Loi sur la justice des mineurs : le Conseil constitutionnel a eu le dernier mot
Après un parcours législatif chaotique et une censure de ses dispositions principales, la loi n° 2025-568 du 23 juin 2025 visant à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents a finalement été publiée au Journal officiel du 24 juin 2025.
La loi sur la justice pénale des mineurs a finalement été publiée le 24 juin 2025 après un parcours législatif chaotique et contesté (P. Januel, Le texte sur la justice des mineurs termine son périple, Dalloz actualité, 14 mai 2025). Portée par Gabriel Attal et souhaitant insuffler un tournant répressif assumé, la proposition de loi initiale avait été vivement contestée par les professionnels du droit et avait cristallisé les oppositions politiques.
À l’Assemblée comme au Sénat, les articles phares avaient ainsi été supprimés en commission puis rétablis en séance. À la suite de la réunion d’une commission mixte paritaire ayant vocation à faciliter le compromis, l’essentiel du texte initial avait finalement été sauvegardé et le texte définitif avait été adopté le 19 mai 2025.
Pour autant, le bras de fer s’est poursuivi et le Conseil constitutionnel a été saisi, sur le fondement du second alinéa de l’article 61 de la Constitution, par des députés et sénateurs de gauche. C’est dans ces conditions que les Sages de la rue de Montpensier ont finalement rendu, le 19 juin 2025, leur décision et censuré les dispositions les plus décriées de la loi qui leur était soumise (Cons. const. 19 juin 2025, n° 2025-886 DC).
C’est donc une loi amputée de ses mesures les plus symboliques qui demeure et dont seules subsistent les dispositions visant à responsabiliser les représentants légaux des mineurs délinquants, ainsi que quelques mesures ayant vocation à renforcer l’arsenal répressif déjà existant.
Une censure des mesures les plus répressives
Alors que les panégyristes de la loi Attal brandissaient la nécessité d’une réforme répressive de la justice des mineurs qu’ils jugeaient trop laxistes, le Conseil constitutionnel a finalement censuré ses mesures les plus polémiques. Dans une décision attendue, les Sages ont d’abord rappelé les termes du principe fondamental reconnu par les lois de la République d’adaptation de la réponse pénale à la situation particulière des mineurs (Cons. const. 29 août 2002, n° 2002-461 DC, Ayrault, D. 2003. 1127
, obs. L. Domingo et S. Nicot
; AJDI 2002. 708
; RSC 2003. 606, obs. V. Bück
; ibid. 612, obs. V. Bück
). Il découle de ce principe que les mesures prises à l’encontre des enfants délinquants doivent, d’une part, rechercher en priorité leur relèvement éducatif et moral, d’autre part, être adaptées à leur âge et à leur personnalité et, enfin, être prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures adaptées (Cons. const. 19 juin 2025, n° 2025-886 DC, préc., communiqué de presse). C’est à la lumière de ce principe fondamental reconnu par les lois de la République que six des huit articles, dont la constitutionnalité était (tout ou en partie) contestée, ont été censurés.
L’abandon de la procédure de comparution immédiate
Parmi ces articles figurent ceux portant les mesures les plus décriées, telles que la création d’une procédure de comparution immédiate pour les mineurs (art. 4), l’extension de la possibilité de déroger au principe d’atténuation des peines (art. 7) et l’allongement de la détention provisoire pour certains délits (art. 6). S’agissant de la procédure dite « d’audience unique en comparution immédiate », le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées ne réservent pas cette procédure « à des infractions graves ou à des cas exceptionnels » ni ne subordonnent « la décision du procureur de recourir à cette procédure à la condition que les charges réunies soient suffisantes et que l’affaire soit en l’état d’être jugée », comme l’exige l’article 395 du code de procédure pénale pour les majeurs. Si cette censure est bienvenue, tant la mise en œuvre d’une procédure de comparution immédiate pour les mineurs était contestée (S. Debarre et C. Tenenhaus, Comparution immédiate : fallait-il vraiment rendre applicable aux mineurs ce que le droit pénal des majeurs connaît de pire ?, AJ pénal 2025. 219
; L. Heinich, Et si on maltraitait les mineurs comme les adultes ?, Le Monde, 19 févr. 2025 ; J.-P. Rosencveig, président du Tribunal pour enfants de Bobigny, La proposition de loi Attal sur la délinquance des mineurs : de vaines promesses, Le Monde, 17 févr. 2025), le critère lié à la gravité des infractions interroge : la comparution immédiate, par son caractère expéditif, paraît peu appropriée au jugement de telles infractions. Faut-il par ailleurs comprendre que sous réserve de se conformer davantage aux critères de l’article 395 du code de procédure pénale, la solution aurait pu être différente ? Il est à espérer que non.
