Lutte contre le blanchiment : Tracfin a reçu un nombre record de signalements en 2023

Le bilan 2023 de l’activité déclarative des professions assujetties à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) fait état d’une hausse de 15 % de l’ensemble des signalements reçus par Tracfin l’an passé par rapport à l’année précédente. Une moyenne qui se traduit de façon très hétérogène selon les professions.

Avec 190 653 signalements relatifs à des opérations financières suspectes reçus par Tracfin en 2023, l’activité déclarative des professions assujetties au dispositif LCB-FT en France a augmenté de 15 % par rapport à 2022 et elle a été multipliée par sept en dix ans. C’est ce qui ressort du bilan 2023 récemment publié par la cellule de renseignement financier, qui détaille la contribution de chaque profession à ce nombre record de déclarations de soupçon.

Le secteur financier à l’origine de 94 % des signalements

Le secteur financier – banques, établissements de crédit et établissements de paiement – reste le principal contributeur et a transmis plus de 94 % de l’ensemble des déclarations de soupçon reçues par Tracfin en 2023. Dans ce secteur, la principale nouveauté est la très forte hausse des signalements effectués par les établissements de monnaie électronique (+ 146 % par rapport à 2022) et des prestataires de services sur actifs numériques (+ 339 %).

En 2023 comme en 2022, le nombre de déclarations de soupçon provenant du secteur non-financier représente environ 6 % de l’ensemble des signalements. La grande majorité des signalements proviennent de trois secteurs d’activité, contribuant chacun à environ un tiers des déclarations du secteur non financier : les jeux (casinos, clubs de jeux, jeux en ligne), l’immobilier (notaires et professionnels de l’immobilier) et les professions du chiffre et du droit.

En 2023, les professions non financières ont adressé 11 525 déclarations à Tracfin, ce qui représente une hausse de 8 % par rapport à 2022. Cette augmentation globale résulte en partie de la progression des signalements effectués l’an passé par les notaires, les casinos, les clubs de jeux et les opérateurs de jeux.

Notaires : des déclarations en hausse malgré le ralentissement de l’immobilier

Les notaires restent les principaux déclarants parmi les professions non-financières, avec 28 % des déclarations de soupçon. En 2023, la profession a transmis 3 242 déclarations à Tracfin, soit une hausse de 21 % par rapport à 2022, et ce, en dépit du repli de l’activité sur le marché immobilier. Les signalements concernent en effet essentiellement l’immobilier, et en particulier les acquisitions résidentielles, « réduisant l’immobilier tertiaire à une part congrue des informations transmises alors que des risques de blanchiment des capitaux existent également sur ce segment », relève Tracfin dans son rapport. « Des risques existent aussi sur les autres opérations où un notaire peut intervenir – comme les successions, les prêts, les cessions de parts sociales ou encore les constitutions de société – et sur lesquelles peu de déclarations sont effectuées. »

Les notaires situés dans neuf départements représentent la moitié des déclarations de la profession et, en 2023, les Alpes-Maritimes sont devenues le premier département contributeur de déclarations, devançant Paris pour la première fois. Les principaux critères d’alerte sont l’absence de prêt ou un doute sur l’origine des fonds. Selon Tracfin, « des marges de progression sont possibles pour améliorer la qualité des déclarations, notamment sur l’expression du soupçon et des critères d’alerte ainsi que sur la consultation des informations en sources ouvertes et l’envoi de pièces jointes ».

Baisse de l’activité déclarative des greffiers des tribunaux de commerce

La profession des greffiers des tribunaux de commerce n’est assujettie au dispositif LCB-FT que depuis 2020 – et c’est elle qui en avait fait la demande. Elle émet en moyenne 12 % des déclarations de soupçon faites par les professions non financières. En 2023, elle a transmis 1 431 déclarations à Tracfin, soit une baisse de 27 % par rapport à 2022. Après deux années de forte progression, cette baisse « pourrait être liée aux difficultés rencontrées par la profession à la suite de la mise en place du Guichet unique », relève Tracfin. Les signalements concernent principalement « des soupçons d’usage de faux documents, voire d’usurpation d’identité, dans le but d’immatriculer des sociétés en vue de la commission d’autres infractions, notamment les fraudes aux finances publiques et les escroqueries ». Le nombre de droits de communication adressés aux greffiers des tribunaux de commerce par la cellule de renseignement financier a lui diminué en 2023.

De grandes disparités au sein des administrateurs et mandataires judiciaires

Les administrateurs et mandataires judiciaires transmettent en moyenne 10 % des déclarations de soupçon faites par les professions non financières. En 2023, la profession a adressé 1 172 signalements à Tracfin, ce qui représente une baisse de 8 % par rapport à 2022. « Cette diminution est cependant à relativiser, le nombre de déclarations demeurant supérieur aux niveaux observés en 2020 et 2021 », souligne le rapport. Il existe toutefois de très grandes disparités entre régions. « Si l’Île-de-France reste la région qui concentre le plus de déclarations, le nombre de déclarations provenant de la région PACA peut encore progresser étant donné le poids économique de la région. » Les déclarations sont généralement envoyées à la suite de soupçons de banqueroute ou d’abus de biens sociaux, mais « la part des déclarations portant sur un soupçon de fraude fiscale augmente ».

Commissaires de justice : cinq études réalisent les deux tiers des déclarations

Le nombre de déclarations de soupçon transmises par les commissaires de justice s’est stabilisé à 248 en 2023, ce qui représente 2,1 % de l’ensemble des signalements effectués par les professions non financières. « Si deux tiers des déclarations de soupçon effectuées en 2023 ont été transmis par seulement cinq études, le nombre d’acteurs effectuant des déclarations poursuit sa progression avec vingt-cinq études ayant réalisé leur première déclaration en 2023 (contre 33 en 2022) », relève Tracfin. Ce qui laisse une nette marge de progression « au regard du nombre des professionnels », ainsi qu’au regard de la qualité des déclarations de soupçon : « si certaines sont de qualité satisfaisante, d’autres en revanche omettent de décrire suffisamment les faits, le contexte et les personnes impliquées ». Les signalements concernent essentiellement des versements en espèce d’un montant supérieur à 1 000 € dont l’origine n’est pas déterminée.

L’appropriation du dispositif LCB-FT par les avocats demeure « significativement perfectible »

Les avocats et les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) transmettent en moyenne 0,3 % des déclarations de soupçon adressées par le secteur non-financier. En 2023, ils ont envoyé 35 déclarations (8 par les avocats et 27 par les CARPA), ce qui représente une hausse de 25 % par rapport à 2022. Du fait de la forte concentration géographique de la profession, les deux tiers des signalements proviennent de la région Île-de-France.

« L’appropriation du dispositif LCB-FT par les avocats et les CARPA demeure significativement perfectible, notamment au regard du décalage qui existe entre le bilan déclaratif de la profession et les divers risques auxquels elle est confrontée » et « un effort contributif supplémentaire est donc attendu », écrit Tracfin. Qui renouvelle la proposition déjà formulée l’an passé concernant les tentatives d’entrées en relation d’affaires : « ne pas donner suite à une demande d’entrée en relation d’affaires pour des motifs Know your client est une raison suffisante pour effectuer une déclaration de soupçon à Tracfin ».

 

Tracfin, bilan 2023 de l’activité déclarative des professions assujetties à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme

© Lefebvre Dalloz