Loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires : le droit pénal spécial en première ligne

Afin de mieux lutter contre les dérives sectaires, la loi du 10 mai 2024 crée de nouvelles infractions pénales et augmente les peines encourues pour d’autres : le placement en état de sujétion, qui était jusqu’alors un élément constitutif de l’abus de faiblesse, devient une infraction autonome, l’état de sujétion de la victime devient une circonstance aggravante de nombreux délits, tandis que de nouveaux délits de provocation à adopter des comportements médicaux dangereux pour la santé sont érigés.

La loi du 10 mai 2024 est le fruit d’un processus parlementaire mouvementé (P. Januel, Députés et sénateurs s’opposent sur la loi dérive sectaire, Dalloz actualité, 9 févr. 2024). Au commencement, il s’agissait d’un projet, déposé au Sénat le 15 novembre 2023. Dans son exposé des motifs, le gouvernement explique que l’arsenal répressif qui existe pour lutter contre les dérives sectaires n’est plus adapté aux évolutions du phénomène. Elles ne sont plus seulement le fait de groupements mystiques, elles se répandent aussi dans des domaines nouveaux, comme le coaching, le bien-être ou le développement personnel. L’exposé vise particulièrement les néo-gourous qui sont apparus pendant la période de la crise sanitaire, et qui tiennent un discours prescriptif sur les soins ou le régime alimentaire qui doit être suivi. Pour lutter contre, le gouvernement a souhaité réprimer le placement de personnes sous emprise et les provocations à adopter des comportements médicaux dangereux.

La tâche n’était pas aussi simple qu’il n’y paraît, car, pour parvenir à ce résultat, ce sont des discours qu’il faut sanctionner. Ériger ces infractions risque donc de porter atteinte à la liberté d’expression et à la liberté de conscience, risque qui n’a pas manqué d’être soulevé au cours de la navette parlementaire. La commission des lois du Sénat a notamment décidé de supprimer certaines infractions du projet de loi, tout en apportant des nouveautés au texte, comme la consécration au niveau légal de la Mission interministérielle de vigilances et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). À l’issue des échanges entre les deux chambres parlementaires, le texte initial a en partie été restauré, tout en étant enrichi des apports des députés et des sénateurs. Il prévoit notamment la création d’un nouveau délit de placement en état de sujétion, l’ajout de circonstances aggravantes relatives à la vulnérabilité de la victime, ainsi que des dispositions visant à protéger spécifiquement les mineurs ou la santé des personnes.

Création d’une nouvelle infraction de placement en état de sujétion psychologique ou physique

Différentes infractions de droit commun peuvent être mobilisées dans le cadre de la lutte contre les dérives sectaires, tant des atteintes aux biens qu’à l’intégrité corporelle. Elles ne sont toutefois pas toujours adaptées à la situation particulière des victimes sous l’emprise d’un groupe ou d’un gourou. Conscient de cette difficulté, le législateur est intervenu en 2001 : la loi About-Picard a fait de l’état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement une cause de vulnérabilité, et donc un élément constitutif du délit d’abus de faiblesse. Elle avait en outre ajouté une circonstance aggravante, destinée à réprimer plus durement le dirigeant de fait ou de droit des groupements causant ces formes de sujétion. Bien que prenant en compte les victimes de dérives sectaires, cette loi n’a toutefois instauré qu’une nouvelle modalité du délit d’abus de vulnérabilité.

La loi du 10 mai 2024 extrait les pressions et techniques causant un état de sujétion du délit d’abus de faiblesse pour en faire l’élément constitutif d’une infraction autonome. Le nouvel article 223-15-3 du code pénal punit de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende « le fait de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement et ayant pour effet de causer une altération grave de sa santé physique ou mentale ou de conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ». On peut remarquer que ce texte d’incrimination n’est pas très éloigné de celui de manipulation mentale, qui avait été un temps envisagé par l’Assemblée nationale (comp., Ass. nat., Rapp. n° 2472, 14 juin 2000, p. 69), avant d’être remplacé par une modification de l’infraction d’abus de vulnérabilité. En tant que modalité de l’abus de faiblesse, l’abus d’un état de sujétion psychologique n’était réprimé que s’il était volontairement commis pour atteindre un résultat souhaité, l’acte ou l’abstention gravement préjudiciable. Avec le nouveau texte, en plus des actes gravement préjudiciables, est aussi visée l’altération grave de la santé physique ou mentale. En outre, le résultat incriminé ne doit plus nécessairement avoir été recherché par la personne poursuivie, puisqu’il suffit que celui-ci intervienne en tant qu’effet de l’état de sujétion.

