Maladie : conformité à la constitution du mode d’acquisition des congés payés
Les règles d’acquisition des congés payés pendant la maladie ne portent pas atteinte au droit au repos garanti par la Constitution.
 
                            Depuis la série d’arrêts rendus par la Cour de cassation le 13 septembre 2023 (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-17.340, n° 22-17.638, n° 22-14.043 et n° 22-11.106, Dalloz actualité, 28 sept. 2023, obs. C. Martin, D. Dellome, F. Didier-Cherpitel, et O. Deakins ; D. 2023. 1936  , note R. Tinière
, note R. Tinière  ; JA 2023, n° 686, p. 11, obs. A. Kras
 ; JA 2023, n° 686, p. 11, obs. A. Kras  ; ibid. 2024, n° 692, p. 40, étude J.-F. Paulin et M. Julien
 ; ibid. 2024, n° 692, p. 40, étude J.-F. Paulin et M. Julien  ; RDT 2023. 639, chron. M. Miné
 ; RDT 2023. 639, chron. M. Miné  ), les employeurs évoluent dans une incertitude et dans une forme d’insécurité juridique quant aux modalités qu’il convient désormais d’appliquer s’agissant du calcul des congés payés lorsque le salarié connait une période d’arrêt maladie.
), les employeurs évoluent dans une incertitude et dans une forme d’insécurité juridique quant aux modalités qu’il convient désormais d’appliquer s’agissant du calcul des congés payés lorsque le salarié connait une période d’arrêt maladie.
Les hauts magistrats ont en effet considéré – à la lumière du droit de l’Union européenne – que s’agissant des salariés en arrêt de travail pour maladie professionnelle ou en cas d’accident du travail, l’acquisition de congés payés ne devait plus être limitée à la première année d’arrêt de travail, mais vaut pour toute la durée de l’arrêt de travail. Il en va de même dans les hypothèses d’arrêts d’origine non professionnelle (n° 22-17.340, préc.).
Il ressort en outre de l’une de ces décisions que cette nouvelle position peut être invoquée y compris pour des périodes antérieures au 13 septembre 2023, la rétroactivité pouvant potentiellement s’envisager au-delà des trois ans de la prescription normalement applicable si l’employeur n’a pas « pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés » (n° 22-11.106, préc.).
C’est dans ce contexte que le Conseil constitutionnel s’est vu saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à l’acquisition de congés payés durant des périodes d’arrêt du travail pour raison de santé formulée par une salariée arrêtée sur plusieurs longues périodes pour maladie non professionnelle et pour accident du travail. L’intéressée s’était en effet vue licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement, elle a alors saisi les prud’hommes de demandes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail.
La Cour de cassation avait alors accédé à sa demande et renvoyé au Conseil les questions prioritaires de constitutionnalité, les estimant « sérieuses », portant sur des textes applicables au litige n’ayant pas déjà été déclarés conformes à la Constitution (Soc. 15 nov. 2023, n° 23-14.806 FS-B, Dalloz actualité, 27 nov. 2023, obs. S. Bloch et O. Deakins ; JA 2024, n° 692, p. 40, étude J.-F. Paulin et M. Julien  ).
).
Une conformité constitutionnelle affirmée à l’aune du droit à la santé et au repos
La première question portait sur les dispositions du code du travail (C. trav., art. L. 3141-1 et L. 3141-5, 5°) qui, à défaut de travail effectif, privent un salarié de tout droit à l’acquisition de congés payés en cas arrêt de travail pour maladie non professionnelle et – au-delà d’une période d’un an – en cas d’arrêt de travail pour maladie professionnelle.
C’est l’éventuelle atteinte au droit à la santé et au repos garanti par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (11e al.) qui était alors ici interrogée.
La réponse du juge constitutionnel est sans ambages : les règles d’acquisition des congés payés pendant la maladie ne portent pas atteinte au droit au repos et à la santé garantis par la Constitution.
Le raisonnement des hauts magistrats a pris pour assise les objectifs qu’avait eus le législateur pour fixer une telle règle, et il apparaît que selon les travaux préparatoires de la loi du 18 avril 1946, les dispositions contestées avaient pour but d’éviter que le salarié, victime d’un accident ou d’une maladie professionnelle et entraînant la suspension de son contrat de travail, ne perde tout droit à congé payé au cours de cette période.
Dès lors, selon lui, au regard de cet objectif, le législateur pouvait assimiler à des périodes de travail effectif les seules périodes d’absence du salarié pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, sans étendre le bénéfice d’une telle assimilation aux périodes d’absence pour maladie non professionnelle ; de même était-il loisible au législateur de limiter cette mesure à une durée ininterrompue d’un an pour le salarié en AT/MP.
Le Conseil saisit l’occasion pour préciser qu’il n’était pas de son ressort de rechercher si les objectifs du législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi n’étaient pas manifestement inappropriées à l’objectif visé.
