Maladie et report de congés payés : mise en conformité européenne
Dès lors qu’un salarié placé en arrêt maladie pendant ses congés payés a notifié à son employeur cet arrêt, il a le droit de les voir reportés, conformément au droit de l’Union européenne.
Un salarié placé en arrêt maladie pendant un congé payé a-t-il droit au report de ce congé ?
Dans le cadre d’une procédure d’infraction, la commission européenne avait pu récemment encore reprocher à la France sur ce terrain un manquement aux règles européennes sur le temps de travail. Elle considérait alors que les règles françaises, issues de la jurisprudence, ne garantissaient pas aux salariés qui tombent malades pendant leur congé annuel la possibilité de récupérer les jours de congé qui ont coïncidé avec leur maladie. La chambre sociale avait en effet établi que lorsqu’un arrêt de travail débutait durant une période de prise de congés, le salarié relevait du régime des congés, ceux-ci étant la cause initiale de la suspension du contrat de travail. Le salarié percevait alors :
- l’indemnité de congés payés sans défalquer les indemnités journalières de la sécurité sociale, sans que l’employeur n’ait à assurer le maintien de salaire (Soc. 2 mars 1989, n° 86-42.426 P) ;
- et les indemnités journalières de sécurité sociale, sans subrogation, s’il a accompli les formalités requises, et en particulier l’envoi d’un arrêt de travail.
Sauf dispositions conventionnelles ou usage plus avantageux, le salarié ne pouvait donc pas exiger de prendre ultérieurement le congé qui s’était confondu avec son arrêt (Soc. 4 déc. 1996, n° 93-44.907 P, D. 1997. 18
).
La France avait deux mois pour répondre à la mise en demeure adressée le 18 juin dernier.
Cette analyse de la Cour de cassation était par ailleurs contraire à la jurisprudence européenne, et une évolution était nécessaire (CJUE 21 juin 2012, Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribució, aff. C-78/11, Dalloz actualité, 6 juill. 2012, obs. J. Siro ; JA 2012, n° 465, p. 10, obs. L.T.
; RTD eur. 2013. 394, obs. S. Robin-Olivier
; ibid. 677, obs. F. Benoît-Rohmer
; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis
). Cette jurisprudence avait par ailleurs déjà été reprise par une cour d’appel qui a estimé qu’un salarié en arrêt maladie durant ses congés peut prétendre au report des jours de congés payés correspondant aux jours d’arrêt maladie (Versailles, 18 mai 2022, n° 19/03230).
C’est finalement par un arrêt important et attendu de revirement du 10 septembre 2025 que la chambre sociale de la Cour de cassation va infléchir le régime juridique français pour le mettre en conformité au droit de l’Union.
En l’espèce, une médecin du travail embauchée par une association de santé au travail disposant d’un avenant à son contrat de travail aux termes duquel il était convenu que la salariée travaillait à temps partiel les mardis, toute la journée, et les jeudis, le matin, et que les vacations complémentaires effectuées au-delà du temps de travail habituel de la salariée devaient s’imputer sur les congés scolaires pris au-delà de ses droits à congés. Une fois retraitée, l’intéressée saisit les juridictions prud’homales de divers demandes salariales. Les juges du fond firent droit à celles-ci et, jugèrent en particulier qu’il convenait de déduire du décompte des jours de congés pris par l’intéressée ses jours d’arrêts maladie pendant qu’elle était en congés.
L’employeur forma un pourvoi en cassation, que la chambre sociale va accueillir en cassant l’arrêt d’appel notamment sur une erreur de raisonnement en matière de prescription tout en validant la partie du raisonnement de la cour d’appel sur la question du report de congé et en explicitant clairement le revirement de jurisprudence opéré ainsi que ses sources.
