Loi sur l’ingérence étrangère en France : entre prévention et sanction

Présentée en ses dispositions pénales dans une circulaire du 8 octobre dernier, la loi du 25 juillet 2024 met en place un dispositif pour rendre plus transparentes les activités d’influence étrangère, qui demeurent légales. Les activités d’ingérence étrangère sont, quant à elles, sanctionnées pénalement.

La loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France s’inscrit dans une série de créations législatives et réglementaires visant à mieux contrôler ou sanctionner l’influence et l’ingérence étrangères en France. Elle comporte deux volets principaux : le premier concernant les « acteurs d’influence » en France, dont l’activité, bien que légale, a pour but d’influer sur les institutions publiques et politiques françaises, et qui doit être plus transparente (art. 1 à 5) ; la seconde prévenant et réprimant « l’ingérence étrangère » à proprement dite, qui est illégale et est susceptible de porter atteinte à l’intégrité du débat démocratique et à la sécurité nationale (art. 6 à 9). Une circulaire de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du 8 octobre 2024 précise la mise en œuvre pratique des dispositions pénales de cette loi.

Les activités d’influence étrangère en France sont ainsi soumises à plus de transparence. Plusieurs ajouts et modifications à la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique sont ainsi opérés. Est prévue en particulier la création d’une obligation de déclaration à la charge des acteurs d’influence agissant pour le compte d’un mandant étranger, dont la violation est sanctionnée pénalement. De nombreux professionnels sont susceptibles de tomber dans le champ d’application de cette nouvelle obligation, y compris les avocats et les journalistes qui n’en ont finalement pas été exemptés.

L’ingérence est quant à elle considérée comme une circonstance aggravante de certaines infractions, augmentant le quantum des peines applicables et permettant ainsi l’emploi des techniques spéciales d’enquête propres à la délinquance organisée et à la poursuite de certains crimes graves (C. pr. pén., art. 706-73 et 706-73-1). La détection automatisée par algorithme des activités suspectées d’êtres en lien avec une forme d’ingérence étrangère en ligne sera également expérimentée, étendant ainsi un dispositif jusque-là réservé à la lutte contre le terrorisme. La prévention de l’ingérence étrangère est enfin assurée par la possibilité de geler temporairement les fonds des entités suspectées de participer à ces activités.

L’influence et l’ingérence étrangères : une « menace protéiforme »

Renforcer un dispositif français de contrôle de l’influence et de l’ingérence étrangères

L’actualité française de ces dernières années a été marquée par plusieurs affaires liées à une forme ou une autre « d’ingérence étrangère », touchant des partis politiques (affaire du Prêt russe du RN) ou des journalistes (affaire de l’influence marocaine et qatari) notamment.

Notant que l’ingérence étrangère contemporaine est « protéiforme », le député Sacha Houlié (Renaissance) inscrit sa proposition de loi à la suite de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (loi dite « séparatisme ») qui prévoyait notamment une obligation de déclaration des dons étrangers de plus de 10 000 € pour les associations et de la cession de lieux de cultes à des puissances étrangères. Sur le plan économique et financier, l’élargissement du champ de la procédure de contrôle des investissements étrangers extra-européens en France en 2024 va également dans le sens d’un contrôle accru de l’influence étrangère (Décr. n° 2023-1293 du 28 déc. 2023, Dalloz actualité, 18 janv. 2024, obs. X. Delpech). La lutte contre l’ingérence étrangère s’est également traduite par la création le 13 juillet 2021 du service VIGINUM, rattaché au secrétariat général de la Défense et de la sécurité nationale, qui a notamment pour mission de détecter et de caractériser les opérations de désinformation initiées par des puissances étrangères (Décr. n° 2021-922 du 13 juill. 2021).

Cette nouvelle loi fait surtout suite à un rapport commandé par la France à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), remis en 2024, qui pointait les limites de la loi Sapin 2 de 2016 pour faire face à des activités d’influence et à un risque d’ingérence toujours plus importants. La loi Sapin 2 prévoit déjà la création d’un registre des « représentants d’intérêts », mais visait essentiellement le lobbying économique. La loi du 25 juillet 2024 concerne, quant à elle, tous les domaines susceptibles de faire l’objet d’une influence ou d’une ingérence étrangère et prend en compte les campagnes d’influence à l’attention du grand public. La création d’un répertoire autonome recensant les entités exerçant une influence pour le compte d’une puissance étrangère permettrait en outre d’éviter la confusion avec le registre des représentants d’intérêts prévu par la Loi Sapin 2 et de renforcer « l’effet signal » de ce nouveau répertoire (Rapp. Sénat du 15 mai 2024 n° 595, p. 14). Les manquements à ces nouvelles règles sont sanctionnés pénalement et plus durement.