La réforme a pour objet de faire entrer dans le champ du droit pénal des situations alors difficilement poursuivables, en dépassant l’exigence d’un acte ou d’une abstention gravement préjudiciable. Cette condition avait déjà pourtant été élargie par la jurisprudence, qui avait estimé que l’acte en cause ne devait pas nécessairement être un acte juridique (Crim. 19 févr. 2014, n° 12-87.558, D. 2014. 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet ; Dr. pénal 2014. Comm. 52, obs. M. Véron), et qu’il n’était pas indispensable que l’acte ait effectivement causé un préjudice (Crim. 12 janv. 2000, n° 99-81.057, D. 2001. 813 , note J.-Y. Maréchal ; RSC 2000. 614, obs. R. Ottenhof ; RTD com. 2000. 741, obs. B. Bouloc ). En réalité, la difficulté ne se trouverait pas tant du côté de la caractérisation de l’infraction que de la réparation des préjudices qui en découlent. En effet, avec l’ancien texte, le dommage qui pouvait être réparé était celui qui découlait de l’acte ou de l’abstention gravement préjudiciable. Des juges du fond refusaient donc de condamner le prévenu à indemniser les préjudices ne résultant pas directement de l’acte, mais découlant plutôt de la situation de sujétion, comme la rupture des liens familiaux (Étude d’impact, Projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires, 14 nov. 2023, p. 43 s. ; v. aussi, M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, 9e éd., 2024, n° 313). Malgré tout, il n’est pas certain que le nouveau délit de placement en état de sujétion règle toutes les difficultés en pratique. On peut imaginer qu’il ne sera pas toujours aisé de prouver le lien de causalité entre l’état de sujétion et l’altération grave de la santé mentale, par nature multifactorielle et parfois préexistante aux pressions de l’auteur des faits. En outre, il n’a pas fait l’unanimité au cours de la navette parlementaire, la commission des lois du Sénat ayant décidé de le supprimer au motif qu’il constituait « une facilité malheureusement courante des politiques pénales et de sécurité, ayant pour objectif d’afficher une action qui ne produit néanmoins généralement aucun effet pratique sur la répression des infractions » (Sénat, Rapp. n° 200, 13 déc. 2023, p. 23). Il a été rétabli par la commission des lois de l’Assemblée nationale (Ass. nat., Rapp. n° 2157, 7 févr. 2024, p. 32 s.).

Le législateur a veillé à ce que la création d’une nouvelle infraction n’empêche pas la répression de faits qui étaient incriminés sous l’empire du droit ancien. Par conséquent, il a repris le résultat « acte gravement préjudiciable », en tant qu’alternative au résultat « altération grave de la santé physique ou mentale ». Ce simple ajout n’était pas suffisant. En effet, le premier alinéa de l’article 223-15-3 réprime celui qui exerce les pressions ou techniques causant l’état de sujétion. Or, la précédente version de l’abus de faiblesse permettait également de punir celui qui abusait de l’état de sujétion d’une personne, même s’il n’en était pas à l’origine. Aussi, le deuxième alinéa de l’article 223-15-3 reprend l’abus de vulnérabilité d’une personne en état de sujétion pour conduire une personne à un acte qui lui est gravement préjudiciable. Par ailleurs, il semble important d’indiquer qu’en dépit de l’intitulé de la loi du 10 mai 2024, le nouveau délit incriminé à l’article 223-15-3 du code pénal n’est pas réservé aux situations d’emprise sectaire : il a vocation à s’appliquer à tous les cas de sujétion psychologique, tout comme l’était l’ancienne version de l’abus de faiblesse (v. par ex., Crim. 5 janv. 2017, n° 15-81.079). Ce domaine d’application étendu a été critiqué par des sénateurs, qui estimaient que la sanction de tout type d’emprise pouvait porter atteinte à la liberté personnelle, la liberté de conscience et la liberté d’opinion. Cependant, le Conseil constitutionnel, saisi de ce grief, a estimé que le premier alinéa du paragraphe I de l’article 223-15-3 du code pénal ne méconnaissait aucune exigence constitutionnelle (Cons. const. 7 mai 2024, n° 2024-865 DC, consid. 9, AJDA 2024. 998 ).

