« Mademoiselle, c’est votre prénom qui est une insulte à la France » : rejet du pourvoi d’Éric Zemmour

A justifié sa décision la cour d’appel qui a retenu que ces propos, qui stigmatisaient le prénom de la partie civile, attribut essentiel de sa personnalité, en la renvoyant à son ascendance africaine, ne s’inscrivaient plus dans le débat d’intérêt général qui était le sujet des précédents échanges, étaient injurieux à son égard à raison de son origine supposée et dépassaient, dès lors, les limites admissibles de la liberté d’expression.

Le 22 octobre 2018, Hapsatou Sy porta plainte et se constitua partie civile pour injure raciale et provocation à la discrimination raciale, en raison des propos suivants, tenus par Éric Zemmour, le 13 septembre 2018, lors de l’enregistrement public de l’émission « les Terriens du Dimanche » dans laquelle il était invité : « Mademoiselle, c’est votre prénom qui est une insulte à la France ».

Pour replacer ce propos dans son contexte, celui-ci faisait suite à des échanges portant sur le choix des prénoms, Éric Zemmour ayant affirmé regretter l’abolition de la loi imposant aux parents de donner à leur enfant un prénom du calendrier des saints. La chroniqueuse de l’émission réagit en rappelant son propre prénom. Éric Zemmour lui répondit « votre mère a eu tort », ajoutant que Corinne « lui irait très bien ». Dans la version de l’émission diffusée par C8, les échanges s’arrêtaient là mais il apparaît, dans une version sans montage diffusée par la chroniqueuse elle-même, qu’ils se sont poursuivis, Hapsatou Sy affirmant « ce que vous venez de dire n’est pas une insulte à mon égard, c’est une insulte à la France ». Et le polémiste de lui rétorquer : « c’est votre prénom qui est une insulte à la France ».

Éric Zemmour fut renvoyé devant le tribunal correctionnel pour injure publique à raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion. Par jugement du 12 janvier 2023, le tribunal rejeta l’exception de nullité tirée de l’inconstitutionnalité de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (relatif à la procédure de mise en examen pour injure ou diffamation ; v. Cons. const. 17 mai 2024, n° 2024-1089 QPC, Dalloz actualité, 30 mai 2024, obs. H. Diaz ; D. 2024. 967  ; ibid. 2025. 1268, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ), déclara le prévenu coupable du délit poursuivi, le condamna à 4 000 € d’amende et prononça sur les intérêts civils. Sur l’appel du prévenu et du ministère public, la cour d’appel confirma le jugement entrepris (Paris, 28 mars 2024, n° 23/00804, Légipresse 2024. 281 et les obs.  ; ibid. 2025. 180, obs. E. Tordjman, O. Lévy et J. Sennelier ). Éric Zemmour saisit alors la Cour de cassation. Dans son pourvoi, il invoquait le contexte des propos (il aurait simplement répliqué à une accusation outrancière de la chroniqueuse, dans le cadre du débat instauré par l’animateur), contestait tout mobile discriminatoire ou ségrégationniste et soutenait, en tout état de cause, qu’il n’avait pas franchi les limites admissibles de la liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général (le choix des prénoms et leur « francisation ») au sens de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Par son arrêt, la chambre criminelle rejette son pourvoi, estimant que la cour d’appel n’a méconnu aucun des textes visés au moyen. Ce faisant, la Haute Cour confirme la qualification d’injure publique et sa caractérisation, s’agissant de propos exprimant une attaque personnelle à caractère discriminant prononcés par un professionnel des médias habitué à la polémique.

La caractérisation de l’injure publique raciale

L’injure raciale est d’abord une injure au sens de l’article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, à savoir une expression outrageante, un terme de mépris ou une invective ne renfermant l’imputation d’aucun fait précis (ce qui la distingue de la diffamation). Elle est ensuite spécifique en ce qu’elle exige un mobile ségrégationniste – l’article 33, alinéa 3, de la même loi incriminant l’injure qui vise une personne ou un groupe de personnes « à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » – dont la preuve résulte du lien qui est fait par l’auteur des propos entre le mépris jeté sur la victime et l’origine de celle-ci (Rép. pén.,  Injures publiques et non publiques, par E. Dreyer, n° 69), et qui justifie une peine aggravée (portée à 1 an d’emprisonnement et à 45 000 € d’amende). Pour être considérée comme publique, l’injure, quelle que soit sa nature, doit enfin emprunter l’une des formes de publicité mentionnées à l’article 23 de la loi sur la presse.

