Loi Narco : l’Assemblée remanie son propre texte
Après des débats hachés, l’Assemblée a fini l’étude des amendements sur la loi narcotrafic jeudi soir. Plusieurs dispositifs qui avaient été supprimés en commission ont été rétablis en séance (dossier coffre, activation à distance) quand d’autres ont été remaniés.
Depuis la dissolution, à l’Assemblée, les débats de commission ne préjugent pas de ceux de l’hémicycle. Plusieurs dispositifs qui avaient été supprimés par les commissaires ont ainsi été rétablis en séance. Le texte devrait être adopté mardi en scrutin solennel à une large majorité, avant que la commission mixte paritaire ne soit chargée d’établir un compromis d’ici fin avril.
Le dossier coffre rétabli
Deux articles importants ont été abandonnés : l’obligation pour les opérateurs de messagerie d’introduire des backdoors pour les services de renseignement (art. 8 ter) et la création d’un plaider-coupable criminel. Le garde des Sceaux a indiqué qu’une telle procédure pourrait trouver sa place dans un futur projet de loi sur l’accélération des audiences, afin de répondre à l’embolie actuelle. Le mécanisme de gel des avoirs des personnes soupçonnées de trafic a également été supprimé (art. 5).
Toutefois, d’autres articles ont été rétablis après avoir été supprimés en commission. C’est le cas pour le dossier coffre (art. 16). Le dossier distinct a toutefois été limité « aux cas de nature à mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne ». La chambre de l’instruction sera saisie des recours contestant le principe même de ce dossier distinct, mais aussi le versement des éléments recueillis grâce à la technique spéciale d’enquête.
Les articles 15 ter et 15 quater permettant l’activation à distance d’un appareil électronique fixe ou mobile aux fins de captation de l’image et du son ont été rétablis en séance. Tout comme l’article 11 sur la garde à vue prolongée des mules, qui pourra durer jusqu’à 120 heures. Les députés ont également réintroduit les peines complémentaires d’interdiction de vol et d’interdiction de paraître dans certains aéroports et ports. Autre disposition rétablie : la possibilité de lier la destruction de preuves en mer et les infractions liées au narcotrafic.
Modifications pour les « coopérateurs de justice »
La création du nouveau Parquet national a été avalisée par les députés. Comme le recommandait la mission de préfiguration, sa compétence a été élargie à plusieurs infractions dont le blanchiment. L’article 13 prévoit la spécialisation des juridictions de jugement et de l’application des peines en matière de criminalité organisée, y compris pour les mineurs.
L’article 14 sur les « coopérateurs de justice » a été modifié. L’idée est de développer le programme des repentis : il y a une quarantaine de personnes protégées en France contre plus de 1 000 en Italie. Les conditions pour devenir coopérateur seront de faire cesser la réalisation de l’infraction, d’en limiter les dommages ou d’identifier les autres auteurs. Des critères alternatifs, et non cumulatifs. Le magistrat compétent pourra octroyer le statut même si la commission dédiée a rendu un avis défavorable. Si les députés ont supprimé la possibilité d’accorder une immunité complète de poursuites, la peine pourra être allégée des deux tiers. La juridiction ne pourra écarter la réduction ou l’exemption qu’en cas de nouvelle infraction ou de déclaration incomplète ou mensongère.
Les mesures prévues pour les témoins protégés vont s’étendre aux victimes (art. 14 bis). Les députés ont également prévu des dispositifs d’anonymisation pour les interprètes, agents pénitentiaires et travailleurs sociaux.
Sur les infiltrations, les députés ont supprimé la disposition qui autorisait les « infiltrations civiles », soit le recours à des personnes non-membres des forces de l’ordre. Ils ont aussi précisé la notion d’incitation à l’infraction, en la limitant aux actes « ayant déterminé » la commission d’infraction (art. 17 bis A). L’Assemblée a validé l’extension des perquisitions de nuit aux infractions de corruption publique (art. 22 bis) et en matière douanière (art. 21 ter).
Un nouveau délit « d’appartenance à une organisation criminelle »
L’article 9 criminalise l’infraction de participation à une association de malfaiteurs lorsqu’elle est destinée à préparer un crime passible de perpétuité ou commis en bande organisée. Il crée aussi une infraction d’appartenance à une organisation criminelle. Il s’agira d’une association de malfaiteurs préparant une ou des infractions relevant du champ de la criminalité organisée. D’autres infractions sont instaurées, comme l’apologie d’une organisation criminelle ou le fait de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie, tout en étant en relation habituelle avec une organisation criminelle.
Les députés ont également créé des circonstances aggravantes lorsqu’une infraction liée au trafic de stupéfiants est commise en possession d’une arme. Le recours à des mineurs ou à des personnes vulnérables sera aussi une circonstance spécifique.
Nullités et mise en liberté
Sur les nullités, le Sénat avait profondément réécrit l’article 20. Toutefois, le dernier mémoire déposé par une partie devra récapituler l’ensemble des moyens pris de nullité de la procédure, et il devra être déposé au moins cinq jours ouvrables avant l’audience. L’Assemblée a autorisé la notification orale de la nouvelle date lorsque la chambre de l’instruction décide du renvoi.
Sur les demandes de mise en liberté, l’Assemblée a supprimé plusieurs dispositions de l’article 23 comme l’irrecevabilité d’une demande formée alors qu’il n’a pas été statué sur une précédente demande ou la possibilité de refuser pendant huit heures une mise en liberté d’office.
Validation des nouveaux quartiers pénitentiaires
L’Assemblée a validé, tout en les réformant, les nouveaux quartiers pénitentiaires de lutte contre la criminalité organisée (art. 23 quinquies). Pour suivre l’avis du Conseil d’État, y seront placés, pour deux ans renouvelables, les détenus qui poursuivent des liens avec les réseaux de la criminalité organisée. Les dispositions de séparation aux parloirs ne s’appliqueront pas aux mineurs de moins de seize ans ni aux échanges avec les avocats.
À l’article 23, les députés ont instauré le principe du recours à la visioconférence durant toute la phase de l’information judiciaire et pour les audiences sur la détention provisoire, dès lors que comparait une personne détenue affectée au sein d’un tel quartier. La juridiction pourra y déroger par une décision motivée.
Le fait pour un détenu de communiquer avec une personne se trouvant à l’extérieur de l’établissement sera pénalisé. Enfin, l’article 10 bis limitera la confusion des peines en matière de criminalité organisée, lorsque l’infraction a été commise en détention.
Texte résultant des délibérations de l’Assemblée nationale, 28 mars 2025
© Lefebvre Dalloz