Une conformité constitutionnelle au regard du principe d’égalité
La deuxième question prioritaire de constitutionnalité ciblait quant à elle l’article L. 3145-5 (5°) à propos de la différence de prise en compte des arrêts de travail pour l’acquisition des congés payés selon la nature de l’arrêt de travail quant à sa conformité au principe d’égalité garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (art. 6) et la Constitution du 4 octobre 1958 (art. 1).
À l’aune de ce principe, il est classique que si la loi doit être la même pour tous, pour autant, le législateur peut régler de façon différente des situations différentes et déroger à l’égalité pour des raisons d’intérêt général si la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
Or, en l’espèce, l’éminente juridiction va considérer que la maladie professionnelle et l’accident du travail, qui trouvent leur origine dans l’exécution même du contrat de travail, se distinguent des autres maladies ou accidents pouvant affecter le salarié.
C’est pourquoi, au regard de l’objet de la loi, le législateur a pu prévoir des règles différentes d’acquisition des droits à congé payé pour les salariés en arrêt maladie selon le motif de la suspension de leur contrat de travail.
Il en conclut que la différence de traitement reprochée est fondée sur une différence de situation et est donc en rapport avec l’objet de la loi.
Une incertitude persistante
La décision du Conseil ne modifie ainsi guère les lignes et la situation pour les employeurs qui peuvent toujours se voir opposer la solution de la chambre sociale du 13 septembre 2023, et adresser des demandes d’indemnités de congés payés inhérentes à des périodes d’arrêt maladie.
La nécessité pour le législateur de mettre le droit français en conformité avec le droit européen n’est pas éludée du seul fait d’une déclaration de conformité à la Constitution, qui opère sur un registre indépendant. L’on notera dans cette perspective qu’une mise en conformité sans surtransposition a été annoncée par Mme Élisabeth Borne lorsqu’elle était Première ministre.
La décision du Conseil constitutionnel laisse dans ce contexte la voie du maintien d’un traitement différencié entre les AT/MP et les arrêts pour maladie non professionnelle dans les prochains textes en cours d’élaboration en la matière, celle-ci n’étant a priori en elle-même pas incompatible avec les exigences posées par la Constitution, ni par celles de l’Union européenne.
Compte tenu des contraintes du droit de l’Union européenne, le législateur pourrait limiter dans le temps le report des congés payés comme le permet la jurisprudence européenne, à la condition que la période de report ait une durée « substantiellement » supérieure à celle de la période de référence pour laquelle elle est accordée (telle qu’une période de 15 mois, mais pas 12 mois ou moins ; CJUE 22 nov. 2011, aff. C-214/10, JA 2012, n° 453, p. 12, obs. L.T.  ; RDT 2012. 371, obs. M. Véricel
 ; RDT 2012. 371, obs. M. Véricel  ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier
 ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier  ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis
 ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis  ; 3 mai 2012, aff. C-337/10, CJUE, D. 2012. 1269
 ; 3 mai 2012, aff. C-337/10, CJUE, D. 2012. 1269  ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci
 ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci  ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier
 ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier  ; ibid. 2013. 677, obs. F. Benoît-Rohmer
 ; ibid. 2013. 677, obs. F. Benoît-Rohmer  ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis
 ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis  ).
).
De même pourrait-il limiter la prise en compte des arrêts de travail pour accident ou maladie non professionnelle à l’acquisition des quatre premières semaines de congés payés garanties par la directive européenne de 2003, maintenant ainsi une différence avec les arrêts de travail AT/MP qui pourraient rester acquérables au-delà.
Resterait l’incertitude liée à la rétroactivité des décisions, dont on pourrait envisager que le gouvernement opère par voie de disposition dite « de validation » destinée à protéger les entreprises pour le passé. Une telle mesure, déjà appliquée par le passé à l’occasion de la loi Aubry II (Loi n° 2000-37 du 19 janv. 2000, art. 29), conduirait à priver les salariés de recours pour les périodes antérieures, et devrait alors être justifiée par des « motifs impérieux d’intérêt général », en ce qu’elle dérogerait « à la prééminence du droit et à la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », lesquels s’opposent « à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire des litiges » (Cass., ass. plén., 24 janv. 2003, n° 01-40.967 et n° 01-41.757, Anger (Mme) c/ Promotion des handicapés dans le Loiret (Assoc.), D. 2003. 1648, et les obs.  , note S. Paricard-Pioux
, note S. Paricard-Pioux  ; Dr. soc. 2003. 373, rapp. J. Merlin
 ; Dr. soc. 2003. 373, rapp. J. Merlin  ; ibid. 430, obs. X. Prétot
 ; ibid. 430, obs. X. Prétot  ; ibid. 767, obs. J. Barthélémy
 ; ibid. 767, obs. J. Barthélémy  ; RFDA 2003. 470, note B. Mathieu
 ; RFDA 2003. 470, note B. Mathieu  ; RDSS 2003. 306, note D. Boulmier
 ; RDSS 2003. 306, note D. Boulmier  ).
).
Cons. const. 8 févr. 2024, n° 2023-1079 QPC
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