Le maintien du principe d’atténuation des peines
Les dispositions relatives au principe d’atténuation des peines ne résistent pas davantage au contrôle des Sages. Et, pour cause, l’article 7 de la loi supprimait, s’agissant des mineurs de seize ans, le caractère exceptionnel de l’exclusion du principe d’atténuation des peines. Il prévoyait, en outre, l’exclusion de ce principe pour les crimes ou les délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement commis en état de récidive légale. La règle d’atténuation des peines était donc inversée dans ce dernier cas, son bénéfice devenant l’exception et son exclusion le principe. Le Conseil constitutionnel relève que ces dispositions qui « conduisent à exclure, du seul fait de l’état de récidive légale, l’application des règles d’atténuation des peines pour un grand nombre d’infractions commises par des mineurs de plus de seize ans (…) méconnaissent les exigences constitutionnelles ». Cette censure était là aussi attendue, tant le principe d’atténuation des peines est cardinal et s’explique par le fait que l’on ne peut juger un enfant comme un adulte (J.-P. Rosencveig, art. préc.).
La volonté de responsabiliser les représentants légaux confirmée
La loi du 23 juin 2025 insuffle l’idée que les représentants légaux des mineurs délinquants ont un rôle dans les agissements de leurs enfants et poursuit l’objectif affiché d’une responsabilisation accrue des parents. Cette responsabilisation est marquée tant en matière pénale que civile.
L’aggravation du délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales
Au pénal, la loi vient modifier l’article 227-17 du code pénal afin d’ajouter une circonstance aggravante au délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales. Désormais, ledit article 227-17 prévoit que lorsque « cette soustraction a directement conduit à la commission, par le mineur, d’au moins un crime ou de plusieurs délits ayant donné lieu à une condamnation définitive, elle est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende ». Les députés et sénateurs ayant saisi le Conseil constitutionnel soutenaient que cet ajout, en permettant de punir le représentant légal d’un mineur à raison d’une infraction commise par ce dernier, méconnaissait le principe de responsabilité du fait personnel en matière pénale protégé par les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les députés auteurs de la première saisine ajoutaient que la disposition critiquée ne déterminait par ailleurs pas l’élément intentionnel permettant de caractériser l’infraction à l’encontre du parent défaillant.
Ces arguments n’ont pas entraîné la conviction des Sages qui ont rappelé que, s’agissant de l’élément intentionnel, il s’apprécie au stade de la caractérisation de l’infraction de soustraction d’un parent à ses obligations légales et que, pour que la circonstance aggravante ajoutée soit retenue, encore faut-il que les éléments constitutifs du délit auquel elle se rattache soient caractérisés. Ils ajoutent que la possibilité de punir plus sévèrement un parent lorsque son comportement a directement conduit à la commission d’infractions par son enfant mineur n’a pas pour effet de le rendre personnellement responsable des infractions commises par ce dernier. La mise en œuvre pratique de cette circonstance aggravante interroge toutefois. En effet, comme le soulignait une partie de la doctrine (E. Gallardo, Proposition de loi Attal restaurer l’autorité de la Justice ?, AJ pénal 2025. 216
; P. Rousseau, La responsabilité pénale des parents de mineurs délinquants ou criminels, Dalloz actualité, 29 juin 2021) ainsi que le rapport n° 463 de la Commission des lois du Sénat, la caractérisation du lien direct entre la défaillance d’un parent et l’infraction commise par son enfant sera particulièrement difficile à caractériser.
Il est donc à craindre que cette nouvelle circonstance aggravante demeure un outil inusité, l’infraction prévue par l’article 227-17 du code pénal n’ayant elle-même conduit qu’à 212 condamnations en 2023 (Rapp. n° 463 de la Commission des lois du Sénat, p. 22). Cela est d’autant plus vrai qu’il faudra attendre que la condamnation de l’enfant devienne définitive pour poursuivre le parent défaillant. Il en sera sûrement de même de la disposition de l’article 3 de la loi qui permet à l’assureur de se retourner, dans la limite de 7 500 €, contre le parent qui a contribué, par sa carencé éducative, à la commission du crime ou des délits pour lesquels le mineur a été définitivement condamné.
La création d’une amende civile au sein de l’article 375-1 du code civil
Pendant de cette responsabilisation pénale accrue, la loi tend également à responsabiliser les parents au civil. Afin de renforcer les prérogatives du juge des enfants en matière d’assistance éducative, l’article 375-1 du code civil est modifié afin de permettre à ce dernier de condamner à une amende civile les parents qui « sans motif légitime » ne déféreraient pas à ses convocations. Apparaît ici une amorce ambigüe d’alignement entre les dispositions applicables en matière civile et en matière pénale. En effet, au pénal, l’article L. 311-5 du code de la justice pénale des mineurs prévoit, outre la possibilité pour le magistrat d’ordonner la présentation de force du représentant légal, celle d’une amende (dont le montant passe de 3 500 € à 7 500 €) dans l’hypothèse où ce dernier ne défèrerait pas à une convocation.
L’opportunité d’un tel rapprochement questionne dans la mesure où la place des représentants légaux dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative, procédure qui relève d’une logique d’adhésion, est singulièrement différente de celle qu’ils occupent dans le cadre d’une procédure pénale concernant leur enfant. Il est en outre à craindre, là aussi, que ces ajouts législatifs soient peu usités. En effet, entre 2015 et 2022 au pénal, seules trente-deux amendes, soit quatre par an, ont été prononcées à l’encontre de parents refusant de déférer aux convocations du juge des enfants (Rapp. préc., p. 36).
