Lutte contre la criminalité organisée : des magistrats parisiens mettent en garde contre « la pensée magique » et « le miroir aux alouettes
La procureure de Paris, la procureure générale de la Cour d’appel de la capitale ou encore le président du Tribunal judiciaire de la porte de Clichy rappellent qu’au-delà d’un éventuel changement de structure, la lutte contre la criminalité organisée passera nécessairement par l’augmentation des moyens.
 
                            D’abord davantage de moyens dédiés à la lutte contre la criminalité organisée avant une réforme de structure. Les magistrats parisiens ont mis en garde l’exécutif et le Parlement contre les solutions miracles en matière de lutte contre la criminalité organisée, l’un des sujets chauds du moment. Si le choix de la création d’un parquet autonome est « une décision politique », « soyons vigilants toutefois au fait que cet objet ne relève de la pensée magique », a ainsi rappelé ce mardi 21 janvier 2025 la procureure de Paris, Laure Beccuau, lors de son allocution à l’audience solennelle de rentrée du Tribunal judiciaire de Paris. « Il faut veiller à ce que cette réforme, quelle qu’elle soit, renforce les moyens et l’efficacité sans abîmer les acquis », poursuit-elle, soulignant que la lutte contre la criminalité organisée « ne progressera pas sans l’affectation de moyens adaptés ».
L’ancien ministre de la Justice, Didier Migaud, avait signalé en novembre 2024 pencher pour la création « d’un parquet national » contre la criminalité organisée, une structure qui se substituerait alors aux JIRS (Juridictions interrégionales spécialisées) créées en 2004 et à la JUNALCO (Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée) mise en place en 2020. Deux sénateurs ont justement déposé une proposition de loi, qui doit être débattue en séance publique à la fin janvier. Elle préconisait la création d’un parquet national antistupéfiants, élargi à toute la criminalité organisée dans un récent amendement adopté. Les différentes options sur la table avaient été étudiées dans le rapport de Jean-François Ricard, missionné au printemps 2024 par l’ancien garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti. Dans ce document de 52 pages, l’ancien procureur antiterroriste appelait, après consultations, à la création d’une « autorité judiciaire spécialisée en mesure d’incarner, tant au plan national, que sur la scène internationale, la lutte contre la criminalité organisée ».
« Miroir aux alouettes »
À la mi-janvier, Marie-Suzanne Le Quéau, la procureure générale, avait également signalé son scepticisme lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour d’appel de Paris. « Je ne suis pas convaincue par la création d’un parquet national de lutte contre la criminalité organisée, loin de faire l’unanimité dans le corps judiciaire », relevait-elle. « La pratique nous a souvent enseigné qu’une idée a priori séduisante dans son énoncé pouvait s’avérer être, dans le champ opérationnel, un miroir aux alouettes », ajoutait-elle. A contrario, la magistrate avait salué la mise en place des cellules de coordinations rattachées au parquet de Paris et à la Direction des affaires criminelles et de grâces. Avant de souligner le cœur de la bataille en cours dans la guerre contre le narcotrafic, la « réduction des délais de jugement » et la « mise en œuvre effective des peines ».
La nouvelle cellule de coordination rattachée au parquet de Paris doit désormais se concrétiser par des réunions mensuelles avec les juridictions nationales spécialisées, des offices centraux, des services d’enquête à compétence nationale et des services de renseignement, pour « faire la revue de dossiers » et coordonner si besoin « la temporalité des interpellations », a précisé la procureure Laure Beccuau. Outre ces partages d’information et cette définition de priorités, une analyse criminelle judiciaire doit pouvoir être développée à partir des masses de données déjà collectées dans les dossiers en cours.
Même son de cloche du côté du président du Tribunal judiciaire de Paris, Stéphane Noël. Mardi soir, il a pointé également dans son discours une capacité de jugement « limitée », tant en première instance qu’en appel. Une « embolie » devenue également « un moyen au service d’une certaine défense qui cherche à mettre en échec le processus judiciaire », rappelait-il. À Paris, la JIRS-JUNALCO ne dispose ainsi que de neuf juges d’instruction et de quatorze magistrats « pour juger ces affaires longues, complexes, impliquant de nombreux prévenus ». Une capacité de jugement pourtant revue à la hausse en quatre ans au détriment d’autres contentieux, notamment civils. « Bien plus que la création d’un nouveau parquet autonome à Paris, ils sont déjà quatre, le déploiement rapide d’effectifs profilés est une urgente nécessité, insiste Stéphane Noël. Si nous souhaitons obtenir des résultats tangibles, il faut mobiliser une force de frappe à la hauteur des enjeux. Ne pas saupoudrer mais concentrer. »
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