Maintien en détention provisoire d’un mineur après sa mise en accusation : censure des dispositions de l’article L. 434-9 du code de la justice pénale des mineurs
Par une décision du 27 juin 2025, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution l’article L. 434-9 du code de la justice pénale des mineurs qui permet, par renvoi à l’article 181 du code de procédure pénale applicable aux majeurs, de maintenir un mineur mis en accusation en détention provisoire jusqu’à son jugement devant la cour d’assises des mineurs.
L’introduction du code de la justice pénale des mineurs avait pour ambition de rassembler « l’ensemble des dispositions applicables aux mineurs en matière pénale dans un même code, organisé de manière intelligible, accessible pour le mineur, sa famille mais également l’ensemble des professionnels de la justice des mineurs » (Document de politique transversale du garde des Sceaux, Justice des mineurs, 2021).
La présente décision du Conseil constitutionnel souligne toutefois que l’articulation entre les dispositions spécifiques applicables aux mineurs et le renvoi qui est parfois laissé à celles du code de procédure pénale peut s’avérer délicat. Elle est par ailleurs l’occasion de rappeler les règles applicables en matière de détention provisoire des mineurs et la nécessité que les mesures les concernant soient prononcées dans le cadre de procédures appropriées.
La détention provisoire des mineurs en quelques chiffres
Les mineurs détenus en France représentent une très faible minorité des personnes détenues. Au 1er janvier 2023, 614 mineurs étaient incarcérés pour une totalité de 72 173 personnes détenues. Ces chiffres étaient respectivement, au 1er janvier 2025, de 745 et de 80 669. En 2023 comme en 2025, les mineurs représentaient ainsi 0,9 % des personnes détenues.
L’incarcération des mineurs l’est principalement, et contrairement aux majeurs, au titre de la détention provisoire. En effet, tant au 1er janvier 2023 qu’au 1er janvier 2025, 61 % des mineurs détenus l’étaient dans le cadre de cette mesure de sûreté contre 26,3 % et 25,8 % à ces dates pour les majeurs. Plus d’un mineur sur deux incarcéré l’était donc dans le cadre de la détention provisoire (Statistique du ministère de la Justice, relatif aux établissements aux personnes écrouées en France).
Ce chiffre particulièrement élevé par rapport aux majeurs s’explique en partie par le fait que la détention des mineurs est en tendance beaucoup plus courte que celle des majeurs : 2,8 mois en moyenne contre 8,9 pour les majeurs (DPJJ, Alice Simon, Les effets de l’enfermement sur les mineurs détenus, sept. 2023). Il peut également résulter de ce que l’incarcération chez les mineurs apparaît comme une mesure exceptionnelle et que si celle-ci est déjà intervenue en phase pré-sentencielle, elle a moins vocation à être prononcée au titre de la peine, même dans l’hypothèse d’une peine d’emprisonnement. Le code de la justice pénale des mineurs prévoit d’ailleurs une exigence de motivation spéciale lors du prononcé d’une telle peine avec ou sans sursis (CJPM, art. L. 123-1).
La détention provisoire d’un mineur lors d’une information judiciaire : une mesure strictement encadrée dans ses conditions
Le placement en détention d’un mineur au cours d’une information judiciaire est subordonné à des conditions générales ainsi qu’à des conditions particulières en fonction de l’âge et de l’infraction encourue.
L’article L. 334-2 du code de la justice pénale des mineurs encadre les conditions générales du placement en détention d’un mineur. Cette mesure ne peut être ordonnée ou prolongée que si trois conditions sont réunies : la détention provisoire doit (1) être indispensable et (2) il doit être démontré au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure et des éléments de personnalité préalablement recueillis qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à l’un des objectifs de l’article 144 du code de procédure pénale et (3) que ces objectifs ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE).