Un renforcement de l’arsenal répressif malgré tout
L’ARSE désormais applicable sous certaines conditions aux mineurs d’au moins treize ans
Enfin, et malgré une large censure des dispositions répressives contenues dans la loi, quelques mesures viennent renforcer l’arsenal répressif déjà en place. Il en est ainsi de l’article 6 qui prévoit, d’une part, que la décision de placement d’un mineur peut se poursuivre après sa majorité lorsqu’elle a été prononcée dans le cadre de certaines infractions à caractère terroriste et, d’autre part, permet sous certaines conditions l’assignation du mineur âgé d’au moins treize ans à résidence avec surveillance électronique (ARSE). La mise en place de l’ARSE pour les mineurs de treize ans avait déjà été envisagée et censurée par une décision du Conseil constitutionnel (Cons. const. 4 août 2011, n° 2011-735 DC). La pratique permettra d’apprécier si le recours à cette mesure pour les mineurs les plus jeunes est opportune, tant même chez les majeurs elle est souvent difficile à respecter.
Le renforcement du contrôle des mesures éducatives judiciaires provisoires
L’article 11 permet au juge des enfants informé de la violation, par un mineur bénéficiant d’une mesure éducative judiciaire provisoire (MJEP), de l’une de ses obligations, de le convoquer ainsi que ses représentants légaux afin de procéder au rappel de ses modalités et de son contenu. Le rapprochement entre la MJEP et le contrôle judiciaire n’est pas allé au bout de ce qui était initialement prévu par la loi, puisque le Conseil constitutionnel a censuré l’article 12 qui permettait le placement en rétention du mineur à l’encontre duquel il existait une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il avait violé les modalités de sa MJEP. Le Conseil a en effet retenu que « ces dispositions [qui] permettent à un officier de police judiciaire (…) de décider du placement en rétention d’un mineur pour une durée pouvant aller jusqu’à douze heures » et ce, sans le contrôle préalable d’une juridiction spécialisée ou selon une procédure appropriée, sont contraires aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en matière de justice pénale des mineurs. On peut ajouter que, dans la pratique, la MJEP constitue souvent le premier degré de mesure prise à l’encontre d’un mineur lors de son premier défèrement. Elle ne poursuit donc pas les mêmes objectifs qu’un contrôle judiciaire, en ce qu’elle constitue une mesure moins coercitive que cette dernière, dont elle n’a donc pas forcément vocation à embrasser les contours.
D’une obligation dite « de couvre-feu » à une interdiction d’aller et venir
Les articles 13 et 14 relatifs aux interdictions d’aller et venir sur la voie publique ont également été jugés conformes à la Constitution. L’article 14 modifie substantiellement les dispositions de l’article L. 112-2 du code de la justice pénale des mineurs relatif à la mesure initialement dite « de couvre-feu » susceptible d’être prononcée dans le cadre d’une mesure éducative judiciaire (provisoire ou non). Désormais, le juge aura la possibilité de prononcer « [u]ne interdiction d’aller et venir sur la voie publique sans être accompagné de l’un de ses représentants légaux aux horaires fixés par la juridiction pour une durée qui ne peut excéder six mois, sauf pour l’exercice d’une activité professionnelle, pour le suivi d’un enseignement ou d’une formation professionnelle ou pour un motif impérieux d’ordre médical ou administratif ». Cette possibilité n’était auparavant possible qu’entre 22 heures et 6 heures ; d’où l’appellation de mesure de « couvre-feu ». Cette modification n’est pas anodine puisqu’elle traduit la volonté du législateur de rapprocher le régime de la MJEP de celui du contrôle judiciaire prévu à l’article L. 331-2 du code de la justice pénale des mineurs. Ce glissement est toutefois regrettable, tant il est vrai que ces deux mesures n’ont vocation ni à appréhender le même profil de jeunes ni à poursuivre la même philosophie. La latitude laissée au magistrat dans le prononcé de la mesure laissera cependant, il est vrai, la possibilité de l’adapter à chaque situation. Enfin, le procureur de la République dispose désormais, lui aussi, de la possibilité de prononcer une interdiction d’aller et venir sur la voie publique dans le cadre de l’article L. 422-1 du code de la justice pénale des mineurs, relatif aux alternatives aux poursuites.
Si la loi finalement entrée en vigueur demeure très éloignée de l’esprit de la proposition initiale qui avait vocation à rapprocher la justice des mineurs de celle des majeurs, il est regrettable que les mises en garde, tant des professionnels que du rapporteur LR Francis Szpiner, n’aient pas été, dès le début, entendues.
La censure – attendue – du Conseil constitutionnel rassure en ce qu’elle rappelle qu’on ne peut juger un enfant comme un adulte, et que la justice pénale des mineurs, si elle semble être devenue un enjeu politique, doit demeurer une justice à hauteur d’enfant.
Loi n° 2025-568, 23 juin 2025, JO 24 juin
Cons. const. 19 juin 2025, n° 2025-886 DC
par Charlotte Tenenhaus, Avocate au Barreau de Paris
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