu’à la session suivante (H. Angevin, J.-Cl. Pr. pén., art. 323 à 346, fasc. n° 20, 2008, n° 87).
- Cour de cassation
La loi du 20 novembre 2023 modifie l’article 602 du code de procédure pénale et crée un article 602-1 afin de permettre une instruction plus approfondie des affaires soumises à la chambre criminelle et de pouvoir recourir à la procédure d’avis à une autre chambre. Ce faisant, la réforme ne fait qu’aligner les prérogatives de la chambre criminelle sur celles des chambres civiles (C. pr. civ., art. 1013 et 1015-1). Le décalage entre les deux codes s’expliquait par la nature réglementaire de celui de procédure civile, alors que la procédure pénale relève du domaine de la loi.
Au-delà des règles de procédure interne, un autre aspect de la réforme est plus susceptible d’intéresser les avocats. Le délai de droit commun pour le pourvoi en cassation en matière pénale, qui est actuellement de cinq jours francs, passera à dix jours francs le 30 septembre 2024 (C. pr. pén., futur art. 568).
- Contentieux spéciaux
En matière de criminalité et délinquance organisées, un nouvel article 706-92-2 a été créé. Pour le comprendre, il faut le resituer dans le code de procédure pénale. Cet article s’inscrit dans le chapitre relatif à la compétence des juridictions spécialisées en matière de criminalité et délinquance organisées, les JIRS. Pour les affaires d’une grande complexité, des juridictions disposent d’une compétence territoriale dérogatoire qui s’étend sur le ressort de plusieurs cours d’appel et qui est concurrente à la compétence de la juridiction que les règles de droit commun désignent (C. pr. pén., art. 706-75). Ainsi, le Tribunal judiciaire de Paris est aussi compétent dans ce cas pour l’enquête, l’instruction et la poursuite des infractions commises dans le ressort de Mamoudzou, Nouméa, Papeete, Saint-Denis de La Réunion et Saint-Pierre-et-Miquelon, tandis que le Tribunal judiciaire de Fort-de-France a la même compétence pour les faits commis à Basse-Terre et Cayenne (C. pr. pén., art. D. 47-13).
La loi nouvelle porte justement sur ces juridictions spécialisées qui exercent leur compétence dans des ressorts outre-mer. Elle prévoit que les interrogatoires de première comparution et les débats relatifs au placement en détention provisoire puissent être réalisés par voie de télécommunication audiovisuelle lorsque la personne à entendre se trouve en outre-mer, en dehors du ressort de la cour d’appel où siège la juridiction spécialisée (C. pr. pén., futur art. 706-79-2). Le texte précise qu’une nouvelle audition du mis en examen, sans recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle, doit être réalisée dans un délai de quatre mois.
En outre, le Conseil constitutionnel, affirmant l’importance de la présentation physique de la personne devant le magistrat, a posé deux réserves d’interprétation : le recours à ce moyen de communication ne doit avoir lieu que si l’impossibilité de présenter physiquement la personne devant la juridiction spécialisée est dûment caractérisée et à condition que soient assurées la qualité, la confidentialité et la sécurité des échanges (Cons. const. 16 nov. 2023, n° 2023-855 DC, consid. 78 s. ; AJDA 2023. 2144
).
En matière de terrorisme, le législateur a adopté une disposition pour protéger les interprètes lorsqu’ils assistent la victime, la partie civile, le mis en cause ou qu’ils traduisent des correspondances émises par la voie des communications électroniques. Elle résulte d’un amendement défendu par le gouvernement, destiné à pallier les difficultés que rencontrent les services de police judiciaire pour mobiliser des interprètes (Sénat, amendement n° 266, 5 juin 2023). Ceux-ci pourront demander à ce que leur nom et prénom ne figurent pas dans les actes des procédures dans lesquelles ils interviennent lorsque la révélation de leur identité est susceptible de mettre en danger leur vie ou leur intégrité physique ou celle de leurs proches (C. pr. pén., futur art. 706-24-2). Dans ce cas, l’interprète sera identifié par un numéro anonymisé. Pour recourir à cette anonymisation, il faudra obtenir une autorisation nominative du procureur général près la Cour d’appel de Paris. Par la suite, l’identité de cet interprète ne pourra être communiquée que sur décision de ce magistrat, ou communiquée au président de la juridiction de jugement saisie des faits. Cette disposition n’entrera en vigueur que le 30 septembre 2024 et doit aussi être précisée par un décret en Conseil d’État.
Toujours en matière d’assistance par un interprète, mais cette fois-ci hors du cadre des infractions terroristes, il est prévu que les frais d’interprétariat engagés pour une audience à laquelle le mis en cause n’a pas comparu puissent être mis à sa charge (C. pr. pén., futur art. 800-1, al. 4).