Distinguer les activités d’influence et d’ingérence étrangères

La loi tente de clairement distinguer l’acte « d’influence », qui est légal et perçu comme « légitime » dans le fonctionnement d’une société démocratique, de l’acte « d’ingérence », qui sont des activités d’influence menées de manière « secrète » ou « trompeuse » et portent « atteinte à l’intégrité des processus d’élaboration des politiques publiques » (Rapp. OCDE, 2024, p. 12).

Plus précisément, les activités d’influence peuvent être menées par des personnes physiques ou morales « exerçant, sur l’ordre, à la demande ou sous la direction ou le contrôle d’un mandant étranger […] et aux fins de promouvoir les intérêts de ce dernier, une ou plusieurs actions destinées à influer sur la décision publique […] ou sur la conduite des politiques publiques […] » (Loi du 25 juill. 2024, art. 1). L’ingérence est quant à elle désignée comme un « agissement commis directement ou indirectement à la demande ou pour le compte d’une puissance étrangère et ayant pour objet ou pour effet, par tout moyen, y compris par la communication d’informations fausses ou inexactes, de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, au fonctionnement ou l’intégrité de ses infrastructures essentielles ou au fonctionnement régulier de ses institutions démocratiques » (Loi du 25 juill. 2024, art. 7 ; C. mon. fin., nouv. art. L. 562-1, 1° bis).

On note cependant une confusion persistante entre les notions d’influence et d’ingérence, qui étaient au cœur des débats en commission à l’Assemblée nationale. D’abord, le titre de la loi renvoie uniquement à l’ingérence étrangère. Ensuite, le communiqué de presse de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) du 22 avril 2024, alors que le projet de loi venait d’être adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale, assimile toujours les activités de lobbying à des « actions d’ingérence », alors que les lobbys sont l’exemple même d’influence.

Mieux surveiller les activités d’influence étrangère

Les acteurs d’influence étrangère ont maintenant l’obligation de déclarer leurs activités à la HATVP. Plusieurs ajouts et modifications sont ainsi opérés aux articles 18-11 et suivants de la loi du 11 octobre 2013. Devront ainsi se déclarer les personnes physiques ou morales :

  • agissant sur l’ordre, à la demande ou sous le contrôle d’une « puissance étrangère », c’est-à-dire d’un État étranger non-membre de l’Union européenne. Sont également considérées comme telles les personnes morales contrôlées ou majoritairement financées par un État étranger ainsi que les partis politiques étrangers (art. 18-11, II). En pratique, cela signifie qu’un mandataire français agissant pour le compte d’une personne publique étrangère ou une entreprise étrangère contrôlée ou majoritairement financée par un État étranger est susceptible d’être concerné par cette obligation de déclaration. Les mandataires français devront donc intégrer cette donnée lors de leurs recherches pour connaître leur client (« Kow your customer – KYC ») afin de savoir si leur activité est susceptible de tomber sous le coup de cette obligation de déclaration ; 
  • entrant en communication avec une ou plusieurs personnes limitativement listées à l’article 18-11 de la loi du 11 octobre 2013 dans le but d’influer le processus de prise de décision concernant, notamment, des modifications législatives ou réglementaires, des décisions administratives individuelles, la politique nationale, étrangère ou européenne de la France. Il s’agit par exemple des membres du gouvernement, des élus nationaux ou locaux ainsi que les personnes travaillant avec eux… ;
  • réalisant toute action de communication à destination du publique ;
  • collectant des fonds ou procédant au versement de fonds sans contrepartie.

Les informations devant être déclarées sont nombreuses, et comprennent entre autres l’identité des mandataires personnes physiques et des mandants étrangers, le contenu de l’accord et les actions réalisées (art. 18-12, I). Une fois déclarées, ces informations seront rendues publiques sur le site internet de la HATVP.

La HATVP détient des pouvoirs de contrôle afin de faire respecter ces obligations : droit de communication de pièces, visite des locaux professionnels sur autorisation du juge des libertés et de la détention (art. 18-15). L’irrespect de ces obligations de déclaration est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (art. 18-16). Les personnes morales peuvent également être exclues des marchés publics, interdites de percevoir des aides publiques ou encore être condamnées à afficher ou diffuser leur condamnation.

