Maladie et congés payés : le Conseil constitutionnel va devoir se prononcer

Après avoir été déclaré, sans grande surprise et de façon « inévitable », selon les mots du doyen Huglo, les articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail contraires à l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoyant un droit au repos ainsi qu’un droit à une période annuelle de congés payés, la Cour de cassation soumet de nouveau à l’épreuve la légitimité de ces textes en renvoyant au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité afin qu’il statue sur leur conformité au bloc de constitutionnalité.

Au cas d’espèce, une salariée a été embauchée en contrat à durée déterminée le 12 octobre 2009. La salariée a été en arrêt de travail pour maladie non professionnelle du 10 novembre 2014 au 30 décembre 2014, soit durant une période de près de cinquante jours. Au cours de l’exécution de son contrat de travail, la salariée a également été en arrêt de travail, cette fois-ci pour accident du travail, du 31 décembre 2014 au 13 novembre 2016, soit durant une période de près de deux ans. Enfin, la salariée a été en arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle du 19 novembre 2016 au 17 novembre 2019, soit pendant près de trois ans.

Pour mémoire, seules les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, au cours desquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle sont assimilées à du temps de travail effectif pour l’acquisition des deux jours et demi ouvrables de congés par mois de travail effectif (C. trav., art. L. 3141-3 et L. 3141-5). La Cour de justice de l’Union européenne jugeait déjà ces textes non conformes au droit de l’Union, dans ses arrêts Schult-Hoff et Dominguez (CJCE 20 janv. 2009, aff. C-350/06, Schultz-Hoff, pt 41, AJDA 2009. 245, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert  ; RDT 2009. 170, obs. M. Véricel  ; RTD eur. 2010. 673, chron. S. Robin-Olivier  ; Rev. UE 2014. 296, chron. V. Giacobbo-Peyronnel et V. Huc  ; CJUE 24 janv. 2012, aff. C-282/10, Dominguez, pt 20, D. 2012. 369  ; ibid. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; JA 2012, n° 454, p. 12, obs. L.T.  ; RDT 2012. 371, obs. M. Véricel  ; ibid. 578, chron. C. Boutayeb et E. Célestine  ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci  ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier  ; ibid. 2013. 677, obs. F. Benoît-Rohmer  ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis ) en rappelant que l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement et du Conseil du 4 novembre 2003 n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Après avoir maintenu une jurisprudence contraire à la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 au regard de l’absence d’effet direct horizontal du texte en l’absence de transposition (Soc. 13 mars 2013, n° 11-22.285 P, D. 2013. 778  ; Dr. soc. 2013. 564, obs. S. Laulom  ; ibid. 576, chron. S. Tournaux  ; RDT 2013. 341, obs. M. Véricel  ; RTD eur. 2014. 435, obs. B. Le Baut-Ferrarese  ; ibid. 460, obs. B. de Clavière ), la Cour de cassation a porté un coup d’estoc au droit de l’acquisition des congés payés tel qu’il résulte de sa consécration en droit interne. En se raccrochant cette fois-ci à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment son article 31, § 2, qui est d’effet direct horizontal, la Cour de cassation juge désormais qu’un salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre des périodes de suspension du contrat de travail par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non-professionnelle (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-17.340 B, D. 2023. 1936 , note R. Tinière  ; JA 2023, n° 686, p. 11, obs. A. Kras  ; RDT 2023. 639, chron. M. Miné ) ou pour cause d’accident du travail ou maladie professionnelle sans limitation de durée (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-17.638 P, Cass., 13 sept. 2023, n° 22-17.638, D. 2023. 1936 , note R. Tinière  ; JA 2023, n° 686, p. 11, obs. A. Kras  ; RDT 2023. 639, chron. M. Miné ).

La Cour de cassation, dans le sillage de la jurisprudence de la Cour de justice, considère désormais que le défaut d’acquisition de congés payés au titre des périodes de suspension du contrat de travail pour arrêt de travail en cas d’accident ou de maladie professionnelle ou non-professionnelle est contraire au droit au repos protégé par les textes européens. Dans la mesure où le droit à la santé et au repos fait également l’objet d’une protection constitutionnelle (Préambule de la Constitution du 27 oct. 1946, al. 11), la question prioritaire de constitutionnalité semblait prévisible (et avait été, en toute hypothèse, annoncée par le doyen Huglo, v. J.-G. Huglo, préc.).