Ce dernier point avait été contesté devant les premiers juges, le prévenu ayant invoqué le caractère non public des propos, coupés au montage et donc non diffusés par la chaine C8 dans son émission. Cependant l’argument ne pouvait tenir dès lors qu’Éric Zemmour avait prononcé ces paroles devant un public nombreux lors de l’enregistrement de l’émission, ce qui les rendaient publiques. Sur le contenu de ces paroles, la cour d’appel a estimé qu’ils étaient outrageants à l’égard de la partie civile en ce qu’ils assimilaient son prénom, attribut essentiel de sa personnalité, à une injure faite à la France ; en outre, ils lui ont été adressés « à raison de l’origine supposément étrangère de son prénom, laquelle constitue la raison de l’insulte qui serait faite à la France ». Dans ces conditions, l’injure publique raciale était donc bien caractérisée aussi bien dans sa matérialité qu’au regard de son élément moral, contrairement à ce que soutenait le moyen. Restait à apprécier l’argument tiré d’une participation des propos à un débat d’intérêt général qui implique, le cas échéant, un contrôle de la proportionnalité de l’ingérence subie dans l’exercice de la liberté d’expression au regard de l’objectif poursuivi.

L’absence d’inscription des propos dans un débat d’intérêt général

Pour déclarer le prévenu coupable, la cour d’appel a retenu que si la première partie des déclarations du prévenu (« votre mère a eu tort », « Corinne vous irait très bien ») relevait d’un jugement de valeur exprimé dans un débat d’intérêt général sur le choix des prénoms (et « des conséquences de ce choix sur la cohésion de la société française », comme l’indique la chambre criminelle), il n’en allait pas de même pour les propos poursuivis qui, d’une part, exprimaient une attaque strictement personnelle à caractère discriminant, et, d’autre part, procédaient d’une réponse « réfléchie, inutilement blessante et disproportionnée ». Pour les juges du fond, les propos litigieux, émanant de surcroît d’un « professionnel des médias habitué à la polémique », ont donc excédé les limites admissibles de la liberté d’expression.

La chambre criminelle valide ce raisonnement – qui n’avait pas été celui du tribunal judiciaire qui avait retenu que les propos présentaient un lien avec le débat initial (et du lien posé, par M. Zemmour, entre le choix d’un prénom et la volonté d’intégration) tout en les jugeant excessifs et justifiant, de ce fait, la condamnation du polémiste, dont une vigilance particulière était attendue au regard de son métier – de l’époque – dans le contexte de l’enregistrement d’une émission (TJ Paris, 17e ch., 12 janv. 2023, n° 18297000957, Légipresse 2023. 14 et les obs.  ; ibid. 2024. 190, obs. O. Lévy, E. Tordjman et J. Sennelier ). Pour la Haute Cour, la cour d’appel a exactement retenu que, replacés dans leur contexte, les propos litigieux, qui ne s’inscrivaient plus dans le débat d’intérêt général caractérisant les précédents échanges, étaient injurieux et dépassaient les limites admissibles de la liberté d’expression.

La relativité du droit à la liberté d’expression

Le droit à la liberté d’expression, qui permet de débattre sur des sujets de société, au besoin en recourant à une certaine dose de provocation, cesse là où commence l’attaque personnelle, raciste de surcroît. Cela fait fort longtemps que la Cour européenne juge que la liberté d’expression « vaut non seulement pour les "informations" ou les "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population » (CEDH 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, n° 5493/72, § 49). Pour autant, « la tolérance et le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains constituent le fondement d’une société démocratique et pluraliste » et « il en résulte qu’en principe, on peut juger nécessaire […] de sanctionner, voire de prévenir, toutes les formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine fondée sur l’intolérance […], si l’on veille à ce que les […] "restrictions" ou "sanctions" imposées soient proportionnées au but légitime poursuivi » (CEDH 6 juill. 2006, Erbakan c/ Turquie, n° 59405/00, § 56).

Si la présente affaire est portée devant la Cour de Strasbourg, la requête risque de se heurter à une irrecevabilité (qu’elle soit jugée manifestement mal fondée ou que la protection de l’article 10 soit refusée, sur le fondement de l’article 17, à des propos portant atteinte aux valeurs qui sous-tendent la Convention ; Comp. CEDH 20 oct. 2015, M’Bala M’Bala c/ France, n° 25239/13, § 32, Dalloz actualité, 13 nov. 2015, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2016. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen  ; RSC 2016. 140, obs. J.-P. Marguénaud ). En 2022, la Cour de Strasbourg avait déjà rappelé au polémiste devenu homme politique la relativité du droit à la liberté d’expression (J.-P. Marguénaud, obs. ss. CEDH 20 déc. 2022, Zemmour c/ France, n° 63539/19, AJDA 2023. 118, chron. L. Burgorgue-Larsen  ; Légipresse 2023. 15 et les obs.  ; ibid. 502, chron. C. Bigot  ; RSC 2023. 190, obs. J.-P. Marguénaud ), concernant des propos constitutifs d’une provocation à la discrimination et à la haine religieuse tenus en direct à la télévision à une heure de grande écoute.

 

Crim. 2 sept. 2025, F-B, n° 24-82.963

par Sabrina Lavric, Maître de conférences, Université de Lorraine

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