Majeur protégé et saisine du juge des libertés et de la détention dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement

Le majeur placé sous une mesure de curatelle n’a pas besoin de l’assistance de son curateur pour remettre en question la décision de maintien de soins psychiatriques sans consentement à son égard.

L’actualité des soins psychiatriques sans consentement semble légèrement plus calme depuis ces derniers mois. Une telle accalmie contraste assez fortement avec les temps tumultueux que nous avons connus pour les mesures d’isolement et de contention dont les abrogations successives ont rythmé les années 2020 et 2021 (en 2020 : Civ. 1re, QPC, 5 mars 2020, n° 19-40.039 QPC, Dalloz actualité, 15 avr. 2020, obs. C. Hélaine ; Cons. const. 19 juin 2020, n° 2020-844 QPC, Dalloz actualité, 16 juill. 2020, obs. D. Goetz ; AJDA 2020. 1265  ; D. 2020. 1559, et les obs. , note K. Sferlazzo-Boubli  ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot  ; RTD civ. 2020. 853, obs. A.-M. Leroyer  ; En 2021 : Civ. 1re, QPC, 1er avr. 2021, n° 21-40.001, Dalloz actualité, 15 avr. 2021, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2021. 380, obs. A.-M. Leroyer  ; Cons. const. 4 juin 2021, n° 2021-912/913/914 QPC, AJDA 2021. 1176  ; D. 2021. 1324, et les obs. , note K. Sferlazzo-Boubli  ; v. encore en 2023 : Cons. const. 31 mars 2023, n° 2023-1040/1041 QPC, Dalloz actualité 6 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 762 , note L. Bodet et V. Tellier-Cayrol ). C’est aujourd’hui l’architecture générale des mesures psychiatriques sans consentement qui est à l’honneur dans un arrêt promis aux honneurs du Bulletin publié le 5 juillet 2023. Celui-ci permet de revenir sur le croisement du droit des majeurs protégés avec celui des hospitalisations sous contrainte.

Le 16 août 2022, une personne, placée sous une mesure de curatelle, est admise en soins psychiatriques sans consentement. La mesure prend la forme d’une hospitalisation complète par décision du directeur de l’établissement concerné sur le fondement de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique. Le 22 août suivant, le même directeur d’établissement saisit le juge des libertés et de la détention pour poursuivre la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique. Le 25 août, le juge ordonne la poursuite de l’hospitalisation complète. L’intéressée interjette appel en estimant que le maintien de tels soins n’est pas pertinent. Le premier président de la cour d’appel saisie déclare irrecevable l’appel formé en relevant que la majeure protégée ne pouvait pas interjeter appel sans l’assistance de son curateur. L’intéressée se pourvoit en cassation, voyant là une violation des dispositions applicables aux majeurs sous curatelle combinées à celles du code de la santé publique régissant la question des soins psychiatriques sans consentement.

La réponse apportée par la première chambre civile dans l’arrêt du 5 juillet 2023 est sans détour. Le paragraphe n° 8 de la décision commentée précise que « tant la saisine du juge des libertés et de la détention aux fins d’obtenir la mainlevée d’une mesure de soins sans consentement que l’appel de sa décision maintenant une telle mesure constituent des actes personnels que la personne majeure protégée peut accomplir seule ».

Une motivation dans les canons du droit des majeurs vulnérables

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 juillet 2023 est motivé par le rappel de plusieurs dispositions issues du droit des majeurs protégés, à savoir les articles 415 et 459 du code civil. Il s’agit de dispositions assez générales au demeurant afin de fonder cette solution permettant au majeur de saisir le juge des libertés et de la détention pour obtenir la mainlevée de la mesure concernée. Il est exact que le code civil ne comprend aucune disposition spécifique sur ce croisement pourtant bien fréquent entre la protection des majeurs vulnérables et l’hospitalisation sans consentement. C’est ce qui explique la mobilisation de ces textes généraux afin de rappeler quelques constantes essentielles en l’espèce. La mesure de protection a, en effet, comme finalité l’intérêt de la personne protégée tout en favorisant l’autonomie de celle-ci quand ceci reste possible conformément à l’article 415 du code civil.

La décision commentée est, par conséquent, fortement empreinte de cette autonomie notamment au paragraphe n° 5 de l’arrêt puisque le majeur protégé peut accomplir une telle saisine seul dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement. La solution va donc au-delà de la simple curatelle eu égard à la rédaction générale du paragraphe n° 8 comme le proposait par ailleurs le moyen de la demanderesse à la cassation. Comme renfort à l’autonomie, on trouve la référence à des « actes personnels » qui échappent par nature à l’assistance obligatoire prévue par le code civil dans certaines situations précises dans le cadre d’une curatelle. La saisine du juge des libertés et de la détention fait partie de cette catégorie d’acte que le majeur protégé peut réaliser seul.

Alors, certes, l’article 468, alinéa 3, du code civil pouvait faire hésiter sur la question puisque ce texte précise que l’assistance du curateur est requise pour introduire une action ou y défendre. Ce texte n’est pas visé par la première chambre civile, là où on aurait pu raisonnablement attendre un paragraphe supplémentaire sur son lien avec la réponse apportée notamment au moment de l’étude de la qualification d’acte personnel que représente la saisine du juge des libertés et de la détention.

La raison de cette mise à l’écart reste assez simple et il faut la trouver du côté de la spécificité des soins psychiatriques sans consentement et des dispositions du code de la santé publique.

Une motivation dans les canons du droit de l’hospitalisation sous contrainte

Le troisième texte utilisé par la première chambre civile est, bien évidemment, un texte spécifique aux soins psychiatriques après ceux plus généraux du code civil. L’article L. 3211-12 du code de la santé publique prévoit, en effet, que la personne qui fait l’objet de soins sans consentement peut saisir le juge des libertés et de la détention. Or, la disposition ne vient pas distinguer entre le majeur protégé et le majeur qui ne l’est pas. Beaucoup de textes issus du code de la santé publique viennent, en effet, opérer de telles distinctions rendant ainsi la motivation de la première chambre civile à l’abri d’une critique de méthodologie. Puisque la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer, en somme, en pareille situation. Le code de la santé publique évoque bien la possibilité d’une saisine par l’intéressé pour obtenir la mainlevée de la mesure, celui-ci peut donc diligenter une telle action même s’il est placé sous curatelle, et ce sans l’assistance obligatoire de son curateur.

Cette référence au code de la santé publique permet de replacer la décision sous l’angle du droit des soins psychiatriques sans consentement. Il n’aurait été que guère compréhensible que le majeur protégé placé en unité de soins psychiatriques sous contrainte ne puisse saisir le juge des libertés et de la détention qu’avec l’assistance de son curateur. C’est bien lui et lui seul qui fait l’objet des soins sans son consentement. En somme, l’arrêt du 5 juillet 2023 offre une protection raisonnée du majeur protégé contre la mesure qu’il conteste. Il peut diligenter une telle action puisque celle-ci est un acte purement personnel eu égard à la privation de liberté qu’elle représente.

La pratique en sera donc avertie. En présence d’un majeur protégé, celui-ci peut saisir le juge des libertés et de la détention quand il est placé sous une mesure de protection, et ce de manière autonome. Le principe vaut tant pour la saisine que pour l’appel de la décision qui maintient la mesure.

 

© Lefebvre Dalloz