Maladie professionnelle : délai de consultation et inopposabilité
Seul le non-respect du délai de dix jours francs ouvert pour consulter le dossier et formuler des observations permet à l’employeur de prétendre à l’inopposabilité de la décision de prise en charge d’une CPAM.
La procédure d’instruction par les Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) des déclarations de maladie professionnelle a été réformée en 2019 (Décr. n° 2019-356 du 23 avr. 2019) en vue, notamment, de renforcer le contradictoire.
Une consultation en deux temps
Depuis le 1er décembre 2019, l’article R. 461-9, III, du code de la sécurité sociale, impose à la caisse, à l’issue de ses investigations, de mettre à la disposition tant de la victime, ou de ses représentants, que de l’employeur le dossier qu’elle a constitué. Ce dossier doit contenir toutes les informations nécessaires pour apprécier du caractère professionnel ou non de la maladie déclarée : la déclaration de maladie professionnelle ; les divers certificats médicaux détenus par la caisse ; les constats faits par la caisse primaire ; les informations communiquées à la caisse par la victime ou ses représentants ainsi que par l’employeur et les éléments communiqués par la caisse régionale ou, le cas échéant, tout autre organisme (CSS, art. R. 441-14). À compter de cette mise à disposition, la victime et l’employeur bénéficient d’une période de consultation divisée en deux temps. Ils « disposent d’un délai de dix jours francs pour consulter [le dossier] et faire connaître leurs observations, qui sont annexées au dossier. Au terme de ce délai, [ils] peuvent consulter le dossier sans formuler d’observations » (CSS, art. R. 461-9, III, al. 2). Le premier délai, à durée fixe, leur permet d’être informés du contenu du dossier et de formuler leurs observations sur son contenu. Cette phase est essentielle pour assurer le contradictoire. Le second délai, à durée variable, leur permet uniquement, après la clôture du dépôt des observations et dans l’attente de la décision de la caisse, de continuer à consulter le dossier. C’est l’effectivité de ce second délai qui a posé difficulté dans l’affaire soumise à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.
Un second délai (trop) court ?
En l’espèce, un salarié a déclaré une maladie professionnelle le 20 janvier 2020. Par un courrier du 24 février, l’employeur a été informé de la possibilité qu’il aurait de consulter les pièces du dossier et de formuler ses observations entre le 25 mai et le 5 juin, soit dans un délai de dix jours francs. Il lui a été précisé que la CPAM rendrait sa décision au plus tard le 12 juin, afin de respecter le délai de 120 jours francs qui lui est imposé pour statuer (CSS, art. R. 461-9, I). Cette décision, admettant la prise en charge au titre de la maladie professionnelle, va intervenir dès le 8 juin. Ce court délai entre la fin de la période d’observations et la décision de prise en charge va amener l’employeur à considérer que le principe du contradictoire n’a pas été respecté par la caisse. Selon lui, les 6 et 7 juin, étant un samedi et un dimanche, il n’a pas été mis en mesure de bénéficier du second délai de consultation évoqué à l’article R. 461-9, III, alinéa 2. Il en déduit que la décision de prise en charge lui est inopposable. Si la cour d’appel a adhéré à son raisonnement, il n’en est pas de même de la Cour de cassation. Au visa de l’article R. 461-9, III, l’arrêt de la cour d’appel est cassé.
Le respect du principe du contradictoire
La deuxième chambre civile relève que la cour d’appel a constaté que « la société avait été informée des dates d’ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle elle pouvait consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle elle pouvait formuler des observations, au plus tard dix jours francs avant le début de la période de consultation » et « que la décision de prise en charge était intervenue à l’expiration du délai de dix jours francs ouvert à l’employeur pour consulter le dossier et faire connaître ses observations » (pt 6). Elle en conclut que la caisse a satisfait à ses obligations. Le principe du contradictoire n’a pas été violé.
Il est permis de penser que cette solution est cohérente avec l’esprit du contradictoire. Pour que celui-ci soit respecté, il faut, en premier lieu, que l’employeur ait été informé en temps utile du moment où il pourra formuler ses observations, afin d’être prêt à étudier le dossier le moment venu. Cette exigence imposée par l’article R. 461-9, III, alinéa 3, a été suivie par la caisse. Il faut, en second lieu, que l’employeur ait bénéficié du délai imposé par l’article R. 461-9, III, alinéa 2, pour déposer ses observations. Tel a aussi été le cas. L’employeur a, ainsi, été mis en mesure de débattre des pièces du dossier. Certes, l’employeur n’a bénéficié que de deux jours francs non ouvrés pour poursuivre sa consultation du dossier à l’issue de la phase de transmission des observations. Néanmoins, ce court délai ne remet pas en cause le respect du principe du contradictoire. Si le dossier reste accessible à l’issue du délai de dix jours francs, c’est à titre simplement consultatif. Aucune information n’y sera ajoutée. Aucune nouvelle observation ne peut être formulée. L’employeur ayant donc bien été en mesure de consulter le dossier et de présenter ses observations, rien ne justifie l’inopposabilité de la prise en charge au titre de la maladie professionnelle (Civ. 2e, 5 sept. 2024, n° 22-17.142 F-B, JCP S 2024. 1210, note T. Tauran ; Gaz. Pal. 2024, n° 40, p. 68, obs. D. Ronet-Yague). La rapidité de la décision de la CPAM peut, néanmoins, interroger. La caisse, a-t-elle réellement été en mesure d’étudier attentivement les observations formulées ? Il est vraisemblable que si la caisse s’est prononcée aussi rapidement, c’est parce qu’elle en a eu la possibilité, grâce au dépôt en ligne des observations sans attendre le dernier jour. En outre, le délai de 120 jours francs qui lui est imposé pour statuer implique toujours un délai relativement court (souvent 10 jours francs maximum) entre la fin du délai de transmission des observations et la décision.
Par cet arrêt, la deuxième chambre civile confirme sa volonté de limiter les hypothèses dans lesquelles l’employeur peut se prévaloir de l’inopposabilité de la décision de prise en charge pour un motif purement formel (Civ. 2e, 5 sept. 2024, n° 22-17.142, préc. ; v. aussi de manière discutable en cas de saisine du Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, Civ. 2e, 5 juin 2025, nos 23-11.391, 23-11.392, 23-11.393 et 23-11.394, Dalloz actualité, 30 juin 2025, obs. C. Ciuba ; RDSS 2025. 744, obs. X. Prétot
; JCP S 2025. 1226, note M.-A. Godefroy). Il ne faut pas oublier que les conséquences de l’inopposabilité sont financièrement importantes. Celle-ci empêche de prendre en compte la maladie professionnelle dans le calcul du taux des cotisations dont l’employeur est redevable.
Civ. 2e, 4 sept. 2025, F-B, n° 23-18.826
par Juliette Brunie, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Tours
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