Ajouts de circonstances aggravantes relatives à la vulnérabilité de la victime

Dans la précédente version de l’abus de faiblesse, l’état de sujétion était une cause de vulnérabilité parmi d’autres, toutes étant un élément constitutif du délit. Dans le cadre de la nouvelle infraction prévue par l’article 223-15-3, d’autres causes de vulnérabilité que l’état de sujétion peuvent être prises en compte, en tant que circonstances aggravantes : la minorité, l’âge, la maladie, l’infirmité, la déficience physique ou psychique ou l’état de grossesse. Pour la première fois, les causes de vulnérabilité sont appréhendées sous forme de cumul et non d’alternatives. Le législateur a aussi repris la circonstance aggravante tirée de la qualité de dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités. Enfin, une circonstance aggravante caractérisée par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique a été ajoutée, tant pour le nouveau délit de placement en état de sujétion que pour l’abus de faiblesse.

Un second pallier d’aggravation est prévu au III de l’article 223-15-3, portant les peines encourues à sept ans d’emprisonnement et à un million d’euros d’amende. Il est atteint lorsque le délit est commis dans au moins deux des circonstances visées au II de l’article ou lorsque l’infraction est commise en bande organisée. L’ajout de cette circonstance aggravante s’inscrit dans la lignée de la LOPMI (Loi n° 2023-22 du 24 janv. 2023) qui avait fait de la bande organisée une circonstance aggravante de l’abus de faiblesse. Lorsque le délit est commis par une bande organisée, il rentre dans la catégorie des infractions de délinquance organisée (C. pr. pén., art. 706-73, 20°), permettant l’application de techniques d’investigation dérogatoires. La même circonstance aggravante a été ajoutée au délit de pratique de thérapies de conversion (C. pén., art. 225-4-13), sans que les listes des articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale soient modifiées. Par conséquent, ces agissements relèvent de l’article 706-74 du code de procédure pénale, catégorie résiduelle de la délinquance organisée ne permettant pas de mettre en œuvre des techniques spéciales d’enquête.

Le législateur a aussi fait de l’état de sujétion de la victime une circonstance aggravante pour de nombreuses infractions : le meurtre (C. pén., art. 221-4), les actes de torture et de barbarie (C. pén., art. 222-3) les violences (C. pén., art. 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13), l’escroquerie (C. pén., art. 313-2) et les thérapies de conversion (C. pén., art. 225-4-13). Il en a aussi fait un élément constitutif alternatif pour les infractions de tortures, actes de barbarie et violences habituelles sur personne particulièrement vulnérable (C. pén., art. 222-4 et 222-14). Selon l’étude d’impact, l’ajout de ces circonstances aggravantes répond à plusieurs objectifs : mieux reconnaître les victimes d’infractions commises dans un cadre sectaire et rendre ces faits plus visibles. L’étude indique aussi que ces circonstances aggravantes seront associées à de nouveaux codes NATINF, ce qui permettra aux services statistiques d’avoir des données fiables sur les condamnations prononcées à l’encontre des mouvements sectaires (Étude d’impact, préc., p. 58). On ne peut adhérer à cet argument. En effet, l’indicateur créé ne sera pas adapté pour atteindre cet objectif, car l’état de sujétion ne résulte pas nécessairement d’une emprise sectaire. Surtout, aussi louable que soit l’idée d’améliorer l’étude des phénomènes sectaires, une circonstance aggravante ne saurait être mise au seul service des statistiques : le principe de nécessité des délits et des peines s’y oppose. Rien n’interdit à la Chancellerie de rendre plus performants ses outils de statistique ; il n’est pas nécessaire de galvauder la loi pénale pour le faire.