L’article L. 334-2 du code de la justice pénale des mineurs s’inscrit très clairement dans la lignée de l’article 144 du code de procédure pénale, qui envisage la détention comme une mesure de dernier recours lorsque le contrôle judiciaire ou l’ARSE n’est pas envisageable, mais pose un cadre juridique plus strict. En effet, aux « éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure » susceptibles de justifier de ce que la détention serait l’unique moyen de parvenir aux objectifs de l’article 144 s’ajoutent les « éléments de personnalité préalablement recueillis » concernant le mineur. Surtout, la lettre de l’article L. 334-2 précise expressément que la détention « doit être indispensable ». Si l’on peut voir une lapalissade dans cet ajout textuel, il n’en demeure pas moins qu’il traduit le caractère exceptionnel que doit présenter le recours à cette mesure chez les mineurs ainsi que la consécration d’un régime plus restrictif que pour les majeurs.
Les articles L. 334-5 et suivants du code de la justice pénale des mineurs posent par ailleurs les conditions particulières du placement en détention d’un mineur en fonction de son âge et de l’infraction qui lui est reprochée.
La détention provisoire du mineur âgé de moins de seize ans (et de plus de 13 ans) ne peut être ordonnée que s’il encourt une peine criminelle ou, s’il encourt une peine correctionnelle, en cas de non-respect d’un placement en centre éducatif fermé (CEF) prononcée dans le cadre d’un contrôle judiciaire (CJPM, art. L. 334-4). Dans ce dernier cas, la détention n’est possible que sous certaines conditions (violation répétée ou grave de cette obligation, violation d’une autre obligation du contrôle judiciaire et insuffisance du rappel des obligations du contrôle judiciaire). En matière correctionnelle, le placement en détention provisoire du mineur de treize à seize ans est donc particulièrement encadré.
S’agissant du mineur d’au moins seize ans, la détention n’est possible que s’il encourt une peine criminelle, s’il encourt une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à trois ans ou, s’il s’est volontairement soustrait aux obligations d’un contrôle judiciaire ou d’une ARSE, selon les mêmes conditions que celles prévues à l’article L. 334-4 du code de la justice pénale des mineurs (CJPM, art. L. 334-5).
Une mesure strictement encadrée dans sa durée
Les délais du maintien en détention durant l’information judiciaire divergent en fonction de l’âge du mineur, de l’infraction encourue et de l’étape de la procédure.
En matière correctionnelle, la durée maximale de la détention provisoire d’un mineur de moins de seize ans varie entre un mois et deux mois en fonction de la peine encourue (CJPM, art. L. 443-2). Pour le mineur d’au moins seize ans, cette durée maximale oscille entre deux mois (si la peine encourue est inférieure ou égale à sept ans d’emprisonnement) et un an. Elle est par ailleurs portée à deux ans pour les délits les plus graves (CJPM, art. L. 433-3 et L. 433-6).
En matière criminelle, la détention d’un mineur ne peut excéder un an s’il a moins de seize ans (CJPM, art. L. 433-4) et deux ans s’il a au moins seize ans (CJPM, art. L. 433-5). Pour les crimes les plus graves (terrorisme et bande organisée) et s’agissant des mineurs d’au moins seize ans, ce délai est porté à trois ans (CJPM, art. L. 433-6).
Ces délais ne s’appliquent toutefois qu’en cours d’instruction. En effet, une fois l’ordonnance de règlement rendue les articles L. 434-1 et suivants du code de la justice pénale des mineurs fixent les règles en matière de durée de la détention du mineur jusqu’à sa comparution devant une juridiction de jugement.
En matière correctionnelle, et par dérogation aux dispositions de l’article 179 du code de procédure pénale qui prévoit un délai de six mois maximum, la détention ne peut excéder trois mois pour le mineur de moins de seize ans (CJPM, art. L. 434-6) et quatre mois pour le mineur d’au moins seize ans (CJPM, art. L. 434-7).
En matière criminelle, elle ne peut excéder six mois pour le mineur de moins de seize ans renvoyé devant le tribunal pour enfants, seule juridiction compétente pour juger des crimes reprochés à un mineur de cet âge (CJPM, art. L. 434-8). Pour le mineur d’au moins seize ans mis en accusation devant la cour d’assises des mineurs, l’article L. 434-9 du code de la justice pénale des mineurs se contentait de renvoyer aux dispositions de l’article 181 du code de procédure pénale ; c’est la disposition jugée ici inconstitutionnelle.
L’inconstitutionnalité de l’article L. 434-9 du code de la justice pénale des mineurs
Alors que pour les mineurs renvoyés devant le TPE en matière correctionnelle et les mineurs de moins de seize ans renvoyés devant cette même juridiction en matière criminelle, le code de la justice pénale des mineurs prévoit des dispositions dérogatoires à celles du droit commun des articles 179 et 181 du code de procédure pénale, il se limite à un simple renvoi à l’article 181, s’agissant du mineur d’au moins seize ans mis en accusation.
Ce dernier pouvait à l’issue de sa mise en accusation être maintenu en détention jusqu’à son audience de jugement durant un délai d’un an renouvelable deux fois pour une durée de six mois (2 ans au total). Il résultait des dispositions combinées des articles L. 433-5, L. 433-6, L. 434-9 du code de la justice pénale des mineurs et 181 du code de procédure pénale qu’en matière criminelle, le mineur d’au moins seize ans pouvait être maintenu en détention pour une durée totale de quatre ans et de cinq ans pour les crimes les plus graves. Il avait déjà été souligné, lors de l’introduction du code de la justice pénale des mineurs, que les délais de l’article L. 434-9 apparaissaient particulièrement longs et traduisaient une influence croissante de la procédure des majeurs sur celle des mineurs âgés de seize à dix-huit ans (Commentaire Dalloz ss l’art. L. 434-9 CJPM).
Le Conseil constitutionnel a finalement été interrogé sur la conformité de l’article L. 434-9 à la Constitution. Au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité, il était soutenu que la procédure précédent la mise en accusation d’un mineur d’au moins seize ans était identique en termes de temps à celle concernant les majeurs et que, s’il était certes possible de différencier les mineurs en fonction de leur âge, il ne saurait être admis de traiter les mineurs de seize à dix-huit ans comme des majeurs au seul motif qu’ils se rapprocheraient de la majorité. Ce d’autant plus que la cour d’assises des mineurs se rapproche déjà de la cour d’assises classique. Le secrétaire général du gouvernement soutenait, pour justifier de la conformité du texte contesté, que le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ne suppose pas que chaque phase de la procédure soit nécessairement adaptée pour chaque catégorie de mineurs. Il ajoutait que si la période postérieure à la mise en accusation du mineur ne faisait pas l’objet de dispositions spécifiques quant à la durée de la détention, il en était différemment s’agissant de la période antérieure à l’ordonnance de règlement. Il soulignait que cette période ne pouvait dépasser, hors les cas les plus graves, deux ans s’agissant des mineurs quand elle pouvait aller de deux à quatre ans s’agissant des majeurs.
Dans sa décision du 27 juin 2025, le Conseil constitutionnel censure l’article L. 434-9. Pour ce faire, il rappelle dans un premier temps les termes du principe fondamental reconnu par les lois de la République d’adaptation de la réponse pénale à la situation particulière des mineurs (Cons. const. 29 août 2002, n° 2002-461 DC, Ayrault, D. 2003. 1127
, obs. L. Domingo et S. Nicot
; AJDI 2002. 708
; RSC 2003. 606, obs. V. Bück
; ibid. 612, obs. V. Bück
). Il découle de ce principe que les mesures prises à l’encontre des enfants délinquants doivent, d’une part, rechercher en priorité leur relèvement éducatif et moral, d’autre part, être adaptées à leur âge et à leur personnalité et, enfin, être prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures adaptées (Cons. const. 29 juin 2025, n° 2025-886 DC – Communiqué de presse, Dalloz actualité, 9 juill. 2025, obs. C. Tenenhaus ; JA 2025, n° 723, p. 7, obs. N. Coudurier
).
Les Sages de la rue Montpensier ajoutent que si le législateur peut prévoir qu’au-dessus d’un âge minimum des mineurs soient placés et maintenus en détention, « il ne peut être recouru à une telle mesure que dans des cas exceptionnels et s’agissant d’infractions graves » et que la mise en œuvre de cette procédure, qui « doit être subordonnée à la décision et soumise au contrôle d’un magistrat spécialisé dans la protection de l’enfance, nécessite des garanties particulières ». En effet, l’article L. 12-1 du code de la justice pénale des mineurs consacre le principe de spécialisation de la justice pénale des mineurs et prévoit que les infractions qui leur sont reprochées sont instruites et jugées par des juridictions et chambres spécialisées ou spécialement désignées ou composées (juge des enfants, TPE, cour d’assise des mineurs, juge d’instruction, et JLD).
Ils jugent alors que le maintien en détention du mineur mis en accusation procède, d’une part, du « seul effet de la loi et non de la décision d’un magistrat spécialisé dans la protection de l’enfance chargé de contrôler la nécessité et la rigueur de la mesure au regard de la situation du mineur » et, d’autre part, que la durée maximale de la détention « qui peut atteindre deux ans, ne fait l’objet d’aucune adaptation par rapport à celle applicable aux majeurs mis en accusation devant une juridiction criminelle ».
Le Conseil constitutionnel conclut à l’inconstitutionnalité de l’article L. 434-9 du code de la justice pénale des mineurs dès lors qu’en « permettant pour une telle durée le maintien en détention provisoire du mineur sans prévoir de procédure appropriée, les dispositions contestées méconnaissent les exigences du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ». L’effet dans le temps de cette abrogation est reporté au 1er juillet 2026 en ce qu’une abrogation immédiate conduirait à exclure toute possibilité de maintien en détention d’un accusé mineur dans l’attente de sa comparution devant la cour d’assises des mineurs. Il est toutefois prévu que jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation de ces dispositions, le mineur mis en accusation ne peut être maintenu en détention que sur décision de la juridiction d’instruction compétente à qui il appartient de contrôler si, au regard des conditions prévues par l’article L. 334-2 du code de la justice pénale des mineurs, le maintien en détention n’excède pas la rigueur nécessaire.
Cette décision réaffirme avec force que l’adaptation des procédures concernant les mineurs est un principe à valeur constitutionnelle auquel il ne saurait être dérogé même pour les mineurs proches de la majorité. Elle s’inscrit par ailleurs dans la lignée de plusieurs arrêts protecteurs rendus en matière de détention provisoire des mineurs qui avaient rappelé que les règles de procédure relatives au prononcé de cette mesure de sûreté doivent s’apprécier avec rigueur. Il en est notamment ainsi s’agissant du strict respect du principe de publicité restreinte (Crim. 26 mars 2025, n° 25-80.005, Dalloz actualité, 8 avr. 2025, obs. C.-A. Vaz-Fernandez ; D. 2025. 1489, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire
) ou encore de celui de la nécessaire spécialisation du parquet en cas de réquisition aux fins de placement en détention (Crim. 13 avr. 2023, n° 23-80.470, Dalloz actualtié, 16 juin 2023, obs. A. Lefebvre ; D. 2023. 1615, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire
; AJ fam. 2023. 246, obs. L. Mary
; AJ pénal 2023. 349, obs. E. Gallardo
).
Elle ne peut en outre qu’être approuvée en ce qu’elle devrait conduire à une modification législative permettant une meilleure garantie des conditions du maintien en détention d’un mineur d’au moins seize ans mis en accusation. Cela est d’autant plus vrai que les effets de l’enfermement chez les jeunes sont lourds de conséquence et ont tendance à s’accentuer à raison de sa durée (A. Simon, Rapport préc.). En effet, le manque de moyens en détention de plus en plus décrié et les conditions d’incarcération qui font de la prison un lieu « où s’aggravent les risques de désocialisation » concernent, hélas, aussi les mineurs.
Cons. const. 27 juin 2025, n° 2025-1143 QPC
par Charlotte Tenenhaus, Avocate au barreau de Paris
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