Un revirement attendu à l’aune du droit de l’Union
Jusqu’alors, si un salarié tombant malade avant ses congés devait bénéficier d’un report de ses congés (Soc. 24 févr. 2009, n° 07-44.488, Dalloz actualité, 13 mars 2009, obs. B. Ines ; D. 2009. 817
; ibid. 2128, obs. J. Pélissier, T. Aubert, M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, B. Lardy-Pélissier et B. Reynès
; RDT 2009. 241, obs. M. Véricel
), tel n’était pas le cas d’un salarié tombant malade durant ses congés (Soc. 4 déc. 1996, n° 93-44.907, préc.). L’éminente juridiction va ici préciser, sur le fondement du droit au congé annuel payé constitué ès qualité de principe essentiel du droit social de l’Union (CJUE 6 nov. 2018, Stadt Wuppertal c/ Bauer, aff. C-569/16, Dalloz actualité, 12 nov. 2018, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2018. 2165
; ibid. 2019. 559, étude C. Fernandes
; RDT 2019. 261, obs. M. Véricel
; RTD eur. 2019. 387, obs. F. Benoît-Rohmer
; ibid. 401, obs. F. Benoît-Rohmer
; ibid. 693, obs. S. Robin-Olivier
; et Willmeroth c/ Broßonn, aff. C-570/16, pt 80, RTD eur. 2019. 387, obs. F. Benoît-Rohmer
; ibid. 401, obs. F. Benoît-Rohmer
; ibid. 693, obs. S. Robin-Olivier
), qu’il convient désormais de juger qu’il résulte de l’article L. 3141-3 du code du travail, interprété à la lumière de l’article 7, § 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, que le salarié en situation d’arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec la période d’arrêt de travail pour maladie. Le raisonnement tenu par les Hauts magistrats s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de justice sans ambiguïté sur la question (CJUE 21 juin 2012, Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución, aff. C-78/11, préc.), laquelle distingue bien la finalité du droit au congé annuel payé, qui est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs, différente de celle du droit au « congé de maladie » (sic), qui est accordé au travailleur afin qu’il puisse se rétablir d’une maladie (CJUE 20 janv. 2009, Schultz-Hoff e.a., aff. C-350/06 et C-520/06, pt 25, AJDA 2009. 245, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert
; RDT 2009. 170, obs. M. Véricel
; RTD eur. 2010. 673, chron. S. Robin-Olivier
; Rev. UE 2014. 296, chron. V. Giacobbo-Peyronnel et V. Huc
; 10 sept. 2009, Perada, aff. C-277/08, pt 21, RTD eur. 2010. 673, chron. S. Robin-Olivier
).
Un report (faiblement) conditionné
Mais pour profiter de ce droit au report, encore faudra-t-il que le salarié se procure un arrêt maladie, et aussi et surtout le notifie à l’employeur. C’est ce qu’esquisse la chambre sociale dans le corps de l’arrêt que confirme le communiqué de presse associé. Cette étape semble en effet indispensable afin que l’employeur puisse rectifier les compteurs de congés payés de l’intéressé(e) afin de lui recréditer le bon nombre de jours correspondant à la période de maladie couverte par l’arrêt de travail.
Cette décision ne surprend pas au regard des signes avant-coureurs qui l’ont précédée, et s’annonce impactante pour les employeurs qui devront désormais assumer la gestion du report des congés (si le salarié justifie sa maladie par un arrêt) et recréditer ultérieurement les congés dont le salarié n’a pas pu profiter pleinement en « bonne santé » ainsi que le complément de salaire éventuellement dû au titre de l’arrêt maladie. Elle s’inscrit encore dans le droit fil de la jurisprudence esquissée récemment à propos de l’accumulation du droit à congé pendant la maladie, déjà impulsée par le droit de l’Union, contribuant à renforcer le droit des salariés en la matière.
Elle pourra toutefois pousser à questionnement en ce que la France prévoyait déjà un socle de congés légaux minimum supra conventionnel de cinq semaines et dispose par ailleurs d’un système social protecteur du travailleur subissant une situation de maladie.
Devra-t-on considérer, dans l’hypothèse où le salarié a déjà pu profiter de quatre semaines de congés au cours de la période et tomberait malade lors de sa cinquième semaine que la solution énoncée aura vocation à s’appliquer ? Sans doute sera-t-il nécessaire d’attendre l’intervention du législateur pour confirmer la portée de l’arrêt sur ce dernier point.
Soc. 10 sept. 2025, FP-BR, n° 23-22.732
par Loïc Malfettes, Docteur en droit, Responsable RH et juridique
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