Loi sur les ingérences : l’Assemblée mise sur la surveillance et la transparence

L’Assemblée nationale a adopté mercredi une proposition de loi contre les ingérences étrangères. Le texte, resserré autour de six articles, vise notamment à renforcer la surveillance algorithmique d’internet, créer un nouveau registre de transparence pour les représentants d’intérêts agissant pour un mandant étranger et permettre le gel des avoirs.

S’il est le plus connu, le scandale du Qatargate qui secoue le Parlement européen n’est qu’un des avatars des tentatives d’ingérence de puissance étrangères.

Ce sujet a été au cœur de plusieurs travaux parlementaires ces dernières années. Il avait notamment fait l’objet du rapport 2022-2023 de la délégation parlementaire au renseignement, qui formulait vingt-deux recommandations. Quatre d’entre elles sont mises en œuvre par la proposition de loi portée par Sacha Houlié, président de la commission des lois.

Contre l’influence, plus de transparence

Le texte vise d’abord à faire plus de transparence sur les activités « d’influence ».

Sur le modèle du FARA américain, l’article premier confie un nouveau registre de transparence à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Les représentants d’intérêts devront s’y inscrire dès lors qu’ils exercent, sur l’ordre, à la demande ou sous la direction ou le contrôle d’un mandant étranger et aux fins de promouvoir ses intérêts.

Trois types d’actions sont visées : vouloir influer sur la décision publique, faire de la communication à destination du public et collecter des fonds. La notion de « mandant étranger » recouvre les puissances étrangères hors Union européenne, les personnes morales qu’elles contrôlent ainsi que les partis politiques étrangers.

Les représentants d’intérêts devront alors révéler leur identité, le contenu de l’accord les liant avec le mandant étranger, leur nombre d’employés et leurs actions réalisées depuis trois mois. En cas de refus, la HATVP pourra adresser des mises en demeure. Ce refus constitue également une infraction passible de trois ans de prison, une durée choisie afin de permettre l’expulsion du représentant d’intérêts en cas de condamnation. Alors que le texte envisageait au départ de nombreuses exceptions (avocat, médias, religions), ne seront exclus de l’inscription au registre que les diplomates. Le registre devrait entrer en vigueur dès la fin de l’année.

Dans l’hémicycle, les députés ont également adopté un article 1er bis de Benjamin Haddad (Renaissance) pour contraindre les associations d’intérêt général « qui réalisent des analyses ou des expertises sur tout sujet en lien avec une politique publique nationale ou en matière de politique étrangère » à transmettre à la HATVP la liste des dons et versements reçus de la part de tout mandat étranger. Une disposition qui vise les think-tanks mais qui pourrait être remaniée dans la navette parlementaire.

Contre l’ingérence, plus de surveillance

L’article 3 du texte prévoit un élargissement de la surveillance algorithmique aux cas d’ingérences étrangères. Cette technique de surveillance permet aux services de renseignement de développer un algorithme sur les données de connexion et les URL : quand un internaute adopte le comportement prévu par l’algorithme (connexion à tel et tel site, utilisation de telle application), le service peut alors demander au Premier ministre qu’il soit identifié et son anonymat levé, après un contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

Adopté en 2015 pour le seul terrorisme et après d’âpres débats, cette technique avait été pérennisée en 2021, malgré des résultats mitigés : les terroristes adoptent rarement des process identiques, qui permettrait à l’algorithme de les repérer. En étendant l’algorithme aux formes « d’ingérence ou de tentative d’ingérence étrangère », le Parlement espère que l’on pourra modéliser les méthodes opératoires propres à certains services de renseignement étrangers. Cette technique nécessite un contrôle large des connexions, même si l’algorithme ne trie pas les données de contenus.

Mais, alors que les débats en 2015 avaient été tendus, ils étaient cette fois-ci plus apaisés, seuls les insoumis et les communistes s’opposant à l’article.

L’article 4 permet le gel des avoirs des personnes physiques ou morales se livrant à des actes d’ingérence, sur le modèle de ce qui existe en matière de terrorisme.

L’acte d’ingérence est défini comme un agissement commis pour le compte d’une puissance étrangère et ayant pour objet ou pour effet « de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, au fonctionnement ou à l’intégrité de ses infrastructures essentielles, ou au fonctionnement régulier de ses institutions démocratiques ».

Enfin, l’article 2 prévoit un rapport bisannuel du gouvernement au Parlement sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale.

 

© Lefebvre Dalloz