Autres apports du volet pénal de la loi

La loi du 20 mai 2024 contient un chapitre III relatif à la protection des mineurs victimes de dérives sectaires. Dans ce chapitre, un article allonge le délai de prescription pour les délits d’abus de faiblesse et placement en état de sujétion commis à l’encontre de mineurs, pour le faire passer à dix ans, avec un point de départ fixé à la majorité de la victime (C. pr. pén., art. 8). Le législateur a aussi érigé en circonstance aggravante des délits de privation d’aliments ou de soins (C. pén., art. 227-15) et de manquement à ses obligations par une personne ayant autorité sur mineur au point de compromettre sa santé, sa sécurité, sa moralité ou son éducation (C. pén., art. 227-17) le fait d’avoir commis le délit de non-déclaration de l’enfant à l’état civil (C. pén., art. 433-18-1). Pour les sénateurs, dès lors que la non-déclaration d’un enfant se rencontrerait souvent dans le cadre de certains mouvements sectaires, en faire une circonstance aggravante permettrait donc de mieux réprimer ces mouvements (Sénat, Rapp., préc., p. 30). Toutefois, de l’aveu même de la commission des lois, il y a moins de deux condamnations par an pour le délit de non-déclaration (ibid., p. 29). On peut donc douter de l’efficacité de la nouvelle circonstance aggravante.

Pour mieux protéger les victimes, les conditions permettant à des associations d’exercer les droits réservés à la partie civile ont été assouplies. Pour les thérapies de conversion, l’accord de la victime n’est plus requis si elle se trouve dans un état de sujétion (C. pr. pén., art. 2-6). Pour les infractions commises dans le cadre d’un mouvement ou organisation ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter une sujétion psychologique ou physique, l’action civile n’est plus réservée aux associations reconnues d’utilité publique, celles ayant reçu un agrément dans des conditions qui doivent être définies par décret pourront aussi l’exercer (C. pr. pén., art. 2-17).

Différentes dispositions de la loi tendent plus spécifiquement à protéger la santé des personnes. Un nouvel article 223-1-2 est créé dans le code pénal. Il réprime la provocation à l’abandon d’un traitement médical et la provocation à adopter des pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique alors qu’elles exposent celui qui les suit à un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente. L’auteur des provocations peut s’exonérer de sa responsabilité en établissant qu’il a délivré une information claire et complète quant aux conséquences pour la santé de ses préconisations (sauf si la victime est en état de sujétion) ou s’il agit en tant que lanceur d’alerte. Ces délits ont été relativement controversés. Le Conseil d’État a notamment estimé que la nécessité de ces infractions était discutable, car de nombreuses autres incriminations permettaient d’appréhender ces faits (CE, avis, 9 nov. 2023, n° 407626, § 16). Mais après quelques modifications, à l’issue de parcours législatif, l’article 223-1-2 a passé le filtre du Conseil constitutionnel (Cons. const. 7 mai 2024, préc., §§ 10 s.).

Toujours dans le domaine médical, la loi fait de l’utilisation d’un service de communication au public une circonstance aggravante de l’exercice illégal de la profession de médecin, de chirurgien-dentiste, de sage-femme (CSP, art. L. 4161-5), de pharmacien (CSP, art. L. 4223-1), d’infirmier (CSP, art. L. 4314-4) et de masseur-kinésithérapeute (CSP, art. L. 4323-4-1). La même circonstance aggravante a aussi été ajoutée aux pratiques commerciales trompeuses (C. consom., art. L. 132-2). Par ailleurs, la loi renforce l’information de différentes autorités, en imposant au procureur de la République d’informer différents ordres professionnels médicaux quand un de leurs membres a été condamné pour une infraction relevant de l’article 2-17 du code de procédure pénale (C. pr. pén., art. 11-3), et en exonérant de la violation du secret professionnel le médecin qui porte à la connaissance du procureur de la République des informations relatives à des faits de placement dans un état de sujétion, sans que l’accord de la victime soit nécessaire lorsque son âge ou une incapacité physique ou psychique l’empêche de se protéger.

Enfin, la loi impose au gouvernement de remettre au Parlement deux rapports : un sur la mise en œuvre de la loi dans le domaine de la santé mentale et un autre sur l’utilisation des titres professionnels par des personnes exerçant des pratiques de santé non réglementées. En fonction des résultats qui seront constatés, on peut s’attendre à ce que de nouveaux textes relatifs aux dérives sectaires soient proposés.

 

Loi n° 2024-420 du 10 mai 2024, JO 11 mai

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