En matière de crimes contre l’humanité et crimes de guerre, l’article 689-11 du code de procédure pénale, relatif à la compétence universelle, a été modifié. Il s’agit d’une réaction parlementaire aux débats consécutifs à l’arrêt du 24 novembre 2021 (Crim. 24 nov. 2021, n° 21-81.344, Dalloz actualité, 6 déc. 2021, obs. M. Dominati ; D. 2022. 148
; ibid. 144, avis R. Salomon
; ibid. 150, note G. Poissonnier
; AJ pénal 2022. 80, note K. Mariat
; RSC 2022. 41, obs. P. Beauvais
; ibid. 51, obs. Y. Mayaud
) par lequel la chambre criminelle avait estimé que des crimes contre l’humanité commis en Syrie ne pouvaient pas être jugés en France faute de double incrimination. Par la suite, l’Assemblée plénière a assoupli cette condition, en indiquant qu’il n’était pas nécessaire que la qualification pénale des faits soit identique dans les deux législations (Cass., ass. plén., 12 mai 2023, n° 22-80.057 et n° 22-82.468, Dalloz actualité, 26 mai 2023, obs. N. Coutrot-Cieslinski et F. Candar ; D. 2023. 1828
, note G. Poissonnier
; ibid. 2102, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, J.-P. Laborde et S. Mirabail
; AJ pénal 2023. 277, note K. Mariat
; RSC 2023. 553, obs. Y. Mayaud
). Dans un premier temps, la loi devait consacrer cette jurisprudence (Sénat, amendement n° 117, 5 juin 2023), mais l’Assemblée nationale a décidé d’aller plus loin (Ass. nat., amendements nos 580, 681 et 848, 29 juin 2023). Désormais, la condition de double incrimination n’est plus exigée (C. pr. pén., art 689-11). En outre, un alinéa a été ajouté pour définir le critère de résidence habituelle, en reprenant les conditions dégagées par la jurisprudence (Cass., ass. plén., 12 mai 2023, n° 22-82.468, préc.) : la résidence habituelle se définit par un lien de rattachement suffisant avec la France, apprécié notamment au regard de la durée actuelle ou prévisible de présence de l’intéressé sur le territoire français, des conditions et des raisons de cette présence, de la volonté manifestée par l’intéressé de s’y installer ou de s’y maintenir ou de ses liens familiaux, sociaux, matériels ou professionnels.
En matière de crimes sériels ou non élucidés, plusieurs dispositions tendent à renforcer l’efficacité des procédures diligentées par le récent pôle spécialisé de Nanterre. Tout d’abord, sa compétence sera étendue aux infractions commises à l’étranger tant que les conditions de l’article 706-106-1 sont remplies. Elle sera également élargie aux crimes connexes, alors que jusqu’à présent, seuls les délits connexes étaient visés (C. pr. pén., futur art. 706-106-1). Si jamais un autre juge d’instruction que ceux du pôle spécialisé de Nanterre est saisi, les parties ont la possibilité de solliciter le procureur de la République pour qu’il requière le dessaisissement du juge d’instruction au profit de la juridiction spécialisée. La loi nouvelle formalise cette demande, en imposant au procureur de la République une réponse à leur demande dans un délai de trois mois. À défaut, les parties auront la possibilité de former un recours auprès du procureur général (C. pr. pén., futur art. 706-106-3, al. 3).
Au Sénat, un amendement a été adopté pour assurer la préservation des scellés dans le cadre des crimes sériels ou non élucidés (Sénat, amendement n° 24 rect., 6 juin 2023). Il ajoute l’alinéa suivant à l’article 41-1 du code de procédure pénale : « Par dérogation au premier alinéa, dans le cadre d’affaires criminelles non résolues […] la destruction des scellés est interdite jusqu’à l’expiration d’un délai de dix ans révolus à compter de l’acquisition de la prescription de l’action publique ». Le texte comporte une malfaçon. En effet, le premier alinéa de l’article 41-1 est relatif à la restitution ; c’est l’article 41-5 qui régit la destruction des scellés. Par ailleurs, il semble difficile de mettre en œuvre concrètement cette norme : la prescription de l’action publique est difficile à apprécier tant qu’un jugement qui la constate n’a pas été rendu. Surtout, on se demande si le législateur est vraiment dans son rôle ici. La gestion des scellés est avant tout une question d’organisation interne, largement régie par circulaire (v. Circ. 13 déc. 2011 relative à la gestion des scellés, n° JUSB1134112C). À cet égard, une dépêche du 16 mars 2011 prévoit déjà une conservation plus longue des scellés lorsque la réouverture d’une enquête ou une information ou la perspective d’une demande de révision ou de réexamen ne peut être exclue (cette dépêche n’est pas publique, mais son contenu est évoqué dans Rép. min. n° 12574, JOAN, 26 févr. 2013).
Bilan d’étape (amendé)
En conclusion du précédent article (v. T. Scherer, préc.), la loi du 20 novembre 2023 a été décrite dans son volet pénal comme étant chaotique et donnant une impression de fouillis. La sévérité de ces propos doit être nuancée. Lorsque l’on étudie les dispositions relatives au jugement, on retrouve à nouveau un grand nombre d’articles adoptés par voie d’amendement et de dispositions transitoires discutables. Mais à force, on perçoit la ratio legis fondamentale du texte : maintenir à flot la justice pénale. À la lecture des exposés des motifs, on a l’impression d’un législateur pris en tenaille entre les exigences de la jurisprudence et les impérieuses nécessités exprimées par le terrain. Ce sont des flots tumultueux, et le navire qu’il pilote ne se manœuvre pas facilement. Chaque année, plus de quatre millions d’affaires sont transmises aux procureurs de la République (Ministère de la Justice, Références statistiques Justice, 2022, p. 93) ; chacune d’entre elles est susceptible d’entrer dans le cadre d’un contentieux spécifique, avec des règles procédurales propres. Or, si l’importante segmentation de la procédure pénale permet d’apporter une réponse adéquate à une difficulté particulière, elle complique en revanche la réforme de la matière, qui apparaît de plus en plus dispersée.
© Lefebvre Dalloz