À noter que seuls les membres du personnel diplomatique et consulaire en poste en France et les membres et agents d’un État étranger agissant dans le cadre de leurs fonctions sont exonérés de cette obligation de déclaration de leurs activités d’influence (art. 18-11, III). Les avocats, qui avaient demandé à être exemptés en dénonçant une « atteinte injustifiée à l’autorégulation et à l’indépendance de la profession d’avocat […] qui sont garanties par le même secret professionnel » (Résolution du CNB du 5 avr. 2024) et qui avaient été retirés du champ d’application de la loi par le Sénat, n’ont finalement pas eu gain de cause.

Si l’assistance et la représentation de justiciables dans le cadre de procédures judiciaires n’entrent pas dans le champ de l’obligation de déclaration, les avocats mandatés par des personnes morales contrôlées par des puissances étrangères devant des autorités administratives ou publiques indépendantes devront quant à eux se soumettre à cette obligation de déclaration (art. 18-11, I, 1°, e). L’avocat sera alors dans l’obligation de déclarer publiquement un certain nombre d’éléments, comme l’identité de ses clients, le contenu de l’accord qui le lie à son client ou encore les actions réalisées dans la défense des ses intérêts (art. 18-12, I), sans que le secret professionnel ne puisse être opposé (art. 18-15, al. 1).

De même, les locaux professionnels de l’avocat pourront faire l’objet d’une « vérification » par la HATVP, sur autorisation du juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Paris et en présence d’un officier de police judiciaire. Reste à savoir si les garanties particulières entourant la perquisition dans les cabinets d’avocats prévues à l’article 56-1 du code de procédure pénale, qui prévoit notamment que la mesure ne peut être effectuée que par un magistrat et en la présence du bâtonnier ou de son délégué, s’appliqueront.

Alignement du régime de prévention et de répression de l’ingérence étrangère sur celui du terrorisme

Punir l’ingérence : création d’une nouvelle circonstance aggravante

La loi du 25 juillet 2024 crée une nouvelle circonstance aggravante applicable à certaines infractions commises dans « un contexte d’ingérence étrangère ». Ledit contexte est ainsi défini comme « le but de servir les intérêts d’une puissance étrangère ou d’une entreprise ou d’une organisation étrangère ou sous contrôle étranger » (C. pén., nouv. art. 411-12). Cette circonstance aggravante s’applique à toutes les infractions d’atteintes aux personnes (mis à part les crimes contre l’humanité et contre l’espèce humaine), aux infractions d’appropriations frauduleuses et aux infractions de destructions, dégradations, détériorations et d’atteintes aux systèmes automatisés de traitement des données.

La circulaire du 8 octobre 2024 remarque que cette définition de l’ingérence étrangère existe déjà aux articles 411-2 et 411-10 du code pénal, et précise que « la notion de "puissance étrangère" renvoie à un État étranger ; celle d’entreprise étrangère ou sous contrôle étranger doit être entendue de manière stricte au sens du droit commercial et non au sens du "projet formé en vue de", telle l’entreprise terroriste », et que la notion d’organisation renvoie à « toute entité structurée » comme une groupe militaire ou une organisation non gouvernementale.

Cette aggravation des peines encourues permet d’étendre aux infractions commises dans un « contexte d’ingérence étrangère » le champ d’application des techniques spéciales d’enquête et d’instruction prévues pour la délinquance organisée et la poursuite de certains crimes particulièrement graves (C. pr. pén., art. 706-73 et 706-73-1 mod.).

Prévenir l’ingérence : la détection automatique par algorithme et le gel des fonds

L’article 6 de la loi du 25 juillet 2024 permet d’étendre à titre expérimental, jusqu’en 2028, l’utilisation, par les services de renseignement, d’algorithmes pour détecter les activités relevant d’une ingérence étrangère en ligne, comme les cyberattaques ou les activités d’espionnage. Cette technique, ouverte avec la loi du 30 juillet 2021, était initialement réservée à la prévention d’actes de terrorisme. Concrètement, les services de renseignement pourront surveiller de manière automatique les données de connexion des internautes que les fournisseurs d’accès ont l’obligation de conserver afin de détecter des schémas de connexion suspects.

Enfin, l’article 7 de la loi du 25 juillet 2024 modifie l’article 562-2-1 du code monétaire et financier afin de permettre au ministre de l’Intérieur et de l’Économie de décider, pour une durée de six mois renouvelable, de geler les fonds et les ressources économiques des « personnes physiques et morales ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes d’ingérence, y incitent ou y participent » et des personnes morales ou toute autre entité détenues par elles. Cette mesure, particulièrement sévère, était jusqu’alors réservée à la prévention du terrorisme.

 

Loi n° 2024-850, 25 juill. 2024, JO 26 juill.

Circ. 8 oct. 2024, NOR : JUSD2426800C

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