L’inconstitutionnalité après l’inconventionalité ?

Deux questions prioritaires de constitutionnalité ont été soumises à l’examen des sages. La première portait sur la conformité des articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5°, du code du travail au droit à la santé et au repos tels qu’il résulte de l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; la seconde sur la conformité de ces textes au principe d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958.

Le droit au repos et à la santé au soutien d’une déclaration d’inconstitutionnalité

La Cour de cassation renvoie l’assimilation à géométrie variable des périodes de suspension du contrat pour cause de maladie à du temps de travail effectif prévue par le code du travail à l’épreuve du bloc de constitutionnalité. L’argument tiré de la méconnaissance du droit au repos n’est pas nouveau. La valeur constitutionnelle du droit au repos a déjà été affirmée par le Conseil constitutionnel au visa de l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946. Ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il déjà eu l’occasion de juger constitutionnels l’article 1er de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail portant la durée du travail hebdomadaire à 35 heures ainsi que l’article 95 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des TPE/PME élargissant la possibilité de conclure une convention de forfait en jours sur l’année aux salariés non cadres dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées (Cons. const. 13 janv. 2000, n° 99-423 DC, D. 2001. 1837 , obs. V. Bernaud  ; Dr. soc. 2000. 257, note X. Prétot  ; 29 juill. 2005, n° 2005-523 DC ; 6 août 2009, n° 2009-588 DC, AJDA 2009. 1519  ; ibid. 2120 , note J. Wolikow  ; D. 2010. 1508, obs. V. Bernaud et L. Gay  ; Dr. soc. 2009. 1081, note V. Bernaud  ; RFDA 2009. 1269, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier ). Ainsi que le rappelle le rapporteur chargé du rapport sur l’arrêt commenté, l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 a été le fondement de la construction de la jurisprudence – très critiquée, notamment par le Centre européen des droits sociaux – de la chambre sociale depuis 2011 sur le forfait annuel en jours (P. Flores, Rapp., p. 25).

L’argument tiré du droit au repos et à la santé tient au fait qu’il est désormais constant que le droit aux congés payés se décompose en un droit à double finalité de repos et de loisirs (CJUE 20 janv. 2009, Schultz-Hoff, aff. C-350/06 et C-520/06, pt 25, préc. ; 4 oct. 2018, Dicu, aff. C-12/17, pts 27 s., RTD eur. 2019. 401, obs. F. Benoît-Rohmer  ; 13 déc. 2018, Torsten Hein, aff. C-385/17, RTD eur. 2019. 401, obs. F. Benoît-Rohmer ). L’avocate générale près la Cour de cassation abonde en ce sens en rappelant que la finalité des congés annuels est le respect du droit au repos contrairement à celui du « congé maladie » qui a pour finalité de permettre au salarié de recouvrer la santé. Au surplus, il paraît difficile de soutenir que le salarié en arrêt de travail durant une longue période a pu se « reposer » dans la mesure où durant cette période il reste soumis à son obligation de loyauté et ne peut vaquer librement à ses occupations (v. en ce sens, C. Radé, Les incertitudes d’un report, les enseignements d’un rapport, Dr. soc. 2023. 745). La Cour de cassation retient certes de façon constante que l’exercice d’une activité, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie, ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté (Soc. 11 juin 2003, n° 02-42.818 ; 12 oct. 2011, n° 10-16.649, D. 2011. 2604, obs. J. Siro  ; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; RDT 2011. 698, obs. S. Maillard-Pinon  ; 1er févr. 2023, n° 21-20.526, JA 2023, n° 678, p. 40, étude Lou Morieux ) ; le salarié prend tout de même un risque vis-à-vis de la Sécurité sociale tant il a pu être jugé que la participation à une compétition sportive durant un arrêt de travail pour cause de maladie pouvait être une cause légitime de suspension du versement des indemnités journalières (Civ. 2e, 9 déc. 2010, n° 09-14.575, D. 2011. 87, et les obs. ), et donc une perte, pour le salarié, de ses seuls moyens de subsistance durant cette période.

En toute hypothèse, le moyen tiré du manquement à l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution 1946 ne semble pas être celui le plus à même d’entraîner l’inconstitutionnalité du dispositif (v. en ce sens, F. Champeaux, Une QPC sur les congés transmise au Conseil constitutionnel, SSL 2023, n° 2068). Le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement qu’il est loisible au législateur de déterminer les modalités de mise en œuvre du droit au repos et à la santé les plus appropriées pour parvenir à la finalité poursuivie (Cons. const. 18 déc. 1997, n° 97-393 DC, consid. 30 s., AJDA 1998. 181  ; ibid. 127, note J.-E. Schoettl  ; D. 1998. 523 , note V. Champeil-Desplats  ; ibid. 1999. 234, obs. L. Favoreu  ; Dr. soc. 1998. 164, note X. Prétot  ; RFDA 1998. 148, note B. Mathieu ). Pour le dire clairement, le législateur dispose d’une marge de manœuvre importante en matière de consécration du droit au repos et à la santé et le Conseil constitutionnel tend à faire preuve de retenue lorsqu’il manipule l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 (Rép. trav.,  Droit constitutionnel du travail, par B. Bauduin, nos 208 et 209).

L’acquisition de droit à congé contraire au principe d’égalité devant la loi ?

Les articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5°, du code du travail opèrent une distinction selon que le salarié est en arrêt de travail pour cause professionnelle ou non professionnelle. L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme dispose que la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ; les différences de traitement pour des raisons d’intérêt général sont admises pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit (Cons. const. 4 juill. 1989, n° 89-254 DC, D. 1990. 209 , note F. Luchaire  ; Rev. sociétés 1990. 27, note Y. Guyon  ; RTD civ. 1990. 519, obs. F. Zenati ). Le Conseil dispose ainsi d’un fondement sérieux pour censurer les textes en cause, ce d’autant que le principe d’égalité constitue un moyen d’inconstitutionnalité privilégié face aux droits-créances, quitte à parfois tendre à une « invisibilité des autres griefs » (Rép. trav., préc., n°s 201 et 202), dont notamment celui tiré du manquement au droit au repos et à la santé pourtant prescrit par une norme de nature constitutionnelle. En témoigne la décision du Conseil du 2 mars 2016 sur l’ancien dispositif qui excluait l’indemnité compensatrice de congés payés aux salariés licenciés pour faute lourde (Cons. const. 2 mars 2016, n° 2015-523 QPC, D. 2016. 547  ; ibid. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; Dr. soc. 2016. 475, obs. J. Mouly  ; RDT 2016. 352, obs. M. Véricel ). Les requérants soutenaient que ce mécanisme était contraire au droit au repos et à la santé prévu par l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 en ce qu’il privait le salarié licencié pour faute lourde de son droit à congé, et donc de son droit au repos. Le Conseil constitutionnel ne retient pas un tel manquement mais relève d’office que la rédaction de l’ancien article L. 3141-30 instaure une différence de traitement entre les salariés licenciés pour faute lourde selon qu’ils travaillent ou non pour un employeur affilié à une caisse de congés qui est sans rapport tant avec l’objet de la législation relative aux caisses de congés qu’avec l’objet de la législation relative à la privation de l’indemnité compensatrice de congés payés. Le Conseil d’en déduire que les dispositions contestées méconnaissent le principe d’égalité devant la loi. Le rapporteur et l’avocate générale près la Cour de cassation rappellent cette décision dans leur rapport et avis. L’avocate générale se livre même à un pré-examen de la constitutionnalité des articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5°, du code du travail en estimant que le dispositif « ne répond pas à un intérêt général identifié ou revendiqué et la différence de traitement dont les salariés font l’objet n’est pas en rapport direct avec les lois qui ont instauré les congés annuels ».

Cette préférence pour le principe d’égalité, par le Conseil, est récurrente. Ainsi a-t-il déjà choisi de censurer le dispositif organisant la prise en charge par l’assurance maladie des frais de transport des assurés sociaux en retenant une inégalité de traitement injustifiée par l’intérêt général et sans rapport avec la loi qu’elle instaure, sans examiner le moyen du requérant tiré de la violation du droit à la protection de la santé (Cons. const. 25 janv. 2019, n° 2018-757 : « une entreprise disposant d’une flotte mixte qui, pour une prestation donnée, n’est en mesure de proposer qu’un type de véhicules en raison de l’indisponibilité de l’autre type de véhicules n’est pas placée, au regard de l’objet de la loi, dans une situation différente d’une entreprise disposant d’un seul type de véhicules. La différence de traitement contestée n’est pas davantage justifiée par l’objectif d’intérêt général poursuivi par le législateur », AJDA 2019. 673  ; D. 2019. 134  ; Constitutions 2018. 604, Décision ). 

Reste à savoir si le Conseil choisira de nouveau cette voie-là.

Quelle(s) porte(s) de sortie pour les entreprises ?

Les effets d’une potentielle censure du Conseil constitutionnel ne seront sans doute pas de nature à permettre aux entreprises de neutraliser les conséquences du revirement de jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation qui, rappelons-le, pourrait permettre au salarié de formuler une demande de congés payés au titre des périodes d’arrêt de travail pour cause de maladie jusqu’au 1er décembre 2009 (Déclaration du doyen Huglo lors de la conférence de l’AFDT du 12 oct. 2023. Faute pour les salariés d’avoir été mis en mesure de prendre leurs congés payés au titre des périodes litigeuses, aucun délai de prescription n’a commencé à courir de sorte qu’il conviendrait de remonter jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Ce point fait néanmoins débat). Il appartiendra donc au législateur de se saisir de tous les moyens de droit pertinents pour tenter de limiter l’impact financier de cette jurisprudence.

Les effets limités d’une décision de censure du conseil constitutionnel

La censure du dispositif porterait, d’une part, sur le bout de phrase du 5° de l’article L. 3141-5 du code du travail limitant l’assimilation à du temps de travail effectif pour l’acquisition du droit à congé « dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an » pour les salariés en arrêt pour cause d’ATMP. D’autre part, il serait reproché au texte l’absence de mention des arrêts de travail pour cause de maladies non-professionnelles. En clair, le Conseil adopterait la position de la chambre sociale de la Cour de cassation faisant application de la Charte des droits fondamentaux interprétant la jurisprudence de la Cour de justice telle qu’elle résulte de ses arrêts du 13 novembre dernier.

Une hypothèse, plus audacieuse, pourrait permettre au Conseil, s’il devait censurer l’article L. 3141-5 du code du travail, de moduler sa décision de censure dans le temps au nom d’un principe désormais bien connu de sécurité juridique auquel il est accordé valeur constitutionnelle (Cons. const. 19 déc. 2013, n° 2013-682 DC, AJDA 2014. 649, tribune B. Delaunay  ; D. 2014. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano  ; Constitutions 2014. 87, chron. X. Bioy ) . En application de ce principe, bien que nul ne puisse se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée, tant les juridictions administratives (CE 11 mai 2004, n° 255886, Lebon avec les concl.  ; AJDA 2004. 1183 , chron. C. Landais et F. Lenica  ; ibid. 1049, tribune J.-C. Bonichot  ; ibid. 1219, étude F. Berguin  ; ibid. 2014. 116, chron. J.-E. Schoettl  ; D. 2004. 1499, et les obs.  ; ibid. 1603, chron. B. Mathieu  ; ibid. 2005. 26, obs. P.-L. Frier  ; ibid. 2187, obs. C. Willmann, J.-M. Labouz, L. Gamet et V. Antoine-Lemaire  ; Just. & cass. 2007. 15, étude J. Arrighi de Casanova  ; Dr. soc. 2004. 762, étude P. Langlois  ; ibid. 766, note X. Prétot  ; RFDA 2004. 438, note J.-H. Stahl et A. Courrèges  ; ibid. 454, concl. C. Devys  ;  24 mars 2006, n° 288460, Lebon  ; AJDA 2006. 1028 , chron. C. Landais et F. Lenica  ; ibid. 841, tribune B. Mathieu  ; ibid. 897, tribune F. Melleray  ; D. 2006. 1224  ; ibid. 1190, chron. P. Cassia  ; ibid. 1226, point de vue R. Dammann  ; Rev. sociétés 2006. 583, note P. Merle  ; RFDA 2006. 463, concl. Y. Aguila  ; ibid. 483, note F. Moderne  ; RTD civ. 2006. 527, obs. R. Encinas de Munagorri ) que judiciaires (Crim. 25 nov. 2020, n° 18-86.955, D. 2021. 167 , note G. Beaussonie  ; ibid. 161, avis R. Salomon  ; ibid. 379, chron. M. Fouquet, A.-L. Méano, A.-S. de Lamarzelle, C. Carbonaro et L. Ascensi  ; ibid. 477, chron. F. Dournaux  ; ibid. 2109, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire  ; JA 2020, n° 630, p. 3, édito. B. Clavagnier  ; AJ pénal 2020. 576, note D. Apelbaum et A. Battaglia  ; Rev. sociétés 2021. 79, étude B. Bouloc  ; ibid. 115, note H. Matsopoulou  ; RSC 2021. 69, obs. P. Beauvais  ; ibid. 525, obs. D. Zerouki-Cottin  ; RTD civ. 2021. 133, obs. H. Barbier  ; RTD com. 2020. 961, obs. L. Saenko  ; ibid. 2021. 142, obs. A. Lecourt  ; Civ 2e, 1er juill. 2021, n° 20-10.694, D. 2021. 1337  ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero  ; AJ fam. 2021. 505, obs. J. Casey ) ont été amenées à moduler les effets dans le temps des revirements de jurisprudence portant une atteinte excessive à des situations légitimement acquises. L’article 62, alinéa 2, de la Constitution reconnaît au Conseil la possibilité de reporter l’effet abrogatif d’une disposition qu’il juge inconstitutionnelle, notamment lorsque sa censure emporte des conséquences manifestement excessives. L’on fera par ailleurs remarquer que le report de l’effet abrogatif des décisions du Conseil est parfois motivé par l’existence d’une réforme en cours susceptible de purger rapidement l’inconstitutionnalité (Cons. const. 24 mai 2016, n° 2016-543 QPC, Section française de l’observatoire international des prisons, AJDA 2016. 1040  ; D. 2016. 1137  ; AJ pénal 2016. 334  ; Constitutions 2016. 359, Décision  ; ibid. 2017. 86, chron. A. Ponseille ). À cet égard, le Conseil pourra utilement se reporter aux discussions en cours autour du projet de loi d’adaptation du droit de l’UE présenté en conseil des ministres et déposé au Sénat le 15 novembre dernier, voire au projet de loi nouveau pacte de la vie au travail pour lequel les discussions devraient être menées d’ici courant 2024. Au surplus, sur une question aussi sensible que celle de l’acquisition des congés payés durant les périodes de suspension du contrat pour cause de maladie, cela permettrait au Conseil de renvoyer au Parlement le soin d’arbitrer et de légiférer dans un domaine qui relève de toute façon de sa compétence, s’agissant de la fixation des principes fondamentaux en droit du travail, en application de l’article 34 de la Constitution. Dans la mesure où l’article 62, alinéa 3, de la Constitution dispose que les décisions du Conseil s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, pourrait-on soutenir que la Cour de cassation se trouverait dans l’obligation d’appliquer, ne serait-ce que temporairement, l’article L. 3141-5 du code du travail dans sa rédaction actuelle ?

Rien n’est moins sûr. En effet, dans l’hypothèse où lorsque le juge ne fait pas droit à l’ensemble des conclusions du requérant en tirant les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition législative prononcée par le Conseil constitutionnel, il lui appartient d’examiner, lorsqu’un tel moyen est soulevé devant lui, s’il y a lieu d’écarter la disposition législative en cause en raison de son incompatibilité avec une stipulation conventionnelle ou, le cas échéant, une règle du droit de l’Union européenne (CE 13 mai 2011, nos 316734, 317808, 329290, Lebon avec les concl.  ; AJDA 2011. 988  ; ibid. 1136 , chron. X. Domino et A. Bretonneau  ; D. 2011. 1422, et les obs.  ; RFDA 2011. 789, concl. E. Geffray  ; ibid. 806, note M. Verpeaux  ; ibid. 2012. 455, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ). En pareille hypothèse, la Cour de cassation persiste donc à déployer son contrôle de conventionalité, même lorsque le Conseil décide de reporter les effets d’une censure (Civ. 1re, 9 avr. 2013, n° 11-27.071, D. 2013. 1106 , note M. Douchy-Oudot  ; ibid. 1100, avis P. Chevalier  ; ibid. 2014. 689, obs. M. Douchy-Oudot  ; AJ fam. 2013. 308, obs. P. Salvage-Gerest  ; RTD civ. 2013. 589, obs. J. Hauser ).

Une marge de manœuvre finalement restreinte pour le législateur

La transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité ne règle, au final, que peu de questions quant au fait de savoir comment régler celles nées des arrêts de la Cour de cassation du 13 novembre dernier. Il appartiendrait, à la limite, à la Cour de cassation de différer elle-même les effets de sa jurisprudence dans le temps, ce qui est un espoir aussi maigre qu’hasardeux.

L’intervention du législateur serait également très limitée tant la loi n’a d’effet que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif en application de l’article 2 du code civil. Le législateur pourrait toutefois être amené à chercher à adopter une loi de validation afin de neutraliser la rétroactivité de la jurisprudence de la chambre sociale et atténuer ses conséquences ; reste à savoir si l’acquisition des congés payés pourrait être regardée comme étant un motif impérieux d’intérêt général justifiant l’adoption d’une loi de validation portant atteinte à des situations légitimement consolidées par l’effet de la loi. La Cour de cassation adopte naturellement une vision restrictive du motif impérieux d’intérêt général (Cass., ass. plén., 24 janv. 2003, n° 01-41.757, relevant à titre d’illustration « qu’obéit à d’impérieux motifs d’intérêt général l’intervention du législateur destinée à aménager les effets d’une jurisprudence nouvelle de nature à compromettre la pérennité du service public de la santé et de la protection sociale auquel participent les établissements pour personnes inadaptées et handicapées », D. 2003. 1648, et les obs. , note S. Paricard-Pioux  ; Dr. soc. 2003. 373, rapp. J. Merlin  ; ibid. 430, obs. X. Prétot  ; ibid. 767, obs. J. Barthélémy  ; RFDA 2003. 470, note B. Mathieu  ; RDSS 2003. 306, note D. Boulmier ). Au surplus, déclarer interprétative la réécriture potentielle de l’article L. 3141-5 du code du travail, et donc doter le nouveau texte d’un effet rétroactif, ne serait pas nécessairement pertinent dans la mesure où, en toute hypothèse, le législateur devra adopter un texte conforme à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi qu’à l’interprétation que donne le Cour de justice de la directive 2003/88/CE du Parlement et du Conseil du 4 novembre 2003. L’effet interprétatif pourrait en revanche être attaché à la période de report pour laquelle la Cour de justice vient récemment de dire pour droit qu’il appartiendra au législateur de la fixer (CJUE 9 nov. 2023, aff. C‑271/22 à C‑275/22). En l’état, le droit français ne connaît aucune période légale de report, ce que les juges et les auteurs considèrent comme un « droit illimité à un report » (Soc. 24 févr. 2009, n° 07-44.488, D. 2009. 817  ; ibid. 2128, obs. J. Pélissier, T. Aubert, M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, B. Lardy-Pélissier et B. Reynès  ; RDT 2009. 241, obs. M. Véricel  ; 21 sept. 2017, n° 16-24.022,D. 2017. 1921, obs. N. explicative de la Cour de cassation  ; JA 2018, n° 572, p. 39, étude J.-F. Paulin et M. Julien  ; RDT 2018. 63, obs. M. Véricel  ; v. J. Grange et B. Allix, L’arrêt de la CJUE du 9 novembre 2023 sur le report des congés payés en cas d’arrêt maladie : une limite au séisme des 13 septembre 2023 de la Cour de cassation ?, SSL 2023, n° 2068). L’instauration rétroactive du droit au report durant une période limitée pourrait être une porte de sortie à moindre coût pour les entreprises. En revanche, il convient de conserver à l’esprit, d’une part, que la loi est interprétative lorsqu’elle vient préciser ou expliquer le sens d’une disposition préexistante (à cet égard, il n’a rien d’évident à supposer que l’adoption d’une loi sur le droit au report viendrait interpréter l’actuel art. L. 3121-5 c. trav.), et d’autre part, que les conditions d’adoption d’une loi interprétative sont désormais calquées sur celles des lois de validation, compte tenu de leur nature rétroactive.

Encore de beaux débats en perspective !

 

© Lefebvre Dalloz