Loi Sapin et avantage sans contrepartie
La conservation par une agence publicitaire, obligatoirement liée par un contrat de mandat avec un annonceur en application de la loi Sapin, des remises obtenues auprès d’un vendeur d’espace ne constitue pas un avantage sans contrepartie (mais elle aurait constitué une violation du mandat et de la loi Sapin si l’annonceur avait agi sur ce fondement).
L’espèce soumise à la Cour de Paris mettait en jeu la pratique restrictive d’obtention d’un avantage sans contrepartie dans le contexte spécifique de la vente d’espaces publicitaires faisant l’objet d’une autre réglementation économique spécifique, la loi Sapin (Loi n° 93-122 du 29 janv. 1993, JO 30 janv.). Aux termes de l’article 20 de ce dernier texte, les agences qui sont chargées d’acheter des espaces publicitaires pour des annonceurs ne peuvent le faire qu’en qualité de mandataire et ne peuvent recevoir de rémunération que de cet annonceur. En l’occurrence, un annonceur reprochait à son agence d’avoir conservé, et donc détourné, des remises consenties par un vendeur d’espace publicitaire pour des achats de l’annonceur. L’annonceur avait choisi de fonder son action sur les termes de l’article L. 442-6, I, 1°, du code de commerce (devenu l’art. L. 442-1, I, 1°) en considérant que ces commissions détournées constituaient un avantage au profit de l’agence se correspondant à aucun service commercial effectivement rendu.
Tout en constatant les détournements résultant d’un comportement fautif de l’agence, la cour déboute l’annonceur. Elle considère en effet qu’il ne peut s’agir d’un « avantage » au sens de la pratique restrictive d’obtention d’un avantage sans contrepartie fondant la demande.
La motivation elliptique peut surprendre de prime abord. Le fait de s’approprier indûment une remise qui devait revenir à l’annonceur pourrait en effet passer pour un « avantage » dont la terminologie large – et certes approximative – paraît vouloir englober toute forme de valeur économique. On aurait donc pu imaginer que, comme une remise sans contrepartie de la part d’un acheteur, la non-restitution d’une remise obtenue par celui qui était chargé d’un achat a la nature d’un avantage. Dès lors qu’il n’était pas discuté qu’aucun service ne lui correspondait, l’application de l’article L. 442-6, I, 1°, aurait pu se poser.
En retenant qu’il s’agit d’un « détournement […] fautif […] accompli à l’insu » de l’annonceur et non d’un avantage obtenu de son co-contractant, la cour veut manifestement rappeler que la pratique restrictive en cause est destinée à restaurer l’équilibre commutatif dans la négociation explicite entre deux partenaires à une transaction économique et non à réparer des pratiques occultes qui ne sont pas liées à des abus du rapport de force de cette négociation. Dès lors, des sommes qui ne parviennent pas jusqu’à leur destinataire, même si elles étaient censées lui revenir, ne peuvent constituer un avantage sans contrepartie. Comme le suggère la cour, la demande de restitution des remises conservées par l’agence aurait dû être formée sur le fondement de l’article 20 de la loi Sapin.
Pour autant, la cour ne considère pas que les relations de mandat entre un annonceur et son agence chargée d’acheter des espaces publicitaires en son nom et pour son compte seraient par nature exclues du champ d’application des pratiques restrictives. Or, il n’est pas évident que ces relations aient une nature économique au sens où elles ne constitueraient une activité de production, de distribution ou de service soumises au Livre IV du code de commerce (C. com., art. L. 410-1). Sauf à ce qu’il assume notamment des risques économiques propres et dispose d’une autonomie suffisante, un mandataire n’agit pas comme un opérateur économique indépendant (CJCE 14 déc. 2006, aff. C-217/05, D. 2007. 1911, obs. D. Ferrier
; Rev. UE 2015. 362, étude J.-P. Kovar
). Ce qui est le cas des mandataires sociaux (Cons. conc. 31 juill. 2008, n° 08-D-19) comme des agents commerciaux (dans la plupart des cas ; Lignes directrices sur les accords verticaux, pt 30).
Paris, 17 mai 2024, n